Ubu Profane

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Ubu Profane

Le 29 Juil 2002
Article publié pour le numéro
Modernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives ThéâtralesModernité de Maeterlick-Couverture du Numéro 73-74 d'Alternatives Théâtrales
73 – 74
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UN ACCIDENT tout bête (comme s’il en était d’intelligents), et me voici chez mon phar­ma­cien en quête d’anti-inflammatoires pour amor­tir la douleur de l’entorse, ce qui me four­nit l’occasion d’un lap­sus spec­tac­u­laire : au lieu de deman­der de l’Ibuprofène, j’ai demandé de l’Ubu Pro­fane. Je ne sais quels abysses cela révèle de moi. En tout cas, ma jugeote mise en bran­le, trois sens s’imposèrent immé­di­ate­ment, selon que Pro­fane soit enten­du comme sub­stan­tif, comme adjec­tif, ou comme verbe : d’abord, le pro­fane chez Ubu, c’était moi, dra­maturge néo­phyte (sens plat); secun­do, Ubu se meut dans son espace pro­pre, sécu­lar­isé, en dehors de toute église, si ce n’est de tout principe (sens médi­an); enfin, et c’est le sens fort, Ubu re-sacralise son pro­pre espace par la pro­fa­na­tion des formes con­v­enues, qui ren­voie le théâtre à ses orig­ines, à sa présence pre­mière, plus pré­cisé­ment à sa cor­po­ral­ité et tex­tu­al­ité ardente (corps et texte : même com­bat). Denis Mar­leau n’est pas un magi­cien ; la pres­tidig­i­ta­tion, mon­naie courante et mon­naie de singe dans la show­bizzerie d’aujourd’hui, je sup­pose (sup­po­si­tion de géomètre) qu’elle ne l’enchante guère, qu’il aurait plutôt ten­dance à en être agacé. Le « théâtre Ubu » (j’entends par là non pas la Com­pag­nie de ce nom, mais bien le mode de théâ­tral­ité pro­pre à cette Com­pag­nie) n’est ni magie ni sor­cel­lerie ni fumée. Le théâtre de Mar­leau est ontologique, c’est-à-dire « poïé­tique », c’est-à-dire lieu où l’Être s’avère. Son tra­vail, chaque fois, dévoile et révèle, ouvre une clair­ière, con­stitue une authen­tique phénoménolo­gie de la présence (ah ! l’éclairage des spec­ta­cles Ubu !). Ni spec­tres ni fan­tômes, donc, rien de sépul­cral, ce serait mal com­pren­dre. Mais l’ombre même d’où l’être tire sa clarté. Non pas illu­sions, poudre aux yeux, « rêves » à bon marché, éblouisse­ments, men­songes. Mais fas­ci­na­tion bel et bien, révéla­tion, atten­tion sans failles au bruisse­ment du monde (ah ! l’ambiance sonore des spec­ta­cles Ubu !), vio­lence et cati­mi­ni, vérité imag­i­naire et imag­i­naire vrai, bref le con­traire de la « dis­trac­tion », de l’entertainment, en quoi il est un théâtre pas­calien. Il provoque les pris­on­niers de Pla­ton que nous sommes à sor­tir de leur Cav­erne. Pour con­tem­pler le Soleil par­fois ter­ri­ble de ce qui est.

Théâtre qui donne à voir le néant qui pour­toure toutes choses. Théâtre qui donne à voir. Théâtre qui donne.

Et ce qui est, sou­vent, c’est la mort, le désir et la mort, la flu­ide et ombrageuse lueur qu’ils font couler le long des choses.

Le néant mag­nifique qui pour­toure toutes choses.

La lumière.

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Gaétan Soucy
Né à Montréal en 1958, le romancier Gaétan Soucy est l’auteur de L’ACQUITTEMENT (1997), L’IMMACULÉE...Plus d'info
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