L’écriture au centre d’un processus collectif

Entretien
Théâtre

L’écriture au centre d’un processus collectif

Entretien avec Galin Stoev

Le 9 Juil 2007
Vincent Lécuyer dans GENÈSE NO 2, mise en scène Galin Stoev, Théâtre de la Place, Liège, 2006. Photo Anoek Luyten.
Vincent Lécuyer dans GENÈSE NO 2, mise en scène Galin Stoev, Théâtre de la Place, Liège, 2006. Photo Anoek Luyten.

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Vincent Lécuyer dans GENÈSE NO 2, mise en scène Galin Stoev, Théâtre de la Place, Liège, 2006. Photo Anoek Luyten.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 93 - Ecrire le monde autrement
93

TANIA MOGUILEVSKAIA : Tu as déjà réal­isé qua­tre mis­es en scène1 des pièces du jeune auteur russe Ivan Viri­paev. Qu’est-ce qui t’intéresse en par­ti­c­uli­er dans ses textes ?

Galin Sto­ev : Lorsqu’il y a six ans, j’ai lu en russe sa pre­mière pièce, LES RÊVES, j’ai ressen­ti quelque chose de très fort. Je n’avais pas la moin­dre idée de com­ment on pou­vait la met­tre en scène ! Mais pen­dant la lec­ture, le spec­ta­cle s’était pour ain­si dire déroulé au creux de mon ven­tre et d’une façon très énergé­tique. Ce qui m’a plu dans OXYGÈNE, c’est l’adresse directe au spec­ta­teur, cette manière de dévers­er un flot de mots dans la salle. Et aus­si le choix de la forme « con­cert » qu’il pro­pose : dix chants avec cou­plets et refrains. Il y a égale­ment la musi­cal­ité par­ti­c­ulière de cette parole et le développe­ment du sujet qui ne suit pas une logique linéaire, mais une logique du déploiement musi­cal. GENÈSE No 2 m’a paru encore plus intéres­sant parce qu’encore plus com­pos­ite. Ici, Viri­paev part d’un texte écrit par la patiente d’un hôpi­tal psy­chi­a­trique. Avec son autori­sa­tion, il com­pose une œuvre qui, out­re la pièce orig­i­nale d’Antonina Velikano­va, com­prend des extraits de leur cor­re­spon­dance, des com­men­taires sur ce texte et quelques « cou­plets comiques » signés Viri­paev.

Ce qui m’a inter­pel­lé dans cha­cun de ces textes, c’est le type par­ti­c­uli­er de com­mu­ni­ca­tion qu’ils instau­rent au niveau théâ­tral. Cette écri­t­ure a ébran­lé mes pro­pres lim­ites de com­préhen­sion. Si l’on abor­de ces textes de manière sim­ple­ment lit­térale, on sera prob­a­ble­ment frap­pé, voire choqué, par la rad­i­cal­ité de cer­taines options idéologiques. Mais je me tiens à dis­tance du car­ac­tère un peu mes­sian­ique de cette écri­t­ure. Ce qui m’intéresse davan­tage, c’est la sit­u­a­tion de jeu pro­posée : « Je monte sur scène et je vais pouss­er les gens à penser active­ment, à pren­dre posi­tion, à faire des choix» ; c’est cela qui m’intéresse, beau­coup plus que de délivr­er des mes­sages pré­fab­riqués. À la lec­ture, les textes de Viri­paev sont pour ain­si dire incom­préhen­si­bles, mais ils sont por­teurs d’une remar­quable vital­ité ou, plus pré­cisé­ment, d’une théâ­tral­ité vitale : ils sont fon­da­men­tale­ment des­tinés à être joués plutôt que lus. C’est là un trait car­ac­téris­tique de sa dra­maturgie ; le lecteur ne peut être que con­fus et per­du dans ce jeu infi­ni de con­tra­dic­tions. Et cela vient du fait que la lec­ture est par déf­i­ni­tion une occu­pa­tion soli­taire, dans laque­lle il manque a pri­ori un autre à qui s’opposer con­crète­ment. La représen­ta­tion théâ­trale, à l’inverse, pro­pose une inter­ac­tion et une con­fronta­tion avec quelqu’un « ici et main­tenant» ; c’est unique­ment à tra­vers le jeu théâ­tral que l’on peut partager l’énergie des phras­es et en percevoir cor­porelle­ment le sens. Ces textes m’interpellent aus­si par leur côté inachevé, ou par une sorte de manque qu’ils por­tent et par le sens qui n’arrête pas de s’enfuir.

T. M. : Com­ment tra­vailles-tu avec les acteurs ? Dans GENÈSE No 2, cha­cun des trois inter­prètes2 sem­ble dis­pos­er d’une grande lib­erté. Mais en même temps, on se demande si cette facil­ité, cette aisance qu’ils ont à chang­er de statut n’est pas l’une des choses les plus dif­fi­ciles à attein­dre. Lorsque par exem­ple, ils entrent dans la peau du per­son­nage, et en ressor­tent aus­sitôt pour aller s’asseoir ou se balad­er en fond de scène…

G. S. : C’est juste­ment parce que la struc­ture du texte de GENÈSE No 2 est résol­u­ment ouverte que tout devient pos­si­ble. Il y a une grande lib­erté et c’est pré­cisé­ment cela qui nous a posé le plus de prob­lème. Face à ce texte, nous avions l’impression d’être dans une sorte de « palais des glaces ». Et cela nous a tous, dans un pre­mier temps, con­duit à un blocage com­plet. Petit à petit, j’ai com­pris que la lib­erté était à con­stru­ire à l’intérieur d’une struc­ture bien artic­ulée, et que c’était la seule voie qui pou­vait nous pro­téger de l’apparente anar­chie. À mon sens, le plus impor­tant dans ce proces­sus c’était la ques­tion du statut de l’acteur dans la représen­ta­tion. J’ai com­mencé par une idée sim­ple : l’acteur ne doit pas jouer le per­son­nage mais jouer « du per­son­nage », de la même façon qu’un musi­cien joue « de son instru­ment ». Le plus impor­tant, ce n’est pas le musi­cien ni l’instrument, mais la musique que nous enten­dons, qui naît de la rela­tion sub­tile qui se con­stru­it entre le musi­cien et son instru­ment. Appliqué au jeu théâ­tral,
ce principe nous fait com­pren­dre que l’acteur ne doit pas jouer le per­son­nage, mais bien plutôt entr­er en rela­tion avec ce per­son­nage, pour faire enten­dre un thème. Très con­crète­ment, au début, nous nous sommes accordé une longue péri­ode d’improvisations très libres, pen­dant lesquelles cha­cun des comé­di­ens est par­ti à la recherche de « son pro­pre idiot intérieur » : il s’agissait pour cha­cun de s’inventer un alter ego et de lui laiss­er faire tout le tra­vail de répéti­tion ! Ce tra­vail, très drôle, nous a aus­si per­mis de manip­uler de façon très flu­ide, et en gar­dant une saine dis­tance, la matière rel­a­tive à la schiz­o­phrénie.

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Galin Stoev
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Tania Moguilevskaia
Tania Moguilevskaia termine une thèse de doctorat sur le théâtre russe contemporain et enseigne au...Plus d'info
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