Une nouvelle version
EVA, Gloria, LÉA décrit trois rapports au monde différents, ce sont trois textes qui peuvent êtres montés séparément. Je n’ai jamais su me détacher d’un problème de conception globale. Piemme nous a écrit une nouvelle version qui part de la troisième partie (la reconstitution d’un braquage) qui fonctionne mieux dans mon imaginaire parce qu’il n’y a plus qu’un texte et qu’automatiquement les enjeux se resserrent. Je reconnais grâce à cette nouvelle version les phrases (les portes d’entrées) par lesquelles j’ai envie d’entrer dans la pièce.
Sur la violence
Ce n’est pas une pièce sur la violence, c’est une pièce sur des violences. La violence est assumée par chacun ; pas comme groupe. La violence n’est pas devant nous ; on est la violence, elle est en nous (pas au sens métaphysique); on a tous du sang.
Sur les rapports de force
Les rapports de force entre les personnages ne nous racontent pas que le système (la société ) est mauvais et que cela nous broie. Tous les personnages sont à la fois broyeurs et broyés. Par exemple (voir texte): — Le loubard opprimé est l’oppresseur du S.D.F. Eva, Gloria, Léa nous raconte la violence de la machine générale dans laquelle on est pris, sauf qu’à dire que nous sommes tous la machine de quelqu’un. (Voir texte): — Les flics, c’est la machine des loubards. Mais les loubards sont la machine du pauvre. Dieu est la machine du pauvre.
Le rêve / Léa
Léa est le double de l’auteur. Elle traverse toute la pièce comme un caméléon qui a toujours assez de force et de désir pour pouvoir s’adresser à quelqu’un. Elle ne dit pas « le monde est très froid » ; elle dit : « Bonjour, le monde est très froid ». J’ai l’impression que tout se passe dans la tête de Léa. Je veux raconter le rêve de Léa. La déposition des témoins est le contraire d’un beau témoignage ; elle n’est pas conforme à une déposition de témoins habituelle. Personne ne parle du tueur, chacun ne parle que de lui. C’est fantasmatique, ça vient d’un cerveau. C’est l’imaginaire de Léa qui raconte cette déposition comme c’est l’imaginaire de Léa qui va donner la parole à son papa mort. Les rencontres qui se font dans la pièce ne peuvent surgir que d’un cerveau.
Mettre en scène la pièce telle qu’elle est dans mon cerveau
Si j’associe le juge à un spaghetti, ce n’est pas parce que Piemme raconte le procès Dutroux. Je cherche à être dans le texte et dans mon cerveau. Mon cerveau c’est aussi l’endroit où je vis. Il faut faire surgir sur le plateau des éléments d’imaginaire. Je rêve d’une succession d’une série d’images fantasmatiques qui, au lieu de renvoyer à une stricte singularité, renvoient au fantasme collectif.
Le spectateur
Tout se passe avec lui ici et maintenant (si Tom Waits donne chaque soir un concert différent, c’est parce que son public n’est jamais le même). Ne pas l’assommer de points de vue. S’il perçoit une synergie ou une contradiction positive entre ce qu’il voit et ce qu’il entend, il se posera la question de savoir pourquoi il entend ça. Lui donner de l’imaginaire. Lui poser des questions.

