Jean Vilar sur Gérard Philipe
Non classé

Jean Vilar sur Gérard Philipe

Le 5 Jan 2006
Article publié pour le numéro
Les liaison singulières-Couverture du Numéro 88 d'Alternatives ThéâtralesLes liaison singulières-Couverture du Numéro 88 d'Alternatives Théâtrales
88
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

Lorsqu’il vint me trou­ver dans ma loge de l’Atelier en novem­bre 1950 et se pro­pos­er comme inter­prète, il savait bien que je n’avais pas de théâtre. Tout en me démaquil­lant ce soir-là, je regar­dais du coin de l’œil ce garçon célèbre que je con­nais­sais mal. Grand, dressé, le geste rare, le regard clair et franc, sa présence était faite à la fois de force calme et de fragilité.
Je lui dis que je pré­parais Avi­gnon 1951, c’est-à-dire le cinquième Fes­ti­val, et que c’était la seule entre­prise dont je pou­vais l’assurer. Il me répon­dit aus­sitôt qu’il serait donc du prochain Avi­gnon. Deux jours après, je lui remet­tais Le Prince de Hom­bourg. Il dit oui. J’ajoutai : « Et Le Cid ? ». Il bais­sa la tête, sourit, puis se tut.

« Il se méfi­ait de ses dons. Il me dit plusieurs fois au cours de répéti­tions : “Non, non, ne m’indique pas cela.” — “Mais c’est la meilleure façon pour toi de jouer ce pas­sage.” — “Pré­cisé­ment, pré­cisé­ment.” Il tra­vail­lait beau­coup. J’ai deux preuves cer­taines de cela, au moins : Ruy Blas et Richard II. Oui, sa réus­site ne fut pas celle de la chance ; c’est au bon et quo­ti­di­en tra­vail qu’il dut le plein épanouisse­ment de ses dons. »

« J’admirais que le con­trôle total de soi ne tua pas l’inspiration, ne glaça pas l’âme du per­son­nage. Et reste à jamais gravée dans ma mémoire de comé­di­en la danse noire et blanche du prince de Hom­bourg se couron­nant de lau­ri­ers au tout début de l’œuvre. Ah ! Quel Prince ! Visant à un meilleur effet, il ne recher­chait pas les effets. Pen­dant neuf ans enfin, il fut à l’égard du T.N.P. la fidél­ité même. Dire qu’il reçut d’autres théâtres des propo­si­tions ne sig­ni­fierait rien. Mais dire qu’il refusa d’interpréter ailleurs qu’au T.N.P. quelques œuvres essen­tielles de notre généra­tion, souligne les dures con­di­tions de cette fidél­ité qu’il s’imposait. Et enfin je puis, hélas !, le dire à présent : aucun con­trat signé ne liait Gérard au T.N.P. En huit ans, il ne deman­da aucune aug­men­ta­tion de salaire. Il n’y eut jamais un régime de faveur pour lui. Il ne récla­ma, il ne sug­géra jamais aucune clause par­ti­c­ulière. À l’affiche, enfin, son nom s’inscrivait, on le sait, à sa place alphabé­tique. Une année, comme la sai­son com­mençait mal, en 1952 je crois, je pris sur moi de faire un plac­ard pub­lic­i­taire (“Gérard Philipe dans…, etc.”). Ce fut tout. L’affection que ses cama­rades, que ses col­lègues lui témoignaient, et dont il avait un quo­ti­di­en besoin, venait aus­si de là. »

Mer­cre­di 3 févri­er 1954
« Hier soir, pour la pre­mière fois, Gérard dans le rôle de Richard II. À chaque fois, je m’émerveille de ses dons, de cette grâce qui sait rester dis­crète, de cette tech­nique si pure. Spec­ta­teur per­du au milieu de cette immense assem­blée, je regar­dais et j’écoutais.
[…]
La représen­ta­tion ter­minée, j’ai éprou­vé un sen­ti­ment de vide extrême comme après un long et épuisant effort. »

Non classé
1
Partager
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Les liaison singulières-Couverture du Numéro 88 d'Alternatives Théâtrales
#88
mai 2025

Les liaisons singulières

6 Jan 2006 — « Il importe de faire un pacte avec son âme. Et de s’y tenir loyalement.Ne souriez pas trop de la…

« Il importe de faire un pacte avec son âme. Et de s’y tenir loyalement.Ne souriez pas trop…

Par Georges Banu
Précédent
4 Jan 2006 — Quand, en 1950, Jean Vilar me demanda d’interpréter Rodrigue à Avignon, j’ai éclaté de rire, parce que j’avais été habitué,…

Quand, en 1950, Jean Vilar me deman­da d’interpréter Rodrigue à Avi­gnon, j’ai éclaté de rire, parce que j’avais été habitué, au Con­ser­va­toire, à faire une dis­tinc­tion dan­gereuse entre le méti­er de comé­di­en et celui de…

Par Gérard Philipe
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total