Comme si nous regardions tous les deux dans la même direction

Comme si nous regardions tous les deux dans la même direction

Entretien avec Jean-François Sivadier

Le 19 Jan 2006

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Jean-François Sivadier est comé­di­en et met­teur en scène. En tant que met­teur en scène, il a créé Ital­i­enne avec orchestre, Madame But­ter­fly, Ital­i­enne, scène et orchestre, Le Mariage de Figaro, Noli me tan­gere, La Vie de Galilée, La Mort de Dan­ton. Il a égale­ment mon­té avec Yann-Joël Collin La Nuit des rois de Shake­speare, et ter­miné la créa­tion de Didi­er-Georges Gabi­ly, mort pen­dant les répéti­tions de Don Juan et Chimère. En tant qu’acteur, il a joué dans les pièces de plusieurs met­teurs en scène, y com­pris dans les siennes, aux côtés de Nico­las Bouchaud.
La rela­tion de tra­vail priv­ilégiée entre Jean-François Sivadier et Nico­las Bouchaud sem­ble s’expliquer à maints égards1 : une idée en com­mun du jeu, une vision du théâtre néces­saire aujourd’hui et, apparem­ment, la joie partagée d’occuper un plateau — en vis-à-vis, et côte à côte… « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », a résumé Michel de Mon­taigne à pro­pos de son immense ami­tié lit­téraire et humaine avec La Boétie. Jean-François Sivadier et Nico­las Bouchaud évo­quent les raisons de leur com­plic­ité dans les deux formes de duo qui les lient : met­teur en scène-acteur et acteur-acteur.

Sylvie Mar­tin-Lah­mani : Aujourd’hui, vous vous sen­tez plutôt comé­di­en ou met­teur en scène ?

Jean-François Sivadier : Je suis un comé­di­en qui fait de la mise en scène plutôt qu’un met­teur en scène qui joue. Je pense diriger le plateau d’un point de vue de comé­di­en.

S. M.-L. : Quand avez-vous décidé de tra­vailler avec Nico­las Bouchaud ?

J.-F. S. : Nous nous sommes ren­con­trés en 1993 à l’occasion d’Enfonçures, un spec­ta­cle de Didi­er-Georges Gabi­ly. Nous étions tous les deux acteurs. La pre­mière fois que j’ai eu envie de tra­vailler avec lui, c’était quand nous étions réu­nis autour de Don Juan et Chimère, moi en tant que met­teur en scène et lui comme acteur. Ensuite, j’ai créé Ital­i­enne avec orchestre, sans lui. Puis j’ai écrit Noli me tan­gere pour huit acteurs, dont Nico­las. Tout de suite après, nous avons joué dans Hen­ry IV de Shake­speare, mis en scène par Yann-Joël Collin. J’ai ensuite mon­té Le Mariage de Figaro, avec Nico­las à nou­veau. Quelque chose se pas­sait entre nous quand nous jouions ensem­ble sur le plateau, mais aus­si quand je le dirigeais comme acteur. Dis­ons que nous nous enten­dions dans tous les sens du terme.

S. M.-L. : Quelle est la nature de cette entente « dans tous les sens du terme » ?

J.-F. S. : Nous savions pourquoi nous étions là : on était sur un plateau pour les mêmes raisons et on riait beau­coup ensem­ble — des mêmes choses, ce qui est très impor­tant. Nous avions, et nous avons encore, la même façon de par­ler ensem­ble des choses du plateau. On peut par­ler de ressem­blance et de com­plé­men­tar­ité : quand je vois Nico­las sur un plateau, j’ai l’impression que c’est moi, à ceci près qu’il va à un endroit, qu’il fait des choses que je ne sais pas faire. D’où ce sen­ti­ment de com­plé­men­tar­ité.

S. M.-L. : C’est un véri­ta­ble effet de miroir ?

J.-F. S. : Oui, ça arrive con­stam­ment. C’est comme un pro­longe­ment de la pen­sée, c’est comme s’il y avait un autre met­teur en scène sur le plateau qui con­tin­u­ait la pen­sée, par l’action, dans le jeu, c’est-à-dire qui con­tin­u­ait la pen­sée de la mise en scène par le jeu. Cette con­nivence qui est extrême avec Nico­las, je la cherche avec tous les acteurs qui sont autour de moi sur le plateau. Je souhaite qu’ils soient tous por­teurs de la mise en scène. Quand je tra­vaille avec Nico­las, je con­sid­ère que la rai­son même du spec­ta­cle réside déjà dans le choix de cet acteur-là. Pour l’instant, je n’imagine pas de mon­ter une pièce sans lui.

S. M.-L. : Pour vous, la néces­sité de mon­ter un spec­ta­cle réside dans le choix d’un texte ou d’un acteur ? Je car­i­ca­ture évidem­ment.

J.-F. S. : Non, ça n’est pas une car­i­ca­ture, c’est un peu les deux en même temps. Il y a des acteurs avec qui je tra­vaille depuis longtemps à qui je n’ai pas encore « ren­du hom­mage » sur le plateau, à qui j’aimerais don­ner un rôle très impor­tant. Actuelle­ment, je ne conçois pas de mon­ter des pièces avec des grands rôles et des petits rôles. J’essaie tou­jours de garder l’état de troupe. Même si Galilée offre l’exemple d’un rôle cen­tral, avec des rôles autour, il s’agit quand même d’un spec­ta­cle de troupe. Chez Nico­las, j’aime tout par­ti­c­ulière­ment sa manière d’être sur le plateau : il a une grande con­science de la mise en scène. Sans doute parce qu’on y pense beau­coup tous les deux en amont, et parce qu’il ne se met pas en avant — il pense énor­mé­ment aux autres. Ce qui m’importe, ce n’est pas tant le comé­di­en qu’il représente dans l’absolu, mais le comé­di­en qu’il est dans le tra­vail. S’il n’était qu’un comé­di­en vir­tu­ose, affir­mant osten­si­ble­ment son ego sur le plateau, fer­mé aux autres… cela ne m’intéresserait pas beau­coup. D’ailleurs je n’éprouve aucun attrait pour cette caté­gorie d’acteurs. Nico­las échappe à ce syn­drome parce qu’il a la con­science d’être dans un acte poli­tique, théâ­tral et artis­tique.

S. M.-L. : Con­crète­ment, votre rela­tion priv­ilégiée avec Nico­las se traduit com­ment : au moment du tra­vail sur le texte, dans le pas­sage au jeu… ?

Nicolas Bouchaud dans LA VIE DE GALILÉE de Bercolt Brecht, mise en scène de Jean-François Sivadier. Photo Alain Dugas.
Nico­las Bouchaud dans LA VIE DE GALILÉE de Bercolt Brecht, mise en scène de Jean-François Sivadier. Pho­to Alain Dugas.

J.-F. S. : Le tra­vail en amont sur le texte se fait avec Nico­las, mon assis­tante Véronique Tim­sit, et sou­vent aus­si avec une autre comé­di­enne, Nadia Van­der­he­den. Pour Le Mariage de Figaro comme pour La Vie de Galilée, nous avons par­lé ensem­ble de la pièce, du pro­jet, de l’espace, et bien sûr du jeu, de la mise en scène…, de la rai­son pour laque­lle on con­tin­ue à faire du théâtre en com­mun, de la néces­sité de faire cette chose dont je ne me lasse pas.

S. M.-L. : Dans une revue du TNS, con­sacrée au jeu de l’acteur, Nico­las dit que « rien ne serait pire qu’un per­son­nage logique dont tout nous paraî­trait plau­si­ble ». Vous ne craignez pas de ne plus être sur­pris par lui ? Vous n’avez pas peur de la décep­tion, de l’ennui, de la red­ite ?

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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Pro­fesseure asso­ciée à la Sor­bonne Nou­velle, Sylvie Mar­tin-Lah­mani s’intéresse à toutes les formes scéniques con­tem­po­raines. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive aux...Plus d'info
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