Jan Lauwers — L’art, la philosophie et le théâtre

Jan Lauwers — L’art, la philosophie et le théâtre

Entretien avec Nancy Delhalle

Le 24 Avr 2005
NEEDLAPB 10 de Jan Lauwers / Needcompany. - Photo Needcompany.
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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
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NANCY DELHALLE : Vous avez une for­ma­tion de plas­ti­cien et vous choi­sis­sez le théâtre. Pourquoi cette option ?

Jan Lauw­ers : J’ai étudié les arts plas­tiques à l’Académie Royale de Gand. Vers 1976 – 1977, le con­cep­tu­al­isme dom­i­nait dans l’art. Or, à l’époque, il me sem­blait qu’il fal­lait être davan­tage philosophe qu’artiste. J’ai donc cher­ché un autre médi­um. Pen­dant dix ans, je n’ai plus fait de pein­ture. Je n’aimais pas le théâtre qu’alors je ne con­sid­érais pas comme un art. Cepen­dant, il m’est apparu comme un moyen de redéfinir l’art. J’ai donc quit­té Gand pour Anvers où j’ai débuté avec des amis, dont des musi­ciens, tous artistes ama­teurs. Nous avons créé « Epigo­nen » avec une per­spec­tive assez poli­tique : nous voulions être un col­lec­tif. Mais le col­lec­tivisme dans l’art n’existe pas et j’ai pris de plus en plus la respon­s­abil­ité. Après cinq ans, Epigo­nen a cessé d’exister. J’ai créé Need­com­pa­ny (I need com­pa­ny : j’ai besoin d’un groupe). La soli­tude de l’atelier et le tra­vail social dans le théâtre sont deux choses con­tra­dic­toires mais néces­saires pour moi.

N. D.: La musique sem­ble tenir une place très impor­tante dans votre tra­vail ? Quelle « fonc­tion » lui don­nez-vous ?

J. L.: La musique a chaque fois une place et une fonc­tion dif­férentes. Par exem­ple, dans cer­tains spec­ta­cles de danse, la musique fait la dra­maturgie d’un con­cept à l’instar du texte dans le théâtre. On peut utilis­er la musique d’une manière illus­tra­tive ou pour provo­quer des émo­tions ou d’une manière autonome. Par exem­ple, dans LA CHAMBRE D’ISABELLA, la musique a une force de séduc­tion, un grand pou­voir émo­tion­nel.

N. D.: Le tra­vail de la langue et des voix est élaboré dans le même sens…

J. L.: Je suis comme un dirigeant d’orchestre ou un com­pos­i­teur frus­tré. Pour moi, tout, dans le théâtre, est une ques­tion de tim­ing, de jeu avec le temps. La musique per­met ce jeu. Les mots, les gestes d’un acteur, tout est une com­mu­ni­ca­tion d’énergies à la manière d’une com­po­si­tion de musique.

N. D.: Le polylin­guisme relève-t-il d’une « stratégie » inter­na­tionale ou par­ticipe-t-il d’une philoso­phie ?

J. L.: Quand j’ai com­mencé à faire du théâtre, je voulais lut­ter con­tre le nation­al­isme qui me paraît être, selon les mots d’Einstein, une mal­adie d’enfant de notre civil­i­sa­tion. Mais cette mal­adie est dev­enue un can­cer. La seule manière de défendre une iden­tité est de détru­ire ce nation­al­isme. Si la langue que je par­le n’a pas d’importance à mes yeux, alors, je deviens peut-être fla­mand. Car cela ne m’intéresse pas d’être fla­mand, je suis né comme cela, ça n’a aucune valeur en soi. Le présen­ter comme une valeur me paraît faux et provoque des guer­res. Dès le début, j’ai voulu tra­vailler avec dif­férentes langues et des per­son­nes de nation­al­ités dif­férentes. On a donc joué en fla­mand LE ROI LEAR, à New York, sous-titré en anglais. En Bel­gique, nous jouons sou­vent en anglais sous-titré en fla­mand, ou en français…

N. D.: La vio­lence, la mort, la guerre sont des élé­ments à par­tir desquels s’amorce pour vous la créa­tion. Mais votre tra­vail ne s’inscrit pas explicite­ment dans la recherche de la trans­gres­sion.

J. L.: Comme artistes, nous trans­gres­sons sans cesse. L’artiste doit être à côté d’une morale, il peut pos­er des ques­tions mais non pro­pos­er des choses nou­velles. La morale est liée à la philoso­phie et la philoso­phie est dif­férente de l’art. L’art com­mence là où l’hystérie prend sa forme dans la philoso­phie. Un artiste doit analyser et laiss­er aller sa pro­pre hys­térie. Faire cela en poli­tique, par exem­ple, est néfaste, cela devient du fas­cisme. La philoso­phie s’arrête où tout devient noir. Seul l’art peut encore dire quelque chose à cet endroit. Quand je suis en train de faire un dessin, je ne sais pas ce que je fais. Après, je peux analyser. Le monde artis­tique touche au poli­tique, à la philoso­phie, à la morale… mais c’est quand même juste une sorte de trou noir hys­térique. Cela fait peur et con­duit, dans la société cap­i­tal­iste ou anar­cho-cap­i­tal­iste, à vouloir par­fois sup­primer l’art. Si je fais du théâtre, c’est parce que c’est com­plète­ment inutile dans cette société-là. Le théâtre ne peut pas être joué en Bourse comme une pein­ture par exem­ple, dont l’artiste perd le con­trôle puisque le marché cap­i­tal­iste décide, abstrac­tion faite de la valeur de l’art. Avec le théâtre, on ne peut jamais devenir riche et on ne touche qu’une petite élite de gens. En ce sens, il est incon­trôlable et irrécupérable par l’anarcho-capitalisme. Les sub­ven­tions sont fon­da­men­tales parce que le théâtre est un out­il de la démoc­ra­tie et que la démoc­ra­tie doit défendre les minorités con­tre la dic­tature de la majorité. Le théâtre est cher, inutile et ne touche pas les mass­es – il est très éli­taire –, cela le rend irrécupérable.

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Jan Lauwers
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Nancy Delhalle
Nancy Delhalle est professeure à l’Université de Liège où elle dirige le Centre d’Etudes et...Plus d'info
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