Une Vitrine, un forum, une mémoire vivante : La Bellone mode d’emploi

Une Vitrine, un forum, une mémoire vivante : La Bellone mode d’emploi

Entretien avec Antoine Pickels

Le 20 Nov 2008
La façade de La Bellone prise d'assaut par CAPRICES de Virginie Jortay et l'ESAC lors du composite «Anti-Été», 26 juin 2008. Photo Mathias Nouel.
La façade de La Bellone prise d'assaut par CAPRICES de Virginie Jortay et l'ESAC lors du composite «Anti-Été», 26 juin 2008. Photo Mathias Nouel.

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La façade de La Bellone prise d'assaut par CAPRICES de Virginie Jortay et l'ESAC lors du composite «Anti-Été», 26 juin 2008. Photo Mathias Nouel.
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Couverture du nUméro 99 - Expérience de l'extrême
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YANNIC MANCEL : J’aimerais pour cet entre­tien que nous procé­dions en trois temps. D’abord que par un bref his­torique, le plus sub­jec­tif pos­si­ble, vous nous rap­peliez l’histoire de La Bel­lone, cette « Mai­son du Spec­ta­cle, La Bel­lone », située, je le rap­pelle, au 46, rue de Flan­dre à Brux­elles. Je souhait­erais ensuite que vous nous résum­iez en quelques mots ce qui, dans votre his­toire intel­lectuelle et artis­tique per­son­nelle, vous a amené à pos­er votre can­di­da­ture à ce poste et à être nom­mé directeur de ce lieu. Je voudrais enfin que le troisième temps de notre con­ver­sa­tion soit con­sacré à votre pro­jet, ses objec­tifs, ses enjeux, en dis­tin­guant peut-être ce qui a déjà été amor­cé après un an d’activité et ce qui reste à réalis­er ou à dévelop­per. Mais com­mençons par le com­mence­ment : com­ment perce­viez-vous La Bel­lone et son imposante his­toire avant d’y être nom­mé ?

Antoine Pick­els : En 1980, un scéno­graphe, égale­ment artiste-pein­tre, Serge Creuz, prend l’initiative de fonder cette Mai­son du Spec­ta­cle dans un lieu très par­ti­c­uli­er, une mai­son patrici­enne en fond de rue, édi­fiée à la charnière des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siè­cles, avec une mag­nifique façade baroque, sem­blable aux murs de scène des théâtres à l’antique ou à l’italienne, qui pos­sède donc par ses reliefs et son dessin une sorte de théâ­tral­ité inhérente ou naturelle. Il s’agit donc d’abord d’un pro­jet d’artistes, et non d’un pro­jet d’administrateur ou d’intendant : la pré­ci­sion a son impor­tance. Ensuite, ce pro­jet a évolué avec la pen­sée de son fon­da­teur selon des étapes dif­férentes : dans un pre­mier temps, l’idée était d’en faire prin­ci­pale­ment un musée des arts de la scène, ryth­mé par des expo­si­tions tem­po­raires, dont la dom­i­nante pre­mière était évidem­ment scéno­graphique puisque telle était la com­pé­tence pre­mière de Serge Creuz. Mais ce qui m’émeut encore aujourd’hui dans son pro­jet, c’est l’idée ini­tiale de créer une mai­son qui rassem­ble tous les arts et tous les artistes du spec­ta­cle : un point de ren­dez-vous, un cen­tre de réu­nion, un lieu de vis­i­bil­ité aus­si, de tous ceux qui par­ticipent à la créa­tion du spec­ta­cle : l’auteur, le met­teur en scène, le régis­seur, le maquilleur de plateau… ce qui tradui­sait un respect, une recon­nais­sance et une atten­tion pour tout ce et ceux qui par­ticipent à la créa­tion, tous les métiers, y com­pris ceux qu’on appelle les petits métiers. Je retrou­ve dans ce pro­jet ini­tial l’élément prin­ci­pal qui m’a fait m’orienter vers le théâtre, à savoir le goût du col­lec­tif. C’est un art que, même quand on est per­former en solo, on ne peut pas faire tout seul : le théâtre se définit par la néces­sité de l’autre, du col­lec­tif, du tal­ent con­jugué de plusieurs per­son­nes, et cela, Serge Creuz l’avait non seule­ment com­pris, mais il l’avait inscrit dans le pro­jet même de sa Mai­son du Spec­ta­cle.

Yan­nic Man­cel : Com­ment cela se man­i­fes­tait-il con­crète­ment dans les activ­ités de La Bel­lone ?

Antoine Pick­els : Prin­ci­pale­ment dans l’importance accordée à la lumière et aux éclairag­istes, dont l’art était encore un peu nég­ligé dans les années qua­tre-vingt, mais aus­si dans l’intérêt renou­velé pour les masques, les mar­i­on­nettes, les auto­mates, la danse, la musique, les affich­es… Bref, tous les métiers de la scène étaient tour à tour mis en évi­dence par des expo­si­tions, des pub­li­ca­tions, des cycles de con­férences et de ren­con­tres… En prenant de l’ampleur, le pro­jet a évolué archi­tec­turale­ment aus­si : ce qui était au départ con­cen­tré dans cette mai­son en arrière-cour s’est éten­du aux bâti­ments adja­cents bor­dant deux des trois autres côtés de la cour, puis est venue l’idée que je trou­ve pour ma part auda­cieuse et géniale de cou­vrir la cour d’un toit de verre afin d’en faire une « place publique » cou­verte, comme une sorte de halle, d’agora ou de forum, à l’abri des intem­péries, tout en restant ouvert à la lumière naturelle et au ciel. Voilà ce qui m’intéresse pas­sion­né­ment : être à la tête non pas d’un théâtre, d’un musée ou d’un cen­tre d’archives mais d’une place publique ! Par­al­lèle­ment, quelques pôles asso­ci­at­ifs se sont suc­ces­sive­ment gref­fés sur ce nou­veau com­plexe et autour de cette cour : une bib­lio­thèque des arts du spec­ta­cle, un cen­tre d’information et de doc­u­men­ta­tion sur la danse, une bib­lio­thèque con­sacrée aux com­pag­nies dra­ma­tiques ama­teurs… France Cul­ture, les Brigit­tines, le CIFAS (Cen­tre Inter­na­tion­al de For­ma­tion en Arts du Spec­ta­cle), Tem­po­ralia, qui allait don­ner nais­sance au Cen­tre des Écri­t­ures Dra­ma­tiques, y ont été tem­po­raire­ment hébergés. Le Réseau des Arts à Brux­elles y réside encore… De nom­breuses aven­tures sont nées ici et y ont gran­di avant d’aller se dévelop­per ailleurs dans une plus grande autonomie. J’aime beau­coup cette tra­di­tion d’accueil, d’hospitalité, cette idée d’aider à naître et à grandir, cette idée de fédér­er des aven­tures nais­santes sans les infléchir ni les con­train­dre. À la mort de Serge Creuz en 1996, son adjointe et com­pagne, Anne Moli­tor, a repris le flam­beau, en codi­rec­tion avec Monique Duren, qui venait du ser­vice cul­ture de la Ville de Brux­elles et qui dirige aujourd’hui Les Brigit­tines. À leur côté, Pietro Piz­zu­ti a redy­namisé l’action qu’il avait déjà aupar­a­vant engagée dans cette mai­son, dans un con­texte général fébrile où se réu­nis­saient les États Généraux du Jeune Théâtre et se dessi­nait déjà la pré­pa­ra­tion de Brux­elles 2000, cap­i­tale européenne de la cul­ture. Le lieu est alors devenu un espace de dia­logue intense et vif entre des éner­gies artis­tiques, cul­turelles et insti­tu­tion­nelles par­fois antag­o­nistes. Et c’est aus­si dans cette dynamique, en 1998, sous la direc­tion d’Anne Moli­tor, qu’a été créée la revue Scènes, en écho écrit à tous ces débats tumultueux, un mag­a­zine qui don­nait la parole aux artistes plus qu’aux com­men­ta­teurs. On mesure ain­si com­bi­en l’outil s’est pro­gres­sive­ment per­fec­tion­né : il s’est aujourd’hui doté d’un café et d’un comp­toir d’accueil qui assurent une tran­si­tion plus con­viviale entre la rue et la cour. Ce sont des petits détails pra­tiques apparem­ment anec­do­tiques mais qui con­tribuent à l’animation et à l’esprit du lieu. Reste la ques­tion de la vis­i­bil­ité repérable sur la rue, qui demeure un vrai prob­lème, heureuse­ment en cours de réso­lu­tion.

Yan­nic Man­cel : Et com­bi­en d’employés pour faire fonc­tion­ner tout cela ?

Antoine Pick­els : La Mai­son compte actuelle­ment dix-neuf salariés, la plu­part à temps par­tiel et beau­coup sur des emplois aidés, dont on pour­rait déclin­er les fonc­tions ain­si : une équipe direc­tion qui conçoit, organ­ise et réalise les divers­es man­i­fes­ta­tions et des secteurs qui se sub­di­visent en recherche, infor­ma­tion, doc­u­men­ta­tion, ges­tion, inten­dance, accueil et entre­tien… Peu de monde au total, si on con­ver­tit tous ces temps par­tiels en temps pleins je ne sur­prendrai per­son­ne en affir­mant qu’en pro­por­tion du foi­son­nement de ses activ­ités, la Mai­son est sous-sub­ven­tion­née. Tous sont au ser­vice de ces trois mis­sions car­di­nales que je résumerai ain­si : une vit­rine des arts de la scène, avec une atten­tion par­ti­c­ulière accordée à ce qui se passe en Wal­lonie et à Brux­elles ; un forum où se dis­pute la chose publique en matière de spec­ta­cles ; et enfin, un lieu de mémoire vivante du spec­ta­cle vivant.

Yan­nic Man­cel : Le moment est venu, me sem­ble-t-il, de nous dire com­ment, ici et main­tenant, votre his­toire per­son­nelle croise l’histoire de ce lieu de vie artis­tique, de débats et de mémoire, avec pré­cisé­ment les mis­sions qu’il s’est pro­gres­sive­ment con­stru­ites. Autrement dit, d’où venez-vous et qui êtes-vous, Antoine Pick­els ?

Antoine Pick­els : Si l’on remonte à mes années de for­ma­tion, dis­ons qu’en ter­mes d’enseignement supérieur elles furent très brèves : j’ai quit­té l’INSAS, où j’étais entré en sec­tion mise en scène, au bout d’un mois et demi ! J’étais déjà trop dans le méti­er pour m’intéresser de façon con­cen­trée à un enseigne­ment théorique ini­tial. J’avais com­mencé à dix-sept ans comme artiste-per­former et met­teur en scène de théâtre expéri­men­tal, for­mé sur le tas par des héri­tiers de l’avant-garde améri­caine, ceux qui à l’époque ani­maient les soirées du Plan K, eux-mêmes dis­ci­ples et anciens col­lab­o­ra­teurs de Robert Wil­son, Lucin­da Childs, Lau­rie Ander­son, etc. Par­al­lèle­ment, j’étais aus­si plas­ti­cien, pein­tre et instal­la­teur. Quant aux métiers du théâtre, je les ai presque tous pra­tiqués : pein­tre de décors au Théâtre des Galeries, éclairag­iste, pro­duc­teur, dif­fuseur, vidéaste… J’ai même accom­pa­g­né un groupe de rock expéri­men­tal améri­cain, Tuxe­do­moon, qui avait pen­dant quelques années posé ses valis­es à Brux­elles. J’ai été aus­si pen­dant un temps respon­s­able d’éditions à l’ULB auprès de Jacques Sojch­er : pour moi qui n’avais pas fait d’études supérieures, ou si peu, c’était une chance et un bon­heur de côtoy­er les grands soci­o­logues ou philosophes à qui nous com­man­dions des textes. Je me sou­viens avec émo­tion du vol­ume Bel­gique tou­jours grande et belle en 1998, un chant du cygne de la Bel­gique enton­né par cent vingt-sept auteurs tous plus pas­sion­nants les uns que les autres…

Yan­nic Man­cel : Com­ment, au terme de cet itinéraire très éclec­tique et un peu désor­don­né, êtes-vous revenu au théâtre ?

Antoine Pick­els : C’est la crise du sida qui m’a ramené au poli­tique, et donc au théâtre : j’ai eu envie d’écrire des pièces et de mon­ter des spec­ta­cles qui trait­ent de ce sujet sous un angle un peu alter­natif, avec une inter­ro­ga­tion sur le point de vue…

Yan­nic Man­cel : Il y a eu aus­si cette col­lab­o­ra­tion avec Vir­ginie Jon­ay, je pense notam­ment à Brux­elles, ville d’Afrique, qui por­tait un regard nou­veau et très doc­u­men­té sur l’identité colo­niale belge à tra­vers le rap­port de la Bel­gique à l’Afrique cen­trale.

Antoine Pick­els : C’est vrai, et je n’ai plus jamais aban­don­né depuis ce rap­port à l’écriture, puisque je reviens depuis peu d’une rési­dence à la Char­treuse de Vil­leneuve-lès-Avi­gnon, où j’ai retra­vail­lé une de mes pièces, et j’ai con­tin­ué mon activ­ité de tra­duc­teur d’auteurs bri­tan­niques, voire d’auteurs indi­ens de langue anglaise…

Yan­nic Man­cel : À une cer­taine époque, dis­ons autour des années 2000, je vous ai égale­ment con­nu comme con­seiller artis­tique et con­cep­teur d’événements sou­vent entourés d’un cer­tain pres­tige…

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Écrit par Yannic Mancel
Après l’avoir été au Théâtre Nation­al de Stras­bourg puis au Théâtre Nation­al de Bel­gique, Yan­nic Man­cel est depuis...Plus d'info
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