Maria Alexeïevna Valenteï

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Maria Alexeïevna Valenteï

Le 1 Oct 2003
Article publié pour le numéro
Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
76 – 77
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MARIA ALEXEÏEVNA VALENTEÏ s’est éteinte le 18 jan­vi­er. Pour tous ceux qui, en Russie et dans le monde, tra­vail­lent sur l’œuvre de Vsevolod Mey­er­hold, elle était tout sim­ple­ment Macha.

Macha, la petite-fille du grand met­teur en scène, avait un regard bleu, trans­par­ent, inflex­i­ble. Fille de Tatiana, un des trois enfants que Mey­er­hold avait eu de son pre­mier mariage avec Olga Munt, elle avait 14 ans quand on arrê­ta son grand père, et 17 quand, « pour avoir chan­té les louanges de son père, un enne­mi du peu­ple », sa mère fut envoyée en camp. Macha par­tit aus­si en Sibérie, et lorsque Tatiana fut libérée avant le terme de ses 8 ans de peine, grâce à l’intervention d’acteurs célèbres, la jeune fille se mit à envoy­er sans relâche aux dif­férentes instances sovié­tiques des let­tres où elle demandait des comptes sur le sort de Mey­er­hold.

Elle était entrée vrai­ment « dans l’arène » au moment du procès en réha­bil­i­ta­tion de Mey­er­hold – empris­on­né en juin 1939 et fusil­lé le 2 févri­er 1940 –, lorsqu’elle avait com­mencé à ren­con­tr­er les per­son­nal­ités qui l’avaient côtoyé pour leur deman­der des témoignages écrits à vers­er au dossier rassem­blé par le pro­cureur mil­i­taire B. Ria­j­ki. Elle se sou­vien­dra tou­jours des san­glots du com­pos­i­teur Dim­itri Chostakovitch, un des pre­miers qu’elle avait sol­lic­ité, des sou­venirs qu’il avait déver­sés devant elle et de la let­tre qu’il n’écrirait, sous le coup de la trop vio­lente émo­tion, que le lende­main.

Après la réha­bil­i­ta­tion juridique de Mey­er­hold en 1955, elle avait con­tin­ué la lutte, de toute son énergie, tout aus­si con­va­in­cue du génie de l’artiste que de son inno­cence. Elle s’était occupée – et cela avait rem­pli toute sa vie – de sa réha­bil­i­ta­tion poli­tique (elle avait demandé qu’il soit réin­té­gré au par­ti Com­mu­niste) et artis­tique. Elle avait été capa­ble de tenir tête à tous, d’accéder dans les archives du KGB au ter­ri­ble dossier 537 de Mey­er­hold qui donne le suivi de ses inter­roga­toires, et de le faire pho­to­copi­er, puis d’obtenir le rachat, de 1991 à 1994, par le Musée Théâ­tral Bakhrou­ch­ine, de l’appartement du 12, rue Brioussov pour le trans­former en Apparte­ment-Musée, offi­cielle­ment ouvert en sep­tem­bre 1997. Elle y avait rassem­blé les meubles qu’elle avait pu retrou­ver et cher­chait à acheter des objets pareils à ceux qui peu­plaient les lieux du vivant des Mey­er­hold. On pou­vait y voir aus­si des doc­u­ments orig­in­aux venus des fonds du Musée Bakhrou­ch­ine.

Dès 1991, elle y rece­vait tous ceux qui voulaient en savoir plus – étu­di­ants, jour­nal­istes, acteurs, met­teurs en scène. Peter Brook, Matthias Lang­hoff, Euge­nio Bar­ba, Ari­ane Mnouchkine et sa troupe, et tant d’autres l’ont ren­con­trée, dans une des cinq pièces de ce ter­ri­ble et chaleureux Musée, maîtresse des lieux, offrant avec le thé sa force de con­vic­tion, mon­trant esquiss­es, pho­tos ou vidéos.

Elle était en Russie la secré­taire sci­en­tifique de la com­mis­sion pour l’Héritage artis­tique de Mey­er­hold qui, fondée en 1956, veil­lait à l’édition des matéri­aux mey­er­hol­diens. Elle col­lec­tion­nait aus­si, dans une armoire anci­enne, qui avait sans doute appartenu au met­teur en scène, ce qui se pub­li­ait sur lui dans le monde, ravie à chaque fois de ces signes de mémoire et de recon­nais­sance envers celui dont elle avait per­mis que l’œuvre ne dis­paraisse pas, engloutie par la ter­reur, l’impuissance, la pas­siv­ité. Macha avait fait le voy­age en France pour assis­ter au Sym­po­sium inter­na­tion­al « Mey­er­hold. La mise en scène dans le siè­cle », organ­isé à Paris en novem­bre 2000 par le Lab­o­ra­toire de recherch­es sur les arts du spec­ta­cle du CNRS, qui rassem­blait des chercheurs et des prati­ciens du monde entier. La vieille dame de 79 ans au regard d’éternelle jeune fille était chaque jour la pre­mière sur les lieux, et assis­tait en non-stop à tous les événe­ments de cette « Semaine Mey­er­hold ». Rev­enue radieuse de ces ren­con­tres, elle con­tin­u­ait à organ­is­er à Moscou, dans l’Appartement- Musée, vis­ites et soirées con­sacrées au Maître ou à ceux qui l’avait côtoyé. Si ses jambes la por­taient mal, elle, elle por­tait tous ceux qui s’intéressaient à ren­dre au met­teur en scène assas­s­iné sa place dans l’histoire du théâtre du XXe siè­cle.

Macha repose au cimetière Vaganko­vo, où elle a été digne­ment et lumineuse­ment accom­pa­g­née par une foule de gens de théâtre. Le Cen­tre Mey­er­hold (ouvert en 2001) dont elle avait si ardem­ment et si active­ment désiré la créa­tion a veil­lé à son dernier voy­age.

Macha n’est plus, et il sera sans doute plus dif­fi­cile pour les chercheurs d’avancer sans elle, sans son aide et sa con­fi­ance sans son courage obstiné, sa rage froide et déter­minée, sans son regard qui sem­blait répéter les derniers mots que l’acteur Eraste Garine ne ces­sait de pronon­cer, juste avant de mourir : « Dites, pourquoi l’ont-ils tué ? »

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Béatrice Picon-Vallin
Béatrice Picon-Vallin est directrice de recherches émérite CNRS (Thalim).Plus d'info
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