Loin de l’école
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Loin de l’école

Le 20 Oct 2006

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Couverture du Numéro 90-91 - Marc Liebens
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Il faut du tra­vail, encore du tra­vail. Il faut une école.

Alexan­dre Taïrov

L’enseignement de l’acteur n’a jamais changé, il faut lui ren­dre cette jus­tice. Il est aus­si déplorable sous tous les régimes, dans toutes les écoles.

Charles Dullin

Mais l’école, l’école, il nous faut une école.

Jacques Copeau

La récente fon­da­tion de la Haute École de théâtre de Suisse romande par les sept can­tons de langue française est une déci­sion pro­pre­ment his­torique. Cette insti­tu­tion mobilise la volon­té poli­tique et les moyens financiers de can­tons qui, pour la pre­mière fois, se sont unis pour se dot­er d’un out­il de for­ma­tion à voca­tion régionale, nationale et inter­na­tionale.

Sise à Pril­ly, com­mune indus­trielle lim­itro­phe de Lau­sanne, cette école a pris place dans les locaux d’une anci­enne man­u­fac­ture, d’où son nom. Idéale­ment située, entre le Jura et le lac Léman, à bonne dis­tance de Genève, ouverte sur la France et la Suisse romande, proche de la Suisse alle­mande et du Tessin, la Man­u­fac­ture occupe une posi­tion priv­ilégiée géo­graphique­ment et spir­ituelle­ment.

Le can­ton de Vaud, à l’image de la Suisse romande dans son ensem­ble, s’est dis­tin­gué pour avoir vu séjourn­er plusieurs fig­ures mar­quantes de la scène artis­tique et intel­lectuelle européenne, de Gogol au cou­ple Pitoëff en pas­sant par Dos­toïevs­ki, Strind­berg, Stravin­sky, Chap­lin ou Wal­ter Ben­jamin… Alliant la cul­ture du vin à la splen­deur du paysage, cette région offre, sans pour­tant que ses habi­tants en soient tou­jours con­scients, un cli­mat social et intel­lectuel prop­ice à la réflex­ion et au tra­vail.

En qua­tre ans, Yves Beaunesne et son équipe ont su con­stru­ire de toutes pièces une école active et solide, ouverte à des élèves suiss­es et étrangers, en cela con­forme à la plu­ral­ité des orig­ines et des influ­ences con­sti­tu­ant cette « province qui n’en est pas une », selon la per­ti­nente expres­sion de Charles-Fer­di­nand Ramuz.

Des jeunes gens à l’expérience vari­able et d’âges très dif­férents ont com­mencé à se diriger vers Lau­sanne, en prove­nance de Neuchâ­tel, Fri­bourg, Genève, mais aus­si de Greno­ble, Brux­elles ou Poitiers. Pour les accueil­lir, des pro­fesseurs, tous forte­ment engagés dans la scène con­tem­po­raine, se parta­gent des tâch­es fix­es pro­pres à la for­ma­tion de base (Robert Bou­vi­er, Denis Maille­fer, Marc Liebens, Philippe Morand, Michèle Mill­ner, Hei­di Kipfer, Philippe Saire, Mar­co Berret­ti­ni, notam­ment), alors que des inter­venants mul­ti­ples sont appelés à assur­er le renou­velle­ment réguli­er des points de vue et des pra­tiques. Ont enseigné ou vont bien­tôt s’y attel­er : Ben­no Besson, Claude Régy, Omar Por­ras, Émi­lie Valentin, Oskar Gomez Mata, Denis Mar­leau, Jaco Van Dor­mael, Isabelle Pousseur, André Steiger, Madeleine Mar­i­on, Lilo Baur, Jean-Louis Benoît, Claire Lasne, Pierre Débauché, Cécile Gar­cia-Fogel, Jean-Yves Ruf, notam­ment.

Lorsqu’en hiv­er 2002, Yves Beaunesne m’a pro­posé de réfléchir à une for­mule de cours alliant « théorie et pra­tique » dans la per­spec­tive d’un enseigne­ment prag­ma­tique de l’histoire du théâtre, nous sommes vite arrivés à l’idée de « sor­ties organ­isées » suiv­ies d’un « retour avec bilan ».

Sor­tir de l’école / ren­tr­er à l’école, c’est dans ce dou­ble mou­ve­ment d’ouverture et de repli que nous nous sommes effor­cés — avec San­drine Kuster, qui a accep­té de me rejoin­dre dans cette frag­ile ini­ti­a­tion — de met­tre sur pied un cours itinérant, à la manière d’une dra­maturgie appliquée. C’est ain­si que chaque nou­velle pro­mo­tion (A, B et, à présent, C) a été invitée, durant une année, à se ren­dre au spec­ta­cle (théâtre, danse, opéra, per­for­mance…) et à s’exercer à l’analyse cri­tique, au-delà des réac­tions spon­tanées et bien sou­vent faible­ment argu­men­tées.

Loin de l’école (ou la fièvre du ven­dre­di soir) est à pren­dre au pied de la let­tre. La pre­mière année, nous sor­tions le ven­dre­di soir, et le same­di matin nous repre­nions le fil de la dis­cus­sion engagée la veille, à chaud. Par la suite, ce ren­dez-vous rit­uel de fin de semaine a cédé la place à des allées et venues moins sys­té­ma­tiques. Mais la fièvre n’est pas retombée… En s’éloignant physique­ment de l’école, les élèves se retrou­vent, en groupe, non seule­ment face à des spec­ta­cles dif­férents mais aus­si dans des villes et des théâtres divers, loin de Lau­sanne : Mon­they, Annecy, Genève, Cham­béry, Thonon… Le déplace­ment physique est aus­si men­tal.

Faire sor­tir les élèves de l’école pour les con­duire au théâtre est un geste min­i­mal, voire un ser­vice min­i­mum. C’est à la fois volon­tariste et peut même sem­bler aller de soi. C’est pré­cisé­ment ce qui car­ac­térise notre démarche : tra­vailler sur les lieux com­muns, les réflex­es con­di­tion­nés, les juge­ments hâtifs et expédi­tifs, ten­tant de dépass­er ain­si le sem­piter­nel « j’aime / j’aime pas » pour se forg­er un regard et une pos­ture struc­turée. Exer­ci­ce d’observation et d’attention à ce qui est autre, qui ne cor­re­spond pas à ce que l’on croit savoir.

Notre mis­sion con­siste à dégager, dans la mul­ti­tude, les pos­si­bil­ités et le hasard des pro­gram­ma­tions, les quelques soirées sus­cep­ti­bles de leur faire pren­dre con­nais­sance de démarch­es vers lesquelles ils ne se tourn­eraient pas tou­jours d’eux-mêmes.

Aller au spec­ta­cle ensem­ble, éprou­ver séparé­ment, mais dans la prox­im­ité des autres, le jeu d’un comé­di­en, le style d’un texte, la dynamique d’une dis­tri­b­u­tion, la scéno­gra­phie, les lumières, le son, la mise en scène, sont des com­posantes qui appel­lent en retour une récep­tion con­crète et de préférence partage­able.

Sor­tir pour mieux nour­rir, appréci­er, com­pren­dre, con­tester ce que les travaux et les jours de l’école représen­tent : met­tre les enseigne­ments en per­spec­tive.

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Écrit par philippe macasdar
Philippe Macas­dar a mis en scène notam­ment Fer­nan­do Arra­bal, Peter Weiss, Michel Vinaver, Michel Deutsch, Franz Xaver Kroetz,...Plus d'info
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Par yves beaunesne
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