COMME Jean Genet, avec qui il avait en commun sa fascination pour la pègre et son langage, Copi avait établi une classification très subtile des identités sexuelles, avec une gradation très fantaisiste de la féminité et de la virilité : plus les signes de masculinité étaient revendiqués et assumés, plus ils devenaient suspects, si bien que toute l’échelle sexuelle se renversait et qu’il devenait tout à fait impossible de s’y reconnaître. Qui était féminin, qui était masculin, qui était efféminé, qui était vrai, qui était faux, qui désirait quoi ? L’objet du désir était-il un indice permettant de comprendre la « réalité » de la sexualité d’un individu ? Les signes sociaux de représentation sexuelle ou identitaire étaient-ils en rapport avec les stimulations du désir ?
Pas plus que Genet (dont, signalons-le, il avait joué en italien LES BONNES, dans le rôle de Madame sous la direction de Mario Missiroli, avec pour partenaire Adriana Asti), Copi n’était un sociologue de la sexualité et de l’identité, mais c’étaient là des sujets qui le passionnaient, qu’il tournait en dérision, sur lesquels il s’exprimait longuement, sur tous les tons, dans ses romans, dans ses bandes dessinées, dans son théâtre et dans ses entretiens. Son principal instrument, pour communiquer ses opinions très fantasques là-dessus, était lui-même. Il se traitait lui-même comme une marionnette à travestir.
Ses romans « autobiographiques » abondent en confidences scabreuses et abracadabrantes, mais avec des passages réalistes qui éveillent un doute chez le lecteur. Son théâtre, aux dialogues lyriques (il écrivait parfois en vers, inspirés de la poésie « gauchesque » comme par exemple celle du FAUSTO CRIOLLO d’Estanislao Del Campo, elle-même experte en dérision) et crus, faisait volontiers apparaître des travestis : la Raulito dans CACHAFAZ est un archétype inoubliable et le couple Mimi et Fifi, dans LES ESCALIERS DU SACRE‑C UR, est le double porte-parole de toute une série d’idées reçues sur l’organisation de la prostitution dans le folklore de Montmartre, un folklore finalement presque inchangé depuis Francis Carco.
Dans un entretien paru dans Libération (entretien avec Alberto Cardin, le 10 – 11 juin 1978), Copi disait des Argentins : « Moi, je dirais qu’ils sont tous, tous, des folles… y compris les gigolos, bien sûr. Ils n’arrêtent pas de faire les folles… Regarde Carlos Gardel, par exemple. Des tapettes, des tapettes mélancoliques. Ça, ça serait la partie la plus pleurnicharde du tango, mais il y a aussi l’autre aspect : le guapo, le beau gosse, le compradito, le petit mac… Eux aussi. Mais les militaires aussi sont des folles, c’en est même incroyable, les plus folles de tous. » Suit une description du mariage des militaires et de leurs séances de torture, comme expression typique de la folle sadique. Bien entendu, il faut prendre avec précaution ce genre de délire politicosexuel (alors que Copi a été extraordinairement engagé contre la dictature militaire et a été un des premiers à en pâtir), qui manifeste plus un humour d’intellectuel qu’une apparente irresponsabilité. L’humour intellectuel argentin passe inévitablement par la dérision, ce qui ne signifie pas l’indifférence ou le je‑m’en-foutisme (le « qualunquismo » italien).
C’est ce même humour qui fera écrire à Copi son chef‑d’œuvre, UNE VISITE INOPPORTUNE, probablement l’un des plus grands textes jamais écrits sur le sida par un malade du sida. Pièce traversée par un rire délicieux, qui n’a rien de morbide, rien d’amer. Une énorme joie dans le désastre du monde.