Stanislavski et les Studios

Stanislavski et les Studios

Le 30 Oct 2005

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Stanislavski Tchekhov - Couverture du Numéro 87 d'Alternatives ThéâtralesStanislavski Tchekhov - Couverture du Numéro 87 d'Alternatives Théâtrales
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MON COLLÈGUE Ana­toli Smelian­s­ki com­mençait sou­vent ses con­férences par la phrase : « Stanislavs­ki est un mythe ». Cette boutade con­tient une grande part de vérité. À la mort de Stanislavs­ki, en 1938, à peine une cen­taine de per­son­nes en Russie com­pre­nait le Sys­tème. La pre­mière par­tie du TRAVAIL DE L’ACTEUR SUR LUI-MÊME parut deux semaines après sa dis­pari­tion. Quant à la « méth­ode des actions physiques », Stanislavs­ki n’en par­le dans aucun de ses écrits. Les meilleurs témoignages à ce sujet nous vien­nent de ceux gui ont tra­vail­lé avec lui dans le Stu­dio d’opéra dra­ma­tique entre 1935 et 1938.

Mon pro­pos est de mon­tr­er qu’il y a bien eu con­ti­nu­ité entre le tra­vail de ce dernier Stu­dio, en réal­ité le cinquième créé par Stanislavs­ki, et celui du pre­mier Stu­dio fondé en 1912.

Débuts du « Système », naissance du premier Studio

Les orig­ines du pre­mier Stu­dio remon­tent à 1905, aux débuts du con­flit gui oppose Stanislavs­ki à Nemirovitch-Dantchenko, co-fon­da­teur du Théâtre d’Art (MKhAT). À ce moment-là, Stanislavs­ki, con­va­in­cu que le théâtre som­bre dans un nat­u­ral­isme stérile, qu’ il qual­i­fiera plus tard de « poi­son théâ­tral », finance une troupe de jeunes comé­di­ens dirigés par Mey­er­hold que Nemirovitch-Dantchenko détes­tait. Mey­er­hold reve­nait à Moscou après trois années de tra­vail et de recherche en province et débor­dait d’idées. Il conçoit l’idée d’un théâtre expéri­men­tal, un« Stu­dio », terme qu’il invente. Stanislavs­ki l’ac­cueille avec ent­hou­si­asme. Nemirovitch, par con­tre, est out­ré par les nou­velles méth­odes pré­con­isées, notam­ment l’im­pro­vi­sa­tion. L’idée que l’on puisse impro­vis­er sur un texte dra­ma­tique est pour lui blas­phé­ma­toire.

Défenseur d’un théâtre du verbe, il con­sid­ère la scène comme « la ser­vante de la lit­téra­ture » et la mise en scène comme l’il­lus­tra­tion d’une analyse lit­téraire préal­able minu­tieuse. Con­ser­va­teur de tem­péra­ment, il croit que le Théâtre d’Art a trou­vé la bonne voie : la sienne, qu’il essaie d’im­pos­er depuis le début.

Pour Stanislavs­ki, au con­traire, le théâtre devient de plus en plus un art indépen­dant, syn­théti­sant plusieurs élé­ments, dont le texte. Con­traire­ment à Nemirovitch, Stanislavs­ki vit dans un état d’in­sat­is­fac­tion per­ma­nente. C’est ce gui le rap­proche de Mey­er­hold car mal­gré leurs dif­férences, tous deux sont des hommes de théâtre et non des lit­téraires. Si nous étu­dions les plans de mise en scène de LA MOUETTE, d’ON­CLE VANJA, des TROIS SŒURS, de LA CERISAIE, nous n’y trou­vons pas la moin­dre analyse textuelle ou psy­chologique. Stanislavs­ki indique ou même dicte ce que les comé­di­ens doivent faire, rien de plus.

L’an­née suiv­ante, 1906, voit la nais­sance du « Sys­tème » dont les orig­ines remon­tent à 1889 quand, dans son cahi­er de notes, Stanislavs­ki se demande s’il n’ex­iste pas une « gram­maire » du jeu du comé­di­en, une struc­ture, des procédés gui per­me­t­traient de représen­ter la vérité humaine tout en respec­tant les prin­ci­pales con­ven­tions scéniques.

Ces deux élé­ments per­tur­ba­teurs, Mey­er­hold et le « Sys­tème », créent entre Stanislavs­ki et Nemirovitch un véri­ta­ble état de guerre gui cul­mine en 1907. En témoigne un échange de let­tres dont le ton est par­fois d’une extrême vio­lence 1. De col­lègues fidèles, Stanislavs­ki et Nemirovitch-Dantchenko sont devenus des frères enne­mis ; ils essaient de résoudre leurs dif­férends mais sans suc­cès. En 1908, Stanislavs­ki démis­sionne du con­seil d’ad­min­is­tra­tion et laisse les pleins pou­voirs admin­is­trat­ifs à son adver­saire. Mais il exige le droit de mon­ter une pièce de son choix chaque sai­son, selon sa nou­velle méth­ode, dans une lib­erté artis­tique absolue.

Nemirovitch red­oute le départ défini­tif de Stanislavs­ki : celui-ci par­ti, le théâtre dis­paraî­trait aus­sitôt. Aus­si joue-t-il dou­ble jeu. Il déclare en 1910 que le « Sys­tème » devien­dra la méth­ode de tra­vail offi­cielle de la troupe, tout en faisant tout son pos­si­ble pour le sabot­er. Notons que la « vieille garde » du MKhAT, les comé­di­ens fon­da­teurs de la troupe, y com­pris l’épouse de Stanislavs­ki, Lili­na, éprou­vaient de sérieuses réserves à l’é­gard du « Sys­tème ».

Après les suc­cès rem­portés, pourquoi tout ris­quer en se lançant dans l’in­con­nu ? La ter­mi­nolo­gie dont Stanislavs­ki se sert en 1908 – 1909, mélange hétéro­clite d’ex­pres­sions tirées de la psy­cholo­gie (une dis­ci­pline sci­en­tifique nou­velle en ce début de siè­cle) et du yoga, n’arrange guère les choses. La notion de ce que nous appelons aujour­d’hui la com­mu­ni­ca­tion non-ver­bale — trans­mis­sion muette de la pen­sée — parais­sait une aber­ra­tion. Gogol, pour­tant, en avait déjà par­lé.

Stanislavs­ki met tous ses espoirs dans les jeunes. Mais il se voit pré­cisé­ment exclu de l’é­cole du MKhAT sous pré­texte qu’il « y sème la con­fu­sion ». Cette exclu­sion n’est jamais déclarée ouverte­ment. On trou­ve tout sim­ple­ment des pré­textes pour l’empêcher d’y faire cours. Face à une sit­u­a­tion qu’il qual­i­fie de « mal­hon­nête », Stanislavs­ki réag­it comme il en a l’habi­tude : en prenant une déci­sion rad­i­cale. Le sou­venir du Stu­dio de Mey­er­hold lui revient à l’e­sprit. Quoique ce Stu­dio ait été un échec, il a man­i­festé une volon­té d’ou­ver­ture, de recherche, de créa­tion, de renou­velle­ment, de raje­u­nisse­ment. Stanislavs­ki fonde le pre­mier Stu­dio, en marge de la mai­son mère dont il s’éloigne de plus en plus afin de se con­sacr­er le plus pos­si­ble à ses élèves. Par­mi eux se trou­vent Evgueni Vakhtan­gov, Richard Boleslavs­ki et Mikhaïl Tchekhov.

Le pro­gramme d’en­traîne­ment du comé­di­en, tel que nous le con­nais­sons d’après LE TRAVAIL DE L’ACTEUR SUR LUI-MÊME, existe déjà. On voit aus­si déjà net­te­ment se dessin­er les orig­ines de la « méth­ode des actions physiques », générale­ment asso­ciée à la péri­ode des années 1930. Ce qui est faux : pour des raisons poli­tiques et idéologiques, afin de met­tre Stanislavs­ki au Pan­théon de l’art sovié­tique, les autorités ont propagé la notion d’une « rup­ture » entre un Stanislavs­ki bour­geois, idéal­iste et un « nou­veau » Stanislavs­ki, matéri­al­iste.

Trois doc­u­ments cepen­dant nous prou­vent que les bases du « Sys­tème » et de la « méth­ode des actions physiques » sont jetées dès 1914 :

- Les notes des huit con­férences don­nées par Vakh tan­gov au pre­mier Stu­dio en 1914 ;

- un arti­cle de Mikhaïl Tchekhov paru en 1919 ;

- une mono­gra­phie de Vladimir Volken­stein pub­liée en 1922.

Les con­férences de Vakhtan­gov présen­tent l’essen­tiel de la for­ma­tion du comé­di­en telle qu’elle sera exposée par Stanislavs­ki dans la pre­mière par­tie du TRAVAIL DE L’ACTEUR SUR LUI-MÊME :

- décon­trac­tion mus­cu­laire (svo­bo­da mychts)

- con­cen­tra­tion (sosre­do­totchen­nost)

- vérité, naïveté, jus­ti­fi­ca­tion (vera, naivnost, oprav­danie)

- cer­cle de l’at­ten­tion (kroug vni­ma­nia)

- tâche (zadatcha )

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Écrit par Jean Benedetti
Jean Benedet­ti est his­to­rien du théâtre, comé­di­en, tra­duc­teur (V. Toporkov, Stanislavs­ki in Rehearsal, Lon­don, Methuen, 2001) et auteur...Plus d'info
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#87
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