Jouer 20 novembre
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Jouer 20 novembre

Le 12 Nov 2007
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 94-95 - Lars Norén
94 – 95
Article fraîchement numérisée
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Entre­tien avec Anne Tismer réal­isé par Bernard Debroux

Bernard Debroux : Tu joues dans LE 20 NOVEMBRE de Lars Norén le rôle d’un jeune garçon. Était-ce la pre­mière fois que tu endos­sais un rôle mas­culin ? Était-ce dif­fi­cile à réalis­er ?

Anne Tismer : Non ce n’était pas la pre­mière fois. Je joue les rôles mas­culin ou féminin à 50 %… J’ai tra­vail­lé pen­dant neuf ans avec un met­teur en scène Jür­gen Kruse, assis­tant de Peter Stein. Il me fai­sait sou­vent jouer des rôles mas­culins, ce que je préfère ! Si aujourd’hui j’écris un per­son­nage féminin, ça va, mais dans la lit­téra­ture dra­ma­tique je préfère jouer les rôles mas­culins, ils sont beau­coup plus rich­es, ont plus de facettes. Les rôles féminins sont sou­vent réduits à des sché­mas élé­men­taires : elle par­le d’un homme, cet homme l’aime ou ne l’aime pas, c’est sou­vent ça le thème…

Bernard Debroux : Ici, en plus, il s’agit d’un jeune garçon, ce n’est pas un rôle d’homme…

Anne Tismer : Oui, mais ce n’est pas la pre­mière fois, j’ai sou­vent joué des rôles de garçons ou des rôles d’animaux ! Dans le théâtre alle­mand, les met­teurs en scène sont sou­vent des hommes. Les pièces qu’on joue sont sou­vent une suc­ces­sion de « phras­es impor­tantes ». Si ce sont des femmes qui par­lent, au con­traire, ça devient comme une sorte de bruit. Leurs voix s’entremêlent… J’ai très sou­vent remar­qué que les met­teurs en scène ne peu­vent faire aucune propo­si­tion intéres­sante lorsque deux femmes dia­loguent entre elles, sauf si elles sont en con­flit, si elles se bat­tent. Or, je trou­ve au con­traire qu’il est très intéres­sant de voir sur scène des femmes seule­ment « par­ler », d’écouter la musique qui se dégage. Dans NORA (Ibsen) que j’ai joué, il y a une scène où Chris­tine et Nora sont seules en scène et ont une con­ver­sa­tion sim­ple, de femmes. Chaque fois que l’on répé­tait cette scène, le met­teur en scène dor­mait et nous, les actri­ces, avons dû régler ces scènes nous-mêmes, toutes seules…

Bernard Debroux : Com­ment expliques-tu cette sit­u­a­tion ?

Anne Tismer : Parce que ce sont des hommes ! Moi, je ne regarde pas le foot­ball, les films de cours­es de voitures ou les films de vio­lence… J’aime les met­teurs en scène dif­férents, comme Éric Rohmer qui filme des femmes qui par­lent (REINETTE ET MIRABELLE, par exem­ple); il n’y a pas seule­ment des con­flits. Ça se passe très peu au théâtre. J’ai tou­jours eu envie de mon­ter LES BACCHANTES. Si un homme veut se met­tre avec les bac­cha­ntes, il doit se trans­former en femme. C’est comme le spec­ta­cle que je tra­vaille en ce moment, l’homme qui est avec nous doit être comme une femme. Il faut qu’il se trans­forme. Je voudrais qu’on voie LES BACCHANTES comme une pièce où six femmes par­lent nor­male­ment et où un homme,les voy­ant de loin, dirait : que font-elles, c’est dan­gereux ! Ce que mon­tr­erait LES BACCHANTES, c’est l’incompréhension entre les hommes et les femmes…

Bernard Debroux : As-tu, pour LE 20 NOVEMBRE, par­ticipé à la réal­i­sa­tion de l’écriture ? Vous avez eu, je crois, des con­tacts avec des jeunes dans des écoles avant de com­mencer le tra­vail ?

Anne Tismer : Non, pas avant. Mais la pièce doit beau­coup à un texte que j’ai trou­vé sur Inter­net : le témoignage d’un garçon qui s’est ren­du dans une école et qui a essayé de tuer d’autres jeunes mais qui finale­ment n’a tué per­son­ne… Il s’est tué lui-même. Avant d’accomplir ce geste il a écrit une let­tre d’adieu. Il a ajouté sur le Net toute une série d’autres doc­u­ments (cahiers d’é­cole, livres etc.) et j’ai demandé à Lars Norén d’écrire à par­tir de là. Lars s’est mon­tré très intéressé. Il a beau­coup util­isé ces doc­u­ments. Nous avons beau­coup par­lé de notre expéri­ence à l’école. Il m’a demandé aus­si d’écrire un texte sur mon expéri­ence sco­laire per­son­nelle, qu’on retrou­ve dans le texte final…

Bernard Debroux : Vous avez tout de même tra­vail­lé ensem­ble sur l’écriture ?

Anne Tismer : Moi, un tout petit peu. C’est un grand auteur et je ne veux pas inter­fér­er dans son tra­vail.

Bernard Debroux : Com­ment pour­rais-tu par­ler de Lars Norén, comme homme, comme écrivain, comme met­teur en scène ?

Anne Tismer : Avant de le ren­con­tr­er per­son­nelle­ment je con­nais­sais de lui DÉMONS et CATÉGORIE 3.1. Ce sont deux pièces très fortes que j’aimais beau­coup. Elles me sem­blaient très claires et très con­séquentes. J’ai vu CATÉGORIE 3.1., mis en scène par Thomas Oster­meier ( une des meilleures mis­es en scène de Thomas) et j’ai lu DÉMONS. J’ai ren­con­tré Lars. C’est un homme très calme, très gen­til dans le tra­vail, très pré­cis. Les répéti­tions ne sont jamais très longues, mais elles sont très con­cen­trées. On dis­cute peu (je n’aime pas trop dis­cuter). On fait le tra­vail sur le plateau. Comme en plus, ici, il s’agissait d’une créa­tion, j’ai dis­posé de la ver­sion qua­si défini­tive très peu de temps avant le début des répéti­tions. Très vite, il lui est apparu que c’était un texte qui devait s’adresser au pub­lic et nous avons fait venir du pub­lic aux répéti­tions, deux semaines après le début du tra­vail.

Bernard Debroux : Com­ment est Lars Norén met­teur en scène ?

Anne Tismer : Tra­vailler pour la pre­mière fois avec un met­teur en scène, c’est à chaque fois une nou­velle expéri­ence. Comme je l’ai dit, il est très gen­til et très pré­cis. J’ai appris avec lui à jouer en m’adressant au pub­lic. Ne pas avoir peur du pub­lic… Que faire lorsqu’on a peur du pub­lic… Et aus­si surtout de ne pas faire trop de choses sur scène. En Alle­magne, le jeu est très physique, expres­sif. Je pen­sais, comme il s’agissait d’un mono­logue, que je devais aus­si avoir un jeu très « expan­sif ». Il m’a dit au con­traire de faire de très petites choses, mais de manière très intense. Il avait con­fi­ance en moi et j’ai sur­mon­té cette peur.

Bernard Debroux : T’avait-il vu jouer précédem­ment ?

Anne Tismer : Il m’avait vue dans NORA peu de temps aupar­a­vant. C’est Jean-Louis Col­inet qui nous a présen­tés l’un à l’autre. Au départ Lars Norén voulait me faire jouer Médée… Mais je ne crois pas en l’histoire de Médée et je lui ai dit que je ne voulais pas jouer une femme… Comme je savais qu’il écrivait des pièces vio­lentes, je lui ai demandé de pou­voir jouer un homme qui tue. On s’est écrit et c’est ensem­ble que nous avons décidé de mon­ter LE 20 NOVEMBRE.

Bernard Debroux : Comme tu l’as dit, la forme du spec­ta­cle fait appel en per­ma­nence au pub­lic. Par­fois de manière agres­sive, presque vio­lente. Y a‑t-il eu des réac­tions du pub­lic très dif­férentes selon les endroits où tu as joué ?

Anne Tismer : Oui, c’est tou­jours dif­férent. Je leur pose des ques­tions, je par­le véri­ta­ble­ment avec les gens. Après, on organ­ise sou­vent des ren­con­tres, des dis­cus­sions. Sou­vent, on me dit : « J’avais peur. Je pen­sais qu’au théâtre, j’avais un rôle de spec­ta­teur qui regarde, tran­quille, et là, il faut inter­venir… Je me sens coupable, tu fais la même chose que ce que le monde a fait à ce jeune garçon… »

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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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