Au seuil du théâtre : Meyerhold, Maeterlinck, et LA MORT DE TINTAGILES

Au seuil du théâtre : Meyerhold, Maeterlinck, et LA MORT DE TINTAGILES

Le 14 Juil 2002
SŒUR BÉATRICE de Maeterlinck, 1906, mise en scène de V. Meyerhold, Théâtre Komissarjevskaïa (D. R.)
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Article publié pour le numéro
Modernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives ThéâtralesModernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives Théâtrales
73 – 74
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Depuis de nom­breuses années, les pièces de Maeter­linck n’ont aucun suc­cès. 
Mais ceux à qui est chère l’œuvre du dra­maturge belge rêvent d’un nou­veau théâtre, avec une nou­velle tech­nique. Ils rêvent de ce qu’on appelle le théâtre de la con­ven­tion
.

Vsevolod Mey­er­hold (1907)1

C’EST MAETERLINCK qui en Russie ouvre la scène aux voies nou­velles que recherchent les sym­bol­istes de ce pays. LE TRAGIQUE QUOTIDIEN sort en russe dès 1900 et une édi­tion de ses œuvres en six vol­umes y paraît entre 1903 et 1909. Une autre sera entre­prise en 1915. La dra­maturgie de Maeter­linck apporte un change­ment de per­spec­tive fon­da­men­tal, elle inter­roge l’état du théâtre, le met en crise, en se pro­posant non pas d’imiter le vis­i­ble, mais de ren­dre vis­i­ble, de don­ner à voir, l’irreprésentable, l’indescriptible. Loin d’un déchaîne­ment de pas­sions, elle cherche à saisir l’existence elle-même. La démarche scénique impliquée se situe donc à l’opposé du nat­u­ral­isme qui con­siste à tout mon­tr­er et à accu­muler des objets quo­ti­di­ens ou his­toriques – néces­sité d’un vide spa­tial ou créa­tion de flou, estom­page de con­tours visuels trop bru­taux, présence soulignée de trouées sonores, silences, paus­es. Cette dra­maturgie qui creuse d’un abîme les dia­logues échangés, pose un prob­lème au théâtre, car, en pous­sant à leur niveau max­i­mal la sug­ges­tion et l’allusion, elle tend vers une esthé­tique de l’inanimé, de l’inhumain : au lieu de chercher à le con­tre­faire, ce théâtre du trag­ique quo­ti­di­en écarte l’être vivant du plateau pour man­i­fester d’abord le frémisse­ment de la vie intérieure ou les forces obscures qui sous-ten­dent chaque exis­tence sous une apparence tran­quille. Maeter­linck intro­duit sur la scène « la présence infinie, ténébreuse, hyp­ocrite­ment active de la mort, qui rem­plit tous les inter­stices du poème ». Il provoque douce­ment sur le plateau un appel d’air froid, celui de « l’inconnu, qui prend le plus sou­vent la forme de la mort »2 – per­son­nage (ou thème) cen­tral, présent absent par­mi les vivants que ce souf­fle va évidem­ment trans­former, con­t­a­min­er. Avec Maeter­linck, la pre­mière arme pour se mesur­er au nat­u­ral­isme, lut­ter con­tre la repro­duc­tion imi­ta­tive de la vie sur la scène et la tau­tolo­gie de l’impératif stanislavskien de « vie vivante », sera le souf­fle de la mort et, dès qu’il en aura décou­vert la puis­sance, ce souf­fle fera pour longtemps vibr­er le théâtre mey­er­hol­dien.

La pre­mière MORT DE TINTAGILES.
Une expéri­ence avortée

En 1905, la mise en scène de LA MORT DE TINTAGILES par Vsevolod Mey­er­hold est une date-clé non seule­ment pour la biogra­phie de l’artiste, mais pour le théâtre russe et européen. Ce tra­vail sur un des trois « petits drames pour mar­i­on­nettes », selon le sous-titre dont Mau­rice Maeter­linck dote l’édition brux­el­loise de 1894, a pour cadre un stu­dio de « recherche fon­da­men­tale » (sans néces­sité de pro­duc­tion immé­di­ate) – le pre­mier à exis­ter en Russie : le Théâtre-Stu­dio de la rue Povarskaïa, fondé et sub­ven­tion­né par Kon­stan­tin Stanislavs­ki qui demande instam­ment à Mey­er­hold d’y col­la­bor­er, 

propo­si­tion que ce dernier accueille avec ent­hou­si­asme. Ce Théâtre-Stu­dio émane d’une volon­té avouée et revendiquée de créer – sept ans après l’ouverture du Théâtre d’Art de Moscou autour du pro­gramme max­i­mum élaboré au Bazar slave par ses deux futurs directeurs, K. Stanislavs­ki et V. Nemirovitch Dantchenko – « un nou­veau théâtre », le théâtre « d’un art nou­veau »3. Le retour de Mey­er­hold, l’enfant prodigue, le « rebelle » – comme lui-même se désign­era plus tard en la som­bre année 1939 –, au sein de la mai­son mère où il a fait des débuts remar­qués d’acteur pro­fes­sion­nel, est lié à l’échec subi par Stanislavs­ki dans sa ten­ta­tive de porter à la scène trois pièces de Maeter­linck (INTÉRIEUR, L’INTRUSE et LES AVEUGLES, 1904), alors qu’en province le jeune acteur devenu met­teur en scène a com­mencé, par­mi les quelques 160 pièces qu’il monte en trois saisons, à abor­der ce type de réper­toire (Maeter­linck, Przy­byszews­ki) avec un cer­tain suc­cès. Stanislavs­ki sent que le temps est venu de « faire entr­er l’irréel sur la scène »4et que le lyrisme d’Anton Tchekhov dont le Théâtre d’Art n’a pas perçu toute la par­en­té avec l’écriture sym­bol­iste5 est dépassé. Le retour de Mey­er­hold est de courte durée cepen­dant, puisque sa MORT DE TINTAGILES n’est jamais présen­tée au pub­lic, que le Théâtre-Stu­dio ferme rapi­de­ment ses portes à peine entrou­vertes… Et que Mey­er­hold repart tra­vailler avec sa Con­frérie du drame nou­veau, ain­si bap­tisée en 1903, et réor­gan­isée après l’échec du Théâtre-Stu­dio. 

Valeri Brioussov, poète sym­bol­iste, théoricien de l’art et respon­s­able du bureau lit­téraire du Théâtre Stu­dio, relate : « J’étais par­mi le petit nom­bre de ceux qui eurent la chance de voir au Stu­dio la répéti­tion générale de LA MORT DE TINTAGILES. Ce fut l’un des spec­ta­cles les plus intéres­sants que j’ai vus de ma vie. Pour­tant, j’en ai retiré la con­vic­tion que ses ini­ti­a­teurs ne com­pre­naient pas eux-mêmes ce qu’ils cher­chaient »6. Il sem­ble pour­tant qu’il y ait eu, dans ce Théâtre qui se veut un Tem­ple, une authen­tique ten­ta­tive pour rompre avec le réal­isme des scènes con­tem­po­raines. La gestuelle est plus plas­tique que quo­ti­di­enne et les groupe­ments de per­son­nages évo­quent ceux des fresques pom­péi­ennes ou des tableaux des préraphaélites. Signé par N. Sapounov et S. Soudeïkine – jeunes pein­tres du groupe La Rose Écar­late qui, invités à par­ticiper à l’aventure, refusent de con­stru­ire des maque­ttes pour ne plus tra­vailler que l’esquisse, le pan­neau peint, et les plans de jeu impres­sion­nistes –, le décor ne cherche aucune ressem­blance avec la réal­ité : les espaces n’ont plus de pla­fond, les colonnes du château sont entourées de lianes. Enfin tout le spec­ta­cle est accom­pa­g­né, du début à la fin, par une musique spé­ciale­ment com­mandée à Ilya Sats pour que « le pub­lic sente l’odeur de l’encens et entende le son de l’orgue ». 7 

SŒUR BÉATRICE de Maeterlinck, 1906, mise en scène de V. Meyerhold, Théâtre Komissarjevskaïa (D. R.)
SŒUR BÉATRICE de Maeter­linck, 1906, mise en scène de V. Mey­er­hold, Théâtre Komis­sar­jevskaïa (D. R.)

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Béatrice Picon-Vallin
Béatrice Picon-Vallin est directrice de recherches émérite CNRS (Thalim).Plus d'info
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