Evelyne Lecucq : Le Papierthéâtre et le Là Où théâtre se sont, en quelque sorte, appropriés vos trois textes. Ils ont été coupés, recomposés, réduits à un seul extrait parfois, au risque de changer de sens. Comment chacun de vous ressent-il cette « manipulation » de son écriture ?
Matéi Visniec : Je donne une liberté absolue pour certains de mes textes — c’est plus délicat pour ceux que je pense avoir très précisément structurés. Théâtre décomposé est justement un recueil de modules théâtraux à décomposer et à recomposer, un jeu que je propose comme parti pris. Une façon de dire : « voilà une trentaine de modules, choisissez-en le nombre et l’ordre. Montez-les avec un, deux, ou trente comédiens, dont vous déciderez du sexe et de l’âge ». Il est difficile de proposer plus de liberté à un metteur en scène ! De mon côté, ce qui m’intéresse c’est de voir dans quelle mesure mon univers reste intact dans ce jeu. J’ai toujours été agréablement surpris par les compagnies qui ont monté ce texte parce qu’il a volontairement été écrit comme une sorte d’exercice stylistique, un texte de laboratoire. J’ai commencé à écrire en français en 1992 et j’ai conçu Théâtre décomposé en 96. Mon défi n’était pas de travailler sur la langue mais, au contraire, de travailler dans l’économie de mots, de construire des histoires drôles avec très peu de moyens. Dans cette logique-là, j’ai écrit ces textes très minimalistes : il y a des histoires, des situations, et puis l’incitation à les monter, à les démonter, à les démanteler. Ce que l’on a fait d’ailleurs avec beaucoup de joie avec Alain Lecucq. J’avais vu son style de théâtre, je m’étais dit que mes histoires pourraient fonctionner avec ses figurines, et j’ai vite été assuré que cette version du texte serait très convaincante.
Kossi Efoui : Je n’ai pas d’attachement viscéral à ce que j’écris. Je me fiche d’indiquer « table rouge » et qu’on mette un drap blanc. Je pense que le texte est intéressant quand il propose une énigme au metteur en scène et que ce dernier donne une réponse à cette énigme — jamais une réponse définitive puisque l’énigme elle-même n’est jamais clairement définie. Pour ce qui est de couper dedans, il n’y a rien qui me gène dans le principe. Je trouve d’ailleurs très audacieux de la part des metteurs en scène de couper dans les textes parce qu’il faut avoir au préalable réellement traversé soi-même, en tant que lecteur, l’architecture ou les réseaux de sens qui parcourent le texte pour couper, recomposer et proposer de nouvelles ouvertures. Couper n’est jamais fait parce qu’on n’a pas le temps, mais parce que c’est trop long. Ce qui m’intéresse, c’est la surprise finale. En ce qui concerne Le faiseur d’histoires, la proposition du Là Où théâtre m’a bien plu. Je la trouve belle et poétique, mais j’ai posé une question à Renaud : est-ce qu’elle n’aurait pas pu exister indépendamment du texte, de ce qui est écrit, articulé mot après mot ? Elle ne peut évidemment pas exister indépendamment du récit lui-même et de ses images, parce que c’est essentiellement ce qui a nourri sa démarche mais, par exemple, ce qui est donné à voir dans le spectacle à travers le jeu entre le narrateur — le faiseur d’histoire — et cette femme se décline en se renforçant à d’autres moments du texte manquant dans cette proposition. L’irruption brutale de l’effroi au moment où l’on croit être sauvé revient et l’on ne la retrouve plus dans le spectacle : on trouve autre chose. La question est bien de se demander comment on articule les différents sens ensemble. Nous voulons reparler de cette expérience avec Renaud et voir dans quelle mesure il serait possible de démarrer d’autres projets en collaborant mieux autour des règles du jeu.

