Christian Rizzo — Risquer le mépris plutôt que l’indifférence

Christian Rizzo — Risquer le mépris plutôt que l’indifférence

Entretien avec David Bernadas

Le 25 Avr 2005
SOIT LE PUITS ÉTAIT TRÈS PROFOND, SOIT ILS TOMBAIENT TRÈS LENTEMENT, CAR ILS EURENT LE TEMPS DE REGARDER TOUT AUTOUR de Christian Rizzo. - Photos Jean-Michel Hugo : l’association fragile.
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Article publié pour le numéro
L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
85 – 86
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DAVID BERNADAS : En tant qu’artiste, com­ment définis­sez-vous la notion de risque ?

Chris­t­ian Riz­zo : Il y a cette phrase que j’attribue, peut-être à tort, à Claes Old­en­burg lors d’un entre­tien avec Isamu Nogushi : « un seul risque me préoc­cupe, celui de ne pas être com­pris. » L’enjeu du risque est éminem­ment per­son­nel : en met­tant en forme une vision, l’artiste prend le risque d’être con­fron­té à une incom­préhen­sion totale, d’être mis face à ses pro­pres mal­adress­es.

D. B.: Le risque est-il présent dans votre recherche ?

C. R.: Parce que je choi­sis de servir mon pro­pos plutôt que d’énoncer une propo­si­tion for­matée, je prends le risque d’être en con­tra­dic­tion avec des critères d’appréciation qui pour­raient con­stituer une norme. Pren­dre un risque, c’est aus­si cer­taine­ment accepter que quelque chose m’échappe puisque chaque spec­ta­teur, lorsqu’il pénètre dans une salle de théâtre, attaque les enjeux de la représen­ta­tion avec sa pro­pre sin­gu­lar­ité.

D. B.: Les pro­jets présen­tés aujourd’hui sur les scènes européennes vous sem­blent-ils for­matés ?

C. R.: Ceux qui affir­ment leur sin­gu­lar­ité exis­tent mais ils sont peut-être encore trop rares… Le fait de dévelop­per des pro­jets basés sur des grilles de lec­ture nor­mal­isées, cor­re­spon­dant à une époque et à un ter­ri­toire, représente pour moi le dan­ger d’ériger un « académisme » dans les arts con­tem­po­rains. Je crains aus­si que des pro­jets extra-européens ou non-occi­den­taux emboî­tent le pas à ces critères, sim­ple­ment pour répon­dre à des besoins de dif­fu­sion.

D. B.: Com­ment inté­gr­er le risque à votre pra­tique ?

C. R.: Il s’agit de met­tre en péril mon regard sur mon pro­pre tra­vail. Cela peut pass­er par une série de ques­tions : com­ment observ­er ? Com­ment partager les enjeux du tra­vail avec de nou­veaux col­lab­o­ra­teurs ? Com­ment m’attaquer à une forme que j’ai moi-même du mal à définir ?

SOIT LE PUITS ÉTAIT TRÈS PROFOND, SOIT ILS TOMBAIENT TRÈS LENTEMENT, CAR ILS EURENT LE TEMPS DE REGARDER TOUT AUTOUR de Chris­t­ian Riz­zo. — Pho­tos Jean-Michel Hugo : l’association frag­ile.

D. B.: Dans cette démarche, de quoi ou de qui vous libérez-vous ?

C. R.: Cela me per­met d’être beau­coup plus com­plexe qu’une sim­ple image et de ne pas pro­duire ma pro­pre norme. C’est aus­si une aven­ture col­lec­tive qui me per­met de me libér­er d’une mar­que de fab­rique. Il s’agit d’être ensem­ble pour accéder au vivant, pour entr­er en fric­tion avec le pub­lic. Je préfère ris­quer le mépris plutôt que d’être con­fron­té à l’indifférence et s’il faut pass­er par le con­flit, je suis prêt à l’accepter. L’objet à réalis­er est à chaque fois vivant et réac­tivé : le risque existe à la fois sur le plateau et dans la salle, pen­dant la représen­ta­tion, et surtout après…

D. B.: À pro­pos du con­flit, quelle est votre posi­tion vis-à-vis de l’institution qui vous finance ?

C. R.: Je pense qu’on gagne à con­sid­ér­er que l’institution nous est extérieure mais qu’il s’agit bel et bien d’une entité dans laque­lle nous sommes inclus. Nous tra­vail­lons donc ensem­ble, à côté d’autres artistes, à l’intérieur de ce sys­tème com­plexe.

D. B.: Le risque est-il inscrit d’emblée dans l’élaboration, et donc dans la pro­duc­tion d’un spec­ta­cle ?

C. R.: Dans chaque pro­duc­tion, il y a par essence un enjeu financier qui est notam­ment réper­cuté sur le temps de tra­vail. Des ques­tions budgé­taires m’ont tou­jours con­duit à recon­sid­ér­er un pro­jet, à faire des choix. La notion de risque est donc aus­si liée à chaque pro­jet : de l’un à l’autre, je veux rester au plus près du désir qui l’a fait naître et lui don­ner une forme sans me laiss­er inter­fér­er par ce qui est déjà en place.

SOIT LE PUITS ÉTAIT TRÈS PROFOND, SOIT ILS TOMBAIENT TRÈS LENTEMENT, CAR ILS EURENT LE TEMPS DE REGARDER TOUT AUTOUR de Chris­t­ian Riz­zo. — Pho­tos Jean-Michel Hugo : l’association frag­ile.

D. B.: Est-ce que le désir dont vous par­lez est à rap­procher d’une pul­sion ?

C. R.: Non, je par­le d’une sen­sa­tion qui a besoin d’un objet formel pour se com­pren­dre. Le proces­sus de fab­ri­ca­tion me met face à un manque : pren­dre un risque, c’est essay­er d’être au plus proche de mon désir, de la représen­ta­tion que je me fais moi-même de ce manque.

D. B.: Par la prise de risque, que pensez-vous bris­er, que pensez-vous attein­dre ?

C. R.: Je cherche à réin­ven­ter con­stam­ment : que rien ne soit fixe, que tout soit en mou­ve­ment… Je par­le d’une capac­ité à réin­ven­ter le monde : le monde n’est pas, il est à inven­ter au quo­ti­di­en pour pou­voir le com­pren­dre ! Il s’agit donc de bris­er les habi­tudes de regard qui sont faites sans choix. « Pren­dre des risques », « être en révolte»… J’intègre ces deux notions en esti­mant que le monde n’est pas et qu’il doit s’inventer.

D. B.: Le renou­velle­ment de la forme doit-il pass­er par la prise de risque ?

C. R.: Le risque fait pour moi par­tie de la donne. J’ai tou­jours cette image du funam­bule pour qui le déséquili­bre et la chute font par­tie inté­grante du tra­vail, au quo­ti­di­en : les formes mis­es en jeu dans un théâtre ne doivent pas s’inscrire, nous devons les amen­er à se renou­vel­er.

D. B.: Quelle dif­férence faites-vous entre risque et provo­ca­tion ?

C. R.: Il y a une attente de résul­tat dans la provo­ca­tion, alors que la prise de risque cor­re­spond à quelque chose de plus mou­vant, qui n’est pas adressé. Le risque n’est pas tou­jours vis­i­ble, il peut se lire en sous-texte, notam­ment dans la forme et surtout lorsqu’il cor­re­spond à quelque chose d’intime.

D. B. : Quelle place occupe selon vous Artaud par rap­port à cette prob­lé­ma­tique du risque ?

C. R. : Artaud, c’est une vie d’artiste poussée à son parox­ysme. Mis à l’écart, affamé, empêché dans son tra­vail. C’est la ver­sion extrême de l’artiste qui assume, ou pas – je ne sais pas à quel point il a été capa­ble d’interroger sa pra­tique d’artiste –, le risque d’être totale­ment déplacé. Il a sans doute accep­té d’être incom­pris pour con­tin­uer à réin­ven­ter le monde…

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