Entretien avec Ingrid von Wantoch Rekowski réalisé par Bernard Debroux
Bernard Debroux : Comment naît un projet pour toi ? Tes projets, assez singuliers, trouvent souvent leurs origines dans la peinture ou la musique. A partir de quand ces projets deviennent-ils du théâtre ?
Ingrid von Wantoch Rekowski : Oui, la partition, l’émotion d’une musique ou la composition dans l’espace proposent à la scène une approche toute particulière. On observe ainsi l’être humain, de manière décalée, étrange, comme sous une loupe ou à travers un prisme. Évidemment, à partir de là, la simple approche du théâtre devient différente. Ensuite, il s’agit d’incarner cette matière musicale ( toujours liée à un texte ou une dramaturgie) ou visuelle avec les interprètes. Aujourd’hui par exemple, après avoir baigné dans le monde baroque, je sens la nécessité de ressourcer ma démarche. Pour évoluer et pour continuer à explorer sincèrement nos déchirements, nos tourments et nos paradoxes, il fallait élargir le champ de recherche. C’est une page qui se tourne. Cette saison, je ne ferai donc aucune création, mais je vais organiser un vaste chantier autour de l’univers wagnérien. Pour ce faire, un travail rigoureux et intense d’exploration, de réinitialisation, est indispensable.
Bernard Debroux : Cela signifie-t-il que le projet naît d’un processus de recherche, qu’il n’y a pas d’idées préconçues au départ ?
Ingrid von Wantoch Rekowski : Au départ de toute création, il y a bien sûr une intuition, une envie. Souvent, celle d’explorer des domaines encore inconnus. J’aime ce qui me trouble, m’intrigue ou m’inquiète. Avant toute répétition, je dois moi-même avancer, évoluer, me remettre en question, exiger quelque chose de nouveau de moi. C’est une mise en mouvement, une démarche. Les bases d’un projet naissent de ce processus.
Bernard Debroux : Dans le déroulement de tes projets, comment s’organisent ces trois étapes que sont la recherche, l’expérimentation et la création ?
Ingrid von Wantoch Rekowski : Dans la première phase, celle de la recherche, je consacre beaucoup de temps à la documentation. Ensuite, il s’agit de créer des collaborations intenses avec mes futurs collaborateurs : interprètes, compositeurs, dramaturges ou autres artistes. Avec eux, je discute, j’imagine, j’élabore. Quand les orientations sont fixées, c’est sur le plateau que se fait l’essentiel. C’est l’expérimentation scénique qui permet d’inventer les règles du spectacle. Pour autant, tous mes projets n’ont pas bénéficié de telles phases de travail. Cela dépend vraiment de la nature du projet et bien évidemment des finances. Chaque création demande un processus de réalisation ad hoc. Il y eut des cas où il fallut inventer un spectacle en quelques jours ou en trois semaines. Dans le travail d’opéra, le processus est également autre. Mais pour le chantier actuel, je souhaite prendre le temps.


