Décembre 2000. À la Passerelle Scène Nationale de Saint-Brieuc et ensuite au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis Metteur en scène : Stanislas Nordey. Acteurs : Monique Lucas, Laurent Meininger, Jeanne François, Karim Qayouh, Delphine Simon, Olivier Hussenet.
Pièces : Le Tueur souriant de Jean-Marie Piemme, Descriptions de Philippe Minyana, Tombeau chinois de Roland Fichet.
Les acteurs lisent plusieurs fois RECONSTITUTION et Description de Philippe Minyana, Le Tueur souriant de Jean-Marie Piemme et ma pièce, Tombeau chinois. Ils lisent aussi d’autres textes que leur propose Stanislas Nordey : Douze notes prises au nord de Bernard-Marie Koltès et plus tard Corps du délit de Didier-Georges Gabily.
Stanislas Nordey écoute attentivement chaque voix, note à chaque lecture d’une des trois pièces les signes repérables qui fournissent des indices de sens : la ponctuation, les graphies, les mots énigmes, la forme des phrases, les rythmes singuliers, le jeu des sons et du sens. Chacun de ces textes révèle un petit bout du monde. C’est par ce petit bout du monde peut-être qu’on peut voir tout un monde. Stanislas Nordey mène une enquête minutieuse. Il détecte des fenêtres, jette un œil, invite les acteurs à regarder par ces fenêtres. Le texte se déplie dans les voix, dans les corps. Dans Tombeau chinois, le mot comédie, tout seul entre deux points dans la dernière partie du texte, introduit une hypothèse de travail : il y a peut-être là-dedans un frottement particulier de la comédie et de la tragédie, de l’humour et de la cruauté. Passent quelques jours et un autre code entre en jeu et en scène : une écriture physique. Les corps entrent dans la danse. Le Tueur souriant, qui met en jeu dans le flux du texte de nombreuses voix, figures, personnages, est attribué dans sa totalité à trois couples : Monique Lucas – Laurent Meininger, Jeanne François – Karim Qayouh, Delphine Simon – Olivier Hussenet. Chaque couple traverse physiquement tout le texte. Élaboration là aussi de codes physiques et spatiaux précis, différents pour chacun des couples d’acteurs. Stanislas Nordey noue les deux syntaxes. Les mots deviennent mouvement, deviennent matière en mouvement, génèrent un rythme profond, intime. Quel est le rapport entre le rythme et l’émotion ? De quelle puissance de révélation se chargent les corps des acteurs et par quel chemin ? Trois mises en scène du Tueur souriant naissent sous mes yeux. Trois couples d’acteurs dans trois lieux différents — un local poubelles, un couloir, une scène de théâtre — interprètent la partition de Jean-Marie Piemme. Trois mises en scène chirurgicales. Les jouerons-nous en même temps ? Jeu d’échos d’un bout à l’autre du théâtre ? Nous verrons.
Il y a comme une géographie du chaos qui est dessinée par les corps en mouvement des acteurs, les corps en mouvement de souffle, les corps en mouvement de voix. Je rêve une géographie secrète, mystérieuse, jamais totalement saisissable. J’imagine que texte après texte, pièce après pièce, les corps de ce groupe d’acteurs vont dessiner une géographie complète du chaos du présent, du chaos généré par notre présent.

