LES TAMBOURS se sont tus et, de l’extérieur, on ne les entend plus ; c’est le silence qui règne dans le jardin de la Cartoucherie, silence du théâtre qui, chose rare pour le Théâtre du Soleil, travaille sans résonner vers l’extérieur. Comme s’il s’était replié sur lui-même pour une recherche autre… Jean-Jacques Lemêtre a réduit le nombre des instruments et cette fois-ci, seul, surplombant les comédiens, il alterne des musiques fines, des mélodies sereines ; il ne rehausse plus le jeu mais instaure un climat oublieux des exaltations de jadis, climat imprégné d’une affectivité inconnue. Musique presque de chambre, rétive à tout déploiement épique, musique du témoignage, de tous ces témoignages que livre le spectacle ! Elle les encourage autant qu’elle les accompagne, en douceur, de près, sans violence aucune. Cette musique dirige, pour reprendre une de ces formules étranges chères à Grotowski, vers « dedans-soi-même ». Pas à pas, sentier du cœur.
L’espace lui non plus ne ressemble plus à l’ancienne disposition frontale adoptée il y a vingt ans déjà, au temps des SHAKESPEARE, lors du retour au texte. Point de plateau sur lequel évoluent les personnages aux prises avec l’Histoire, agités et emportés par la fièvre des mots clamés autant que par les combats à mener. Ici, personne ne s’avance désormais afin de s’exposer sur la scène, d’amorcer un conflit, de livrer bataille. Les grondements sonores se sont éteints et la frontalité a perdu de sa superbe, symptômes de mutation : le Soleil montre un visage inédit que LE DERNIER CARAVANSÉRAIL annonçait et que LES ÉPHÉMÈRES confirment.
L’espace renvoie plutôt à un paysage où les spectateurs se trouvent disposés sur deux collines qui se font face et qu’une rivière sépare. Paysage paisible, paysage où, sans se confondre, acteurs et spectateurs s’inscrivent dans un lieu commun. Les uns regardent du haut de leur monticule, tandis que les autres, surgis sur de petits plateaux poussés avec une évidente maîtrise chorégraphique par des « servants de scène », kokens modernes, paraissent, racontent, disparaissent, emportés par le flot de la vie. Tout se joue entre cette émergence des personnages et leur effacement comme les feuilles qui épousent le mouvement de l’eau. Voilà des êtres qui se baignent dans la rivière de la vie, comme avait dit Héraclite, mais plus d’une fois, car ici ils reviennent pour tisser des histoires, esquisser des biographies. À force de réunir ces instants d’existence, le spectacle parvient à proposer non pas une tapisserie lisse, mais plutôt un patchwork polychrome, complexe et varié.