Entre songe et réalisme
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Entre songe et réalisme

Le 15 Nov 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 94-95 - Lars Norén
94 – 95
Article fraîchement numérisée
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Com­ment Lars Norén est-il en tant que met­teur en scène ? On pour­rait répon­dre facile­ment à cette ques­tion en affir­mant : sim­ple. Pour lui, la mise en scène est sim­ple, claire, pure : la ren­con­tre entre le texte et l’acteur joue le rôle prin­ci­pal.

Mais, bien enten­du, rien n’est aus­si sim­ple en ce monde. Encore moins au théâtre. L’activité lit­téraire de Lars Norén est aujourd’hui con­sid­érable. Il est extrême­ment pro­duc­tif, écrit deux ou trois pièces par an et en met en scène à peu près autant. Il s’est lancé dans la mise en scène au début des années 90 après avoir tra­vail­lé aupar­a­vant unique­ment en tant qu’auteur dra­ma­tique. Un auteur dra­ma­tique de plus en plus présent aux répéti­tions de ses nou­velles pièces au cours des années 80. Il écrivait de plus en plus sou­vent pour les acteurs au moment où la pièce pre­nait forme. En con­tact étroit avec les acteurs, il ajoutait des répliques ou en reti­rait pen­dant les répéti­tions. Ces pièces, que l’on appelle par­fois « les pièces d été » au ton plus léger, telle LE TEMPS EST NOTRE DEMEURE, ont été écrites au moment où Lars Norén était le dra­maturge du Dra­mat­en1, la scène nationale sué­doise.

Cette péri­ode peut être con­sid­érée comme un préam­bule aux années 90, comme une nou­velle phase dans son méti­er d’écrivain. Lors des pre­mières années de la décen­nie, il a écrit les PIÈCES MORTES, une série de treize pièces aux accents net­te­ment plus som­bres, dont quelques-unes font par­tie de celles qui sont le plus jouées à l’étranger telles que ROUMAINS ou CRISES. La pièce qui clôt cette série était UN GENRE DE HADÈS (1994) que Lars Norén a lui-même mise en scène pour la télévi­sion sué­doise deux ans plus tard. Le théâtre à la télévi­sion était une forme de théâtre très ambitieuse en Suède dans les années 90. Portée par les idéaux les plus nobles — mais peut-être aus­si de plus en plus passés de mode — elle voulait ren­dre le meilleur de l’art acces­si­ble à tous, y com­pris à ceux qui habitent dans les coins les plus reculés.

Langue imagée et décousue

UN GENRE DE HADÈS fut réal­isé en col­lab­o­ra­tion avec les réal­isa­teurs de la télévi­sion, cer­tains d’entre eux ayant déjà filmé de la danse. La pièce se passe dans un hôpi­tal psy­chi­a­trique et grâce à la caméra, les gros plans et les plans larges s’enchaînent rapi­de­ment et facile­ment, pas­sant har­monieuse­ment de la salle d’activités à la salle de récep­tion où la plu­part des scènes sont tournées. Jusqu’alors, les pièces de Lars Norén, à quelques excep­tions près, avaient été mon­tées dans un style de jeu psy­chologique­ment réal­iste et dans une scéno­gra­phie qui, tout en ne représen­tant pas tout à fait la réal­ité, se voulait néan­moins vraisem­blable. En Suède, la référence en matière de théâtre était évidem­ment Strind­berg et un jeu réal­iste. L’art dra­ma­tique de Strind­berg et le style de jeu qu’il a lui-même élaboré, com­men­té et enseigné à ses acteurs sont encore bien présents sur la scène sué­doise. Ing­mar Bergman, en tant que met­teur en scène de théâtre, est un très bon exem­ple de cette tra­di­tion et Lars Norén s’y inscrit égale­ment de bien des façons.

Dans UN GENRE DE HADÈS, Norén a cepen­dant essayé de ne pas être fidèle à sa pro­pre tra­di­tion. Le lan­gage imagé était décousu, libre, la com­po­si­tion des images s’apparentant à de la pein­ture. D’une part des por­traits minu­tieux, intimes, d’autre part de beaux et radieux por­traits de groupe empreints de calme, quelques séquences mou­ve­men­tées, presque emblé­ma­tiques, comme celle où la jeune et mani­aque Julia se pré­cip­ite dans le couloir de l’hôpital en per­dant sa servi­ette con­tenant tous ses livres. Sa rai­son d’être, sa vie, se désagrè­gent dans les airs pour retomber au sol dans un mou­ve­ment de ralen­ti.

Il a réus­si à con­stru­ire un rythme calme, à nous racon­ter son his­toire par une suc­ces­sion d’images pais­i­bles. Tout à coup, au lieu de ce flot d’images inces­sant qui inonde le petit écran, sur­git quelque chose d’autre. Le temps, comme figé, va tran­quille­ment à la ren­con­tre du spec­ta­teur. Lais­sant lente­ment, net­te­ment, inex­orable­ment, appa­raître de façon tout à fait com­préhen­si­ble l’homme mod­erne dans son inté­gral­ité.

Par­al­lèle­ment à la mise en scène pour la télévi­sion d’UN GENRE DE HADÈS, Lars Norén avait mis en scène LA DANSE DE MORT d’August Strind­berg au Dra­mat­en et QUI A PEUR DE VIRGINIA WOLF ? d’Edward Albee dans un théâtre privé de Stock­holm. Les deux mis­es en scène furent représen­tées dans la tra­di­tion du réal­isme psy­chologique mais poussée à son parox­ysme dra­ma­tique. On peut trac­er dans ces deux pièces des par­al­lèles évi­dents dans la descrip­tion de cou­ples mal­heureux et amers. On pour­rait con­sid­ér­er ces travaux de mise en scène de Strind­berg et Albee comme une sorte d’atelier de tra­vail pour un auteur. C’est devenu frap­pant lorsque plus tard Lars Norén s’est frot­té à d’autres pièces d’auteurs dra­ma­tiques ; il les a mis­es en scène comme s’il les avait écrites lui-même. Lorsqu’en 2001 il met en scène LA MOUETTE pour le Rik­steatern2 sué­dois, il y a déjà plusieurs années que ses pro­pres pièces se pas­saient dans des lieux décon­stru­its et sans nom. LA MOUETTE devient alors une étude lumineuse et légère d’un jeune écrivain, une sorte d’autoportrait de Norén lui-même. En 2007, lorsqu’il monte HAMLET dans ce beau théâtre en extérieur dans les ruines d’un monastère sur l’île de Got­land, il revient à la prob­lé­ma­tique famil­iale de ses pre­mières pièces et laisse presque de côté la réal­ité poli­tique et mil­i­taire qui entoure la famille royale au château d’Elseneur dans le drame de Shake­speare.

Fragmentaire, lyrique

La réflex­ion scénique d’UN GENRE DE HADÈS se voit dévelop­pée dans CATÉGOIE 3.1, la pièce qui a sans doute été la plus unanime­ment acclamée comme la grande messe de notre époque, un chant funèbre et en même temps un poème dra­ma­tique plein d’espoir à pro­pos de l’homme occi­den­tal issu de la société postin­dus­trielle de con­som­ma­tion inten­sive. Le texte des deux pièces a un car­ac­tère frag­men­taire mar­qué, com­posé de longs mono­logues isolés et doté d’un puis­sant éclat dra­ma­tique. CATÉGOIE 3.1 a été mis en scène par Lars Norén lui-même en col­lab­o­ra­tion avec le Dra­mat­en et le Rik­steatern et représen­té en une ver­sion écourtée qui durait qua­tre heures env­i­ron. L’espace scénique était con­sti­tué d’une énorme boîte rec­tan­gu­laire peinte en blanc. Le pub­lic était assis sur un côté long et un côté court, enfer­mé dans cette boîte. Les acteurs s’asseyaient de temps à autre sur les gradins, au milieu du pub­lic, entre leurs répliques ou mono­logues. Le sol de cette boîte blanche, la scène même, était un lieu non iden­ti­fié, peut-être extérieur, peut-être intérieur.On sait que l’une des plus grandes places de Stock­holm a servi d’exemple à cet espace mais Norén a ten­té ici de représen­ter un espace qui n’en est pas un, un type d’espace auquel il revien­dra sou­vent. Plusieurs des acteurs qui jouaient dans UN GENRE DE HADÈS ont égale­ment par­ticipé à CATÉGORIE 3.1, cer­tains d’entre eux ont ensuite suivi Norén pour une longue série de pro­duc­tions. Le texte était com­posé des mono­logues isolés qui étaient joués sou­vent simul­tané­ment par les acteurs et s’entremêlaient ain­si en dia­logues. La mise en scène était empreinte de réal­isme et don­nait le sen­ti­ment très vif d’avoir en face de soi une série de des­tins indi­vidu­els.

Lorsque la pièce fut mise en scène par Jean-Louis Mar­tinel­li au TNS / Stras­bourg (puis présen­té ensuite au Théâtre des Amandiers à Paris), la scéno­gra­phie était plus définie. Elle don­nait au spec­ta­teur des indices, lui pro­posant de s’imaginer l’endroit dans lequel se joue la pièce. Un cen­tre com­mer­cial, ensuite une morgue. La scène était com­posée de petits espaces avec des dif­férences de niveau et don­nait la sen­sa­tion d’un équili­bre et d’un rap­port plus man­i­feste entre les acteurs. Pour sa mise en scène, Mar­tinel­li n’avait pas autant réduit la pièce que Norén, elle durait six bonnes heures. Cette durée per­me­t­tait de con­stru­ire plusieurs scènes indi­vidu­elles et petites his­toires qui s’inscrivaient dans le flot général de la pièce, comme la scène de la femme dans la cab­ine d’essayage ou celle d’un tour­nage de film porno. Une mise en scène au style un peu plus réal­iste donc que celle de Norén, qui préfère gom­mer les lieux et les per­son­nages, décon­necter plutôt que con­necter.

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Écrit par MARGARETA SÖRENSON
Mar­gare­ta Sorensen est cri­tique de théâtre et danse pour le quo­ti­di­en nation­al sué­dois Expressen. Elle est écrivain, s’interroge...Plus d'info
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