Le ménage du dialogue

Le ménage du dialogue

Le 1 Avr 2002

A

rticle réservé aux abonné·es
Article publié pour le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives ThéâtralesVoix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
72
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

TROIS PIÈCES cour­tes écrites récem­ment pour acteurs et mar­i­on­nettes (L’ENFANT ASSASSIN, L’enfant dans la merde, Les petites mamans1) vont être présen­tées au pub­lic sous forme de lec­ture-spec­ta­cle en Bel­gique fran­coph­o­ne et au Por­tu­gal. Les pre­mières séances de tra­vail ont vite soulevé chez les acteurs des ques­tions qui ont à voir avec l’énonciation, la dic­tion, la scan­sion, bien sûr, mais surtout qui les invi­taient à chercher d’autres points d’appui. D’où allaient-ils par­ler pour éroder encore plus ce qui se donne à lire comme un écho de l’antériorité ?
Hei­deg­ger écrit que la mort n’est pas devant mais der­rière nous. Nous savons qu’elle a eu lieu, que rien n’y échap­pera, que cette affaire est faite, que tout est joué. C’est de là (et je sais que ces mots ne sig­ni­fient peut-être qu’un peu de flou pla­toni­cien…) que par­lent, à mon sens, les mar­i­on­nettes…
Il suf­fit d’observer l’écriture dra­ma­tique con­tem­po­raine pour com­pren­dre à quel point quelque chose de la parole et du corps lit­téraux (ce que je conçois comme le théâtre psy­chologique) sem­ble chercher une sor­tie du texte dra­ma­tique pour acteurs. Des mono­logues de plus en plus longs, nar­rat­ifs, accélérant un décalage styl­is­tique, provo­quant une échap­pée poé­tique (et lyrique très sou­vent…) appa­rais­sent comme de véri­ta­bles incrus­ta­tions dans des sit­u­a­tions où l’on sent, intu­itive­ment, que les dia­logues s’épuisent, que les sit­u­a­tions ralen­tis­sent l’énergie des per­son­nages, autrement dit, où le texte se donne des moments de totale lib­erté proféra­toire. Il s’agit, peut-être, de résis­ter à l’échange dialogique de plus en plus vide, à l’image des ren­con­tres citoyennes de tous bor­ds, des débats audio­vi­suels, de la com­mu­ni­ca­tion et des chats plané­taires infin­i­ment répétés dans la même con­ti­nu­ité.
La cul­ture appa­raît, à mon sens aujourd’hui, à l’instar de toute reli­gion vide de sacré, comme écran à la ques­tion de la vérité. Ne reste donc que l’idéologie de la sincérité, de l’émotion, des sen­ti­ments exac­er­bés, bref, le règne de l’émotion unique appa­raît comme la voie royale où tous, dans la même recon­nais­sance de nos défaites, évanouisse­ments et con­fu­sions pou­vons nous ren­con­tr­er et com­mu­nier dans un trem­ble­ment intime qui nous fait con­fon­dre notre moelle épinière avec le sens de la dis­pute…
Une cer­taine forme de théâtre con­tem­po­rain se nour­rit de cette hys­térie et donne nais­sance à des œuvres qui peu­vent être d’une qual­ité excep­tion­nelle, évidem­ment, la ques­tion n’est pas d’exclure un genre mais de repér­er ce que fait ce genre, pour sur­vivre : chercher de plus en plus à provo­quer des moments de cathar­sis internes ful­gu­rants comme des fusées. Soudain, les per­son­nages quit­tent leur corps intime, creusent un chemin de paroles devant eux, s’aventurent dans une incan­ta­tion qui les arrache à toute recon­nais­sance psy­chologique et les pro­jette dans un espace poé­tique qui cherche à mâch­er les forces de l’infra ou du supra-humain, à emprunter ce qui appar­tient, à mon sens, déjà à l’univers de la mar­i­on­nette.
La mar­i­on­nette, on s’en sou­vient, c’est une parole qui agit (Paul Claudel) mais c’est aus­si de l’humain dans le lar­vaire, du mon­strueux qui renaît et pousse la corne jusque dans le ven­tre du bon enten­de­ment, c’est de l’incertain qui nous rap­pelle à l’ordre, de la ter­reur qui sur­git là où les voix sécu­ri­taires enton­nent les chants de la réc­on­cil­i­a­tion, c’est le mal grig­no­tant la con­vic­tion du bien, c’est le Bas lut­tant con­tre le Haut, l’animal, l’érotique et le scat­ologique faisant un pied de nez au lisse pornographique des home vidéos, c’est la lenteur con­tre la vitesse ou la vitesse con­tre la mol­lesse ; c’est la nuit con­tre la lumière des stu­dios, l’organique con­tre le soci­ologique, le désir con­tre le plaisir, la pro­fu­sion et le débor­de­ment con­tre l’économique, le mou­ve­ment con­tre la posi­tion, la ligne con­tre le point, bref, la mar­i­on­nette c’est une parole qui vient d’ailleurs et nous ren­voie ailleurs, mais qui cherche à nous emmen­er là où nous craignons d’aller con­fusé­ment (pour par­o­di­er Jean Vilar).
Chaque fois que j’écris un texte pour mar­i­on­nettes ou pour acteurs et mar­i­on­nettes, je sais que je vais chercher en moi des images, des voix, des silences, des chœurs mais rarement des idées. Les idées appar­ti­en­nent au monde… des idées, des débats, que sais-je, mais la mar­i­on­nette n’a pas d’idée, elle n’est pas encore assez riche pour cela, pas assez civil­isée, elle par­le d’avant le temps des idées, elle rumine, chu­chote, scan­de, psalmodie mais par­le assez mal dans le sens que nous don­nons com­muné­ment au mot par­ler.

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
1
Partager
auteur
Écrit par Daniel Simon
Daniel Simon, né en 1952 à Charleroi. Vit actuelle­ment à Brux­elles, voy­ages, séjours et ate­liers fréquanciers au Por­tu­gal,...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Voix d'auteur et marionnettes -Couverture du Numéro 72 d'Alternatives Théâtrales
#72
avril 2002

Voix d’auteurs et marionnettes

1 Avr 2002 — JE PEUX DIRE que je n’ai jamais écrit pour des marionnettes.Je peux aussi pourtant, parfaitement, affirmer le contraire : j’ai…

JE PEUX DIRE que je n’ai jamais écrit pour des marionnettes.Je peux aus­si pour­tant, par­faite­ment, affirmer le con­traire…

Par Noëlle Renaude
Précédent
30 Déc 2001 — «RIEN DE CE QUI MÉRITE d'être su ne peut être enseigné » propos d'Oscar Wilde qui conteste à l'enseigne­ment la…

« RIEN DE CE QUI MÉRITE d’être su ne peut être enseigné » pro­pos d’Oscar Wilde qui con­teste à l’enseigne­ment la pos­si­bil­ité d’ac­céder à l’essen­tiel pour l’as­sign­er à la trans­mis­sion d’un savoir étranger aux fonde­ments de…

Par Georges Banu
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total