Le monde et le théâtre

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Le monde et le théâtre

traduit de l’italien par Emmanuel Riccardi

Le 30 Avr 1981
Marschere (Masques) (Commedia dell'Arte) par le théâtre di Porta Romana Mis en scène: Carlo Boso Avec: Carlo Boso Enzo Turin Maurizio Donadoni Franco Bonzoni Chicca Minini Pinara Pavanini
Marschere (Masques) (Commedia dell'Arte) par le théâtre di Porta Romana Mis en scène: Carlo Boso Avec: Carlo Boso Enzo Turin Maurizio Donadoni Franco Bonzoni Chicca Minini Pinara Pavanini
Article publié pour le numéro
Échange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives ThéâtralesÉchange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives Théâtrales
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Les deux livres sur lesquels j’ai le plus médité, et dont je ne regret­terai jamais de m’être servi, sont le Monde et le Théâtre.
Car­lo Goldoni

Après trente ans de représen­ta­tion dans le monde entier de l’Ar­lecchi­no, servi­tore di due padroni de Goldoni-Strehler, l’u­nivers de la « Com­me­dia del­l’arte » a fini par s’i­den­ti­fi­er avec la tra­di­tion théâ­trale ital­i­enne. Com­ment expli­quer, mis­es à part ces trente années, l’in­térêt de ce théâtre, si on le com­pare aux dernières ten­dances de la recherche con­tem­po­raine ?
C’est à par­tir de cette ques­tion que la démarche du groupe « Teatro di Por­ta Romana » prend tout son sens ; aus­si bien sur le plan du con­tenu que sur le plan formel de la recherche expres­sive.
Donc, tout com­mence avec L’Ar­lecchi­no de Strehler. Que représente ce spec­ta­cle ? Une façon sérieuse de redé­cou­vrir, pour la pre­mière fois, la théâ­tral­ité des masques. En effet, la démarche d’autre­fois ne peut être con­sid­érée comme sérieuse. La pré­sumée tra­di­tion des gestes et des petits-pas s’ap­puyait sur des « on-dit », des pré­somp­tions. Mais on remar­que surtout à cette époque, l’ab­sence de toute tech­nique lit­téraire et le manque d’au­torité d’un grand inter­prète. Une recon­struc­tion philologique ne pou­vait que par­tir d’une base his­torique et du tra­vail du comé­di­en.
Ain­si la pre­mière réflex­ion naît,à par­tir des masques, acces­soires car­ac­téris­tiques, qui peu­vent être un obsta­cle, mais aus­si l’in­stru­ment d’une inter­pré­ta­tion. (Voir L’âge d’or d’Ar­i­ane Mnouchkine).
Si nous obser­vons les anciens masques dans les repro­duc­tions du 168 et 1?8 siè­cle, nous remar­quons le diamètre extrême­ment réduit du trou des yeux. Ce qui, d’une part donne à l’im­age extérieure un inquié­tant aspect ani­ma­lesque, mais d’autre part réduit con­sid­érable­ment la vis­i­bil­ité de l’ac­teur. D’où, des mou­ve­ments brefs, d’une grande rapid­ité, qui s’é­tal­ent en une suc­ces­sion-type : appa­raître sur scène — lever la tête pour percevoir le champ d’ac­tion — baiss­er le regard vers ses pieds pour tou­jours faire le point de la sit­u­a­tion et ne pas trébuch­er sur un obsta­cle — bouger rapi­de­ment pour récupér­er le temps per­du à cause des actions précé­dentes. D’où le typ­ique mou­ve­ment sac­cadé et sautil­lant, souligné et équili­bré par des mou­ve­ments des mem­bres et de la tête, à pre­mière vue abstraits bien que pra­tique­ment et naturelle­ment fondés.
Regar­dons, par con­tre, la con­di­tion exis­ten­tielle du servi­teur masqué. Les maîtres (des par­venus, marchands, financiers) plus arro­gants qu’im­por­tants, l’ap­pel­lent sans arrêt. Ils ont besoin de tout et ils veu­lent exploiter au max­i­mum le salaire qu’ils lui octroient. Et s’il ne répond pas avec empresse­ment aux invec­tives, il risque la puni­tion cor­porelle, les coups.
Voici dont Arle­quin qui répond rapi­de­ment aux appels du maître car il réalise, en une trac­tion de sec­onde, que des ennuis, voire des coups, vont lui tomber dessus. Son mou­ve­ment entre­pris dans une direc­tion se trans­forme directe­ment en un mou­ve­ment opposé.

La jambe déjà en sus­pen­sion s’ar­rête ; le pied d’ap­pui change et Arle­quin est prêt : il peut s’ap­procher ou au con­traire, s’éloign­er sans plus atten­dre. Ou bien les deux s’il doit pren­dre un objet que son inter­locu­teur pos­sède. Ain­si le masque, con­ven­tion théâ­trale sans vie intérieure, révèle par une syn­thèse d’ab­strac­tion, une com­plex­ité psy­chologique qui aurait ravi un acteur ayant appro­fon­di son rôle avec la méth­ode de Stanislavsky, durant des jours et des jours selon les règles du maître. S’il est dif­fi­cile, à cause du temps, de retrou­ver l’évo­lu­tion de la forme des masques ital­iens, il est par con­tre pos­si­ble de com­pren­dre ce qui provoque leur comique. Refuge de la pitié et même de la mélan­col­ie, ce comique ital­ien révèle les traces d’une con­di­tion servile et d’une révolte d’o­rig­ine pop­u­laire, sub­limée dans une forme théâ­trale qui mon­tre ce qui est impos­si­ble à répéter : les lam­beaux d’une philoso­phie vio­lée à tra­vers laque­lle il arrive à démon­tr­er, à con­trario, com­ment on essayait de dévoil­er l’ex­is­tence de l’âme, de la faim, de la vex­a­tion et de l’outrage. Et l’ex­is­tence de soi-même. La preuve de son exis­tence au monde, pour Arle­quin, est la faim. Avec cette même “logique féroce, il détru­it la rhé­torique, casse la hiérar­chie, il se réfugie dans la balour­dise. C’est cette force expres­sive que Car­lo Boso enseigne aux comé­di­ens du « Teatro di Por­ta Romana ».
{désor­mais un maître de cette tech­nique car ses sémi­naires se don­nent partout en Europe).
Mais la recherche formelle serait insuff­isante si elle ne se reflé­tait pas dans une don­née con­crète, dans l’essen­tiel de la com­mu­ni­ca­tion dans la qual­ité de la « vir­tus com­i­ca ».
C’est une car­ac­téris­tique pop­u­laire, recon­nue par son influ­ence his­torique sur la langue.·Dans un pays aus­si tour­men­té et boulever­sé que ne l’é­tait l’I­tal­ie du me et 178 siè­cle, le rire naît après les pleurs : il est le con­tre-chant des bruits de la guerre,·des armées par­courant la pénin­sule, semant la ter­reur et la mis­ère.
L’al­lé­gresse des images stéréo­typées masque donc, non seule­ment le vis­age d’un comé­di­en, mais aus­si le besoin impérieux de fuir une réal­ité triste et mis­érable. Il faut don­ner une réponse dialec­tique à ces con­sid­éra­tions {qui nous rap­prochent de maintes dis­cus­sions actuelles sur la fonc­tion du théâtre).
Dans le cas de la Com­me­dia del­l’Arte, met­tre en scène, ce n’est pas offrir au per­son­nage la vie réelle, ni le cœur de l’ac­teur-réc­i­tant. Il faut apporter une vision cri­tique, ren­due dif­fi­cile puisqu’il s’ag­it d’une tra­di­tion orale, imprévis­i­ble dans son évo­lu­tion.
Dans une per­spec­tive de théâtre comique et selon un critère formel, le Teatro di Por­ta Romana a établi un choix par­mi les très nom­breux matéri­aux de la Com­me­dia del­l’arte ; il les affronte sous un angle politi­co-social, en jouant sur les mécan­ismes élé­men­taires d’op­po­si­tions. L’opéra­tion com­porte un risque de didac­tisme mais l’im­por­tant est de révéler — sans en per­dre la poé­tique — une tra­di­tion théâ­trale, de la porter au cœur des préoc­cu­pa­tions des gens de théâtre et de la restituer aux spec­ta­teurs.

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