Le metteur en scène et la mort
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Le metteur en scène et la mort

Le 11 Nov 2008
Article publié pour le numéro
Couverture du nUméro 99 - Expérience de l'extrême
99
Article fraîchement numérisée
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Il est évi­dent que ce titre para­phrase le célèbre La jeune fille et la mort, œuvre de Schu­bert écoutée du temps où je décli­nais quo­ti­di­en­nement, avec une cer­taine com­plai­sance, le motif du jeune homme et la mort. Les mots et surtout les notes réson­nent encore en moi comme les échos d’une des com­plaintes les plus graves… tout est retenu et mélan­col­ie ici, tan­dis que dans Le Roi se meurt tout est expo­si­tion clamée et cri sur­ex­posé. Bérenger meurt sans pudeur… mais n’est-ce pas juste­ment ce que Less­ing con­sid­érait comme étant la grandeur des Grecs qui, eux, osaient pleur­er et déplor­er le sort qui les frap­pait, tan­dis que les Romains s’im­po­saient, au con­traire, le silence du des­tin assumé. Aujour­d’hui j’en­tends Schu­bert et je lis Ionesco ! Pourquoi ? Parce que Sil­viu Pur­carete souhaite s’at­ta­quer à cette pièce qui, jusqu’à peu de temps, me sem­blait lui être totale­ment étrangère et j’es­saie de com­pren­dre sa moti­va­tion.
Pourquoi le fait-il main­tenant ? Sim­ple hasard ? Déci­sion arbi­traire ? Je com­prends, après avoir vu et revu son Faust, œuvre-somme, qu’ain­si s’amorce un nou­veau cycle, celui du met­teur en scène et la mort. Le Roi se meurt s’in­scrit, pour Pur­carete, met­teur en scène, dans la fil­i­a­tion goethéenne. Lui, l’épi­curien, séduit jusqu’alors par Rabelais, com­mence à s’en sépar­er pour s’in­ter­roger juste­ment sur la meilleure manière de par­tir, sur ce qu’elle com­porte comme panique et préserve comme… « théâ­tral­ité ».
Lui, qui a mis en scène Faust comme une œuvre tes­ta­men­taire où les des­tins du pro­tag­o­niste et du théâtre se con­fondent avec un éclat par­ti­c­uli­er, s’at­taque main­tenant à Le Roi se meurt où, sur fond de crainte exac­er­bée, Ionesco, de même, dépourvu du moin­dre esprit d’é­conomie, mobilise tous les moyens du théâtre. Et c’est ce qui, sans doute, attire Pur­carete qui, en mon­tant Le Roi se meurt, souhaite se con­fron­ter à la mort sur fond de con­fi­ance accordée encore au théâtre… voilà ce qui me sem­ble faire la jonc­tion entre le grand pro­jet faustien déjà accom­pli et l’autre, ione­scien, à venir.
Nous suiv­rons avec intérêt le dia­logue entre les deux œuvres placées sous le signe de la fin dont Pur­carete sait déploy­er les fastes scéniques sans jamais écarter la peur qu’elle implique. La mort est là, mais le théâtre ne s’est pas encore évanoui. Lui qui a su goûter à sa sen­su­al­ité du monde n’en­tend pas l’a­ban­don­ner lorsque la vie arrive à son terme, bien au con­traire, elle per­siste, preuve d’amour implicite pour le théâtre mal­gré les men­aces qui pèsent sur les êtres mis en scène.
Faust meurt en paix comme un roi enfant et le Roi, je pense, va mourir comme un… Faust. Entre les deux, cet inter­mé­di­aire qu’est le met­teur en scène qui avoue ses pro­pres craintes par le détour des textes et des héros. Mais, nous le savons, ses choix d’au­jour­d’hui font sens car ain­si Pur­carete envoie des mes­sages qu’il nous invite à décrypter. Quoi de plus séduisant que l’ex­a­m­en des con­fes­sions à moitié explicites ? C’est ce que j’ai com­pris le jour où, sur un marché dégorgeant de jeunes filles en Beurs, j’ai enten­du Sil­viu mur­mur­er : « Regarde-les et nous mour­rons ! ».
Il les a réu­nies toutes dans l’im­age de Mar­guerite que Faust ne parvient plus à indi­vid­u­alis­er et, en même temps, il avouait alors, implicite­ment, que, pour lui, le temps de Le Roi se meurt était venu. Moi, je l’at­tends.

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