Le chœur des morts

Le chœur des morts

Le 6 Oct 2003
RWANDA 94, chœur des morts, Groupov, mise en scène de Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
RWANDA 94, chœur des morts, Groupov, mise en scène de Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.

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RWANDA 94, chœur des morts, Groupov, mise en scène de Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
RWANDA 94, chœur des morts, Groupov, mise en scène de Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
Article publié pour le numéro
Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
76 – 77
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C’est de longue date que le Groupov a pra­tiqué l’emploi du chœur dans ses créa­tions. Le numéro 67 – 68 d’Alter­na­tives théâ­trales con­sacré à RWANDA 94 com­prend une étude sur les simil­i­tudes et les dif­férences de cet emploi dans L’ANNONCE FAITE À MARIE de Paul Claudel, LA MÈRE de Brecht et TRASH (A LONELY PRAYER) de Marie-France Col­lard et Jacques Del­cu­vel­lerie, c’est-à-dire les spec­ta­cles du trip­tyque « Vérité » précé­dant RWANDA 94. Cet arti­cle avait d’abord été pub­lié par la revue « rue des Usines » de la Fon­da­tion Jacques Gueux.

A FORME CHORALE tra­vaille RWANDA 1994 de part en part. Scénique­ment, par son dis­posi­tif et ses mis­es en place ; musi­cale­ment, par l’ensemble des com­po­si­tions met­tant aux pris­es chœur et orchestre ; poé­tique­ment, par l’écriture ver­si­fiée de textes qui cir­cu­lent, certes, à tra­vers des indi­vid­u­al­ités mais, le plus sou­vent, con­stituent avant tout le verbe d’une même col­lec­tiv­ité.

Cette pré­dom­i­nance tient sans doute aux inten­tions de l’œuvre dont nous avons ain­si résumé le pro­jet : « une ten­ta­tive de répa­ra­tion sym­bol­ique envers les morts, à l’usage des vivants ». On remar­quera que les des­ti­nataires de cette « ten­ta­tive », comme tou­jours à la fois réels et imag­i­naires, sont deux groupes, sim­ple­ment mais extrême­ment tranchés : les morts du Rwan­da et les vivants de toute la famille humaine. Et ceux qui s’adressent à eux for­ment égale­ment une entité plurielle : le Groupov et les artistes asso­ciés pour la cir­con­stance. Qu’un col­lec­tif prenant pour inter­locu­teurs deux col­lec­tiv­ités se trou­ve prédis­posé à l’emploi de la forme chorale n’est pas oblig­a­toire, mais cela y incline forte­ment.

Par ailleurs, et plus pro­fondé­ment, je trou­ve dans ce dis­posi­tif une cor­re­spon­dance essen­tielle à ce que le chœur représente, quel que soit l’univers dra­maturgique où il est employé. Le chœur est tou­jours une délé­ga­tion. Il l’est, d’abord, dans la même mesure que tout per­son­nage de théâtre : l’auteur et, à tra­vers lui, toute une époque, s’y délèguent jusqu’à un cer­tain point. Mais le chœur s’établit égale­ment comme la par­tie représen­ta­tive d’un tout que la scène ne peut accueil­lir : nota­bles thébains ou cap­tives troyennes de l’Antiquité, ouvri­ers con­scients délégués du pro­lé­tari­at chez Brecht, etc. Qui recourt à l’usage du chœur pos­tule donc, d’emblée, la dimen­sion col­lec­tive de l’écriture qu’il entre­prend, il ne s’exprime plus seule­ment dans la sin­gu­lar­ité de sa per­son­nal­ité mais, sans qu’il soit en rien req­uis d’abdiquer celle-ci, tente d’envisager les choses du point de vue d’un ou de plusieurs ensem­bles, et situe néces­saire­ment cette parole dans le champ de l’histoire. Davan­tage : on pour­rait dire qu’il se sent astreint à situer cette écri­t­ure dans la per­spec­tive de la postérité : comme d’un juge­ment dont il désire pren­dre à témoin non seule­ment les citoyens de son temps mais les généra­tions futures. On en con­naît l’exemple chim­ique­ment pur avec LES PERSES d’Eschyle, où cet homme qui a lui-même com­bat­tu comme sol­dat ces enne­mis red­outa­bles, les pose – d’un point de vue grec, bien sûr – en sujet d’une pièce admirable où leur dig­nité et leur human­ité se trou­vent pleine­ment respec­tées, mais qui con­damne pour jamais l’ambition démesurée de Xerxès. Le chœur entraîne naturelle­ment à une sorte de procès his­torique. Plusieurs mil­liers d’années plus tard, ce même type d’attitude inspire L’INSTRUCTION de Peter Weiss, cer­taines pièces d’Aimé Césaire, etc.

Celui qui conçoit le théâtre avec chœur doit donc répon­dre à deux exi­gences. Dis­tinguer, au-delà des dif­férences mais sans les nier, ce qui unit suff­isam­ment une entité col­lec­tive pour qu’il soit jus­ti­fié qu’elle s’exprime d’une seule voix. Et se trans­former au point que cette parole col­lec­tive puisse advenir à tra­vers lui.

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Jacques Delcuvellerie
Jacques Delcuvellerie a fondé le Groupov en 1980. Metteur en scène et théoricien, il enseigne...Plus d'info
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