Quelque part, des corps se brisent…
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Quelque part, des corps se brisent…

Belgique

Le 31 Juil 1979
Un fauteuil de théâtre, deux Hamlet, l’un face et l’autre pile, trois écrans de télévision. Photos Jean-Paul Hubin
Un fauteuil de théâtre, deux Hamlet, l’un face et l’autre pile, trois écrans de télévision. Photos Jean-Paul Hubin

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Un fauteuil de théâtre, deux Hamlet, l’un face et l’autre pile, trois écrans de télévision. Photos Jean-Paul Hubin
Un fauteuil de théâtre, deux Hamlet, l’un face et l’autre pile, trois écrans de télévision. Photos Jean-Paul Hubin
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Un planch­er couleur lilas presque blanc, une garde-robe en aca­jou, grande et chaude, sur ce sol petit, clair, presque car­ré. Un homme en habit de bour­geois du XIXᵉ siè­cle. il a les cheveux vert pas­tel, il est gan­té de rose. Il par­lera pen­dant cinquante min­utes ; par­lera. pleur­era, criera, crachera sa haine et sa douleur, plus sa haine, d’ailleurs, que sa douleur, sa haine des Belges, de la Bel­gique, sa haine, sans doute, de lui-même. 

Superbe per­for­mance d’ac­teur. Idwig Stéphane joue Pau­vre B ! …, un mon­tage des textes de Baude­laire sur la Bel­gique, mis en scène par Patrick Roegiers1. Cet homme seul va jouer avec lui-même et avec des objets. Avec lui-même, d’abord, avec son corps, qu’il tord et con­tor­sionne comme s’il voulait en faire sor­tir quelque chose d’impossible. Debout, accroupi, à qua­tre pattes, la seule volup­té (mais c’est fon­da­men­tal) est celle du comé­di­en à se jouer de son corps ; le per­son­nage, lui, est souf­france, déséquili­bre, extir­pa­tion, un rien mar­i­on­net­tisé, pour qu’il soit clair, sans doute, qu’on est au théâtre, et que c’est seule­ment dans la vie que les grandes douleurs sont immo­biles, muettes et glacées. 

Voyage au centre de la matrice... Photos Paul Versele
Voy­age au cen­tre de la matrice… Pho­tos Paul Verse­le

Il joue aus­si avec des objets : il y a une carte routière que l’on déchire (une carte de Bel­gique), il y a des livres (les œuvres com­plètes de Vic­tor Hugo) que l’on empile mal, et qui tou­jours retombent et s’éparpillent, un pot de con­fi­ture (aux reines-claudes) dans lequel on plonge le doigt, il y a des rouleaux de papi­er hygiénique que l’on déroule inter­minable­ment et dont on se bande la tête, il y a des boîtes à bis­cuits, specu­loos, pro­duit belge, que l’on empile et qui tien­nent et sur lesquelles on peut se hiss­er. Il y a enfin cette armoire, garde-robe mag­nifique et dérisoire dans laque­lle on se blot­tit, se calfeu­tre, que l’on escalade, avec laque­lle aus­si on fait l’amour, dif­fi­cile­ment, parce que ce n’est pas sim­ple, le sym­bol­ique, une armoire dont on ne se détachera jamais comme on con­tin­ue d’écrire à sa mère qu’on l’aime, qu’on l’adore, qu’on la veut et qu’on veut de l’ar­gent. 

Et le spec­ta­teur est là, à pren­dre son plaisir pen­dant cinquante min­utes, parce que le comé­di­en est là, présent et présen­tant son per­son­nage : un homme, dira-t-il au cours du spec­ta­cle « que les hommes n’ai­ment pas, mais dont ils se sou­vi­en­nent ». Quel homme ? 

Pas le Baude­laire des manuels sco­laires et des ency­clopédies, pas non plus le français moyen qui racon­terait de belges his­toires, pas non plus l’intellectuel qui, un temps, trans­gres­sa les bonnes mœurs lit­téraires, mais une sorte d’homme-enfant qui occupe un espace théâ­tral, sem­ble heureux d’y être, crache, et se délecte de ses crachats. Cette délec­ta­tion, d’ailleurs se com­mu­nique au spec­ta­teur qui, même belge, est heureux d’être là. 

Curieux spec­ta­cle… curieux rap­port du jexte et de la mise en scène… Car il s’agit bien d’un théâtre de texte, que je désigne ain­si par rap­port aux pro­duc­tions d’a­vant-garde icon­i­co-mobiles dont les formes envoû­tantes se dessi­nent et se défont sur des rythmes musi­caux, mais dont on ne sait jamais trop ce que cela racon­te d’autre que la fas­ci­na­tion de la représen­ta­tion qui tou­jours réflé­chit sur elle-même. Point de ce ques­tion­nement théori­co-formel ici, il y a texte, il y a pro­pos, il y a per­son­nage. Mais il sem­ble que Stéphane et Roegiers (dont la con­nivence est évi­dente et fait par­tie inté­grante du plaisir que l’on prend au spec­ta­cle) se soient finale­ment servis de ce texte pour racon­ter tout autre chose. Ce que Baude­laire écrit sur la Bel­gique ne sera jamais l’objet d’une inter­ro­ga­tion du type « juste, pas juste », « intéres­sant, pas intéres­sant », « poli­tique, sen­ti­men­tal », etc. Par con­tre, ce qui s’écrit sur le plateau, car il s’écrit bien quelque chose, c’est qui par­le le texte. 

Qui ? Baude­laire. Mais encore ? Un homme en désar­roi qui crache son dernier venin avant de mourir. Un homme en régres­sion qui n’ar­rive pas à se détach­er de son armoire-mère, qui joue du buc­cal (con­fi­ture) et de l’anal (papi­er hygiénique), un per­son­nage qui sem­ble avoir oublié qu’il était un écrivain, un intel­lectuel.

C’est un per­son­nage infan­tile qui rejoue indéfin­i­ment la même scène régres­sive du voy­age autour de la matrice, un per­son­nage enfin, qui en crèvera.Curieux rap­port entre le texte et la mise en scène, parce que le texte de Baude­laire n’appelle pas néces­saire­ment cela, parce qu’il est truf­fé de nota­tions con­crètes qui ressor­tis­sent à l’ex­pres­sion con­sciente, parce que l’éventuelle dérive poli­tique qu’il pou­vait faire sur­gir sur le plateau est refoulée au prof­it des « signes » de la dés­espérance ontologique de l’homme qui n’as­sume pas le trau­ma­tisme de la nais­sance. Les caus­es his­toriques, biographiques, idéologiques ou poli­tiques de la dés­espérance ne seront jamais évo­quées, on reste dans le reg­istre de la sym­bol­ique du rap­port à la mère. La souf­france de cet homme est bien ontologique, nous qui en sommes sor­tis (puisque nous sommes là, en face de lui et à le regarder), nous pou­vons nous ras­sur­er. L’intellectuel est devenu bête curieuse, fasci­nante, en ce qu’elle évoque en nous des réson­nances pas for­cé­ment refoulées, mais suff­isam­ment sub­limées : nous, nous faisons la dif­férence entre le ven­tre d’une mère et l’intérieur d’une garde robe. Pau­vre B !… comme nous le com­prenons bien, de si loin, du point de vue d’une ques­tion éter­nelle. 

C’est essen­tielle­ment ce qui fonde la moder­nité d’un texte comme celui de Hein­er Müller (Ham­let-Machine mon­té par Marc Liebens)2 ; c’est qu’il arrive à trans­former les ques­tions éter­nelles en ques­tions his­toriques. Etre Ham­let et (vouloir) ne plus l’être. Cette ques­tion de l’intellectuel comme homme de théâtre (ou de l’homme de théâtre comme intel­lectuel) ne s’in­scrit ni dans une biolo­gie, ni dans une ontolo­gie, mais dans sa pra­tique, son expéri­ence poli­tique, son his­toire. 

Une sorte de p(l)age blanche, longue et étroite, recou­verte d’un tapis de neige déter­mine un espace qui, allant de gauche à droite, des­sine une ligne du temps. Dans le fond, un cyclo­rama gris, la couleur d’un écran de télévi­sion éteint. Aux deux extrémités, des acces­soires qui pour­raient se lire (aus­si) comme les deux ter­mes de cette ligne du temps. Côté jardin, comme un ter­mi­nus a quo, un man­nequin habil­lé de pour­pre, couronne, cuirasse, poche au bas du ven­tre qui gon­fle le sexe ; tous les attrib­uts du pou­voir sont là. Comme un ter­mi­nus ad quem : trois écrans de télévi­sion, œil mul­ti­di­rec­tion­nel de la représen­ta­tion mod­erne ; sans com­men­taires. Entre les deux : un vieux fau­teuil de théâtre. Ce qui va se jouer dans cet espace-temps théâ­tral, c’est une série de ques­tions, d’espérances et de jeux sur le psy­ch­an­a­ly­tique, le poli­tique, le sex­uel et le théâ­tral ; ques­tions qui se fondent sur le texte de Shake­speare et qui, par­tant de l’e­spoir ancien, aboutiront à une dés­espérance mod­erne. 

Sur la ligne du temps, un homme tente de quit­ter l’ancien. Lumière, musique (une fan­fare élis­abéthaine), un homme entre : pour­point noir, chemise blanche, den­telles, dorures, col­lants, l’épée au côté. Sur cette noble musique, il déclare, dos au pub­lic, comme s’il par­lait à une autre salle : « J’é­tais Ham­let… »; la musique d’ou­ver­ture se pro­longe par la voix de Lau­rence Olivi­er. Une femme entre, trench noir, cha­peau noir, jambes nues, pieds nus, elle dit : « Blal­bla ». La bande-son s’ar­rête, les deux comé­di­ens sor­tent. L’homme gardera ce cos­tume roman­tique ancien, arti­fi­ciel et théâ­tral, qui racon­te autant Loren­za­c­cio que le héros (devenu roman­tique par la grâce de la tra­di­tion bour­geoise) de Shake­speare, pen­dant toute la pre­mière moitié de la pièce, pen­dant tout ce temps où il se débat avec l’Auteur-Père. Certes, il va tout trans­gress­er : il se servi­ra de Richard III pour arrêter le cer­cueil du roi et éven­tr­er le cadavre, il insul­tera son père, il bais­era sa mère… Tout ce qu’aurait sans doute voulu faire l’ancien Ham­let. Mais la femme le ren­voie au théâtre, au vieux théâtre, au car­ac­tère dépassé des trans­gres­sions indi­vidu­elles, la femme qui est ailleurs, qui vit la dés­espérance dans son corps et non pas dans sa tête, qui est hors-His­toire, hors-Cul­ture (ce qui n’est pas néces­saire­ment une posi­tion dé force !). Quand elle joue la mère d’‘Hamlet, elle entre en scène à l’intérieur d’une car­casse habil­lée en reine élis­abéthaine et accepte de faire l’amour avec Ham­let. A lui qui ne par­le que de souiller la femme, elle répond : « le ven­tre d’une mère n’est pas à sens unique » en sor­tant entière­ment nue de son écorce. Elle ira se couch­er sur le sol blanc, a l’ex­trême cour, là où Ham­let n’i­ra jamais la rejoin­dre, occupé qu’il est à jouer les pietas à l’en­vers avec la creuse écorce de la reine Gertrude. Et quand ce même homme appellera Ophélie, c’est la femme mod­erne qui entr­era, trench noir, cha­peau noir. Pour dire sa révolte, elle s’as­siéra à côté du vieux fau­teuil de théâtre !

Où est la femme par rap­port à l’his­toire de l’homme, par rap­port au théâtre de l’homme ?

Où est l’homme par rap­port à son théâtre ? Com­ment en sor­tir pour entr­er dans l’His­toire ?

Un fauteuil de théâtre, deux Hamlet, l’un face et l’autre pile, trois écrans de télévision. Photos Jean-Paul Hubin
Un fau­teuil de théâtre, deux Ham­let, l’un face et l’autre pile, trois écrans de télévi­sion. Pho­tos Jean-Paul Hubin

Sor­tir de ce vieux théâtre. Essayons. Main­tenant, il a tro­qué son cos­tume roman­tique con­tre un trench noir et un cha­peau, lui aus­si. Il décide d’écrire sa pro­pre pièce : c’est la moder­nité, qui le tra­verse. Mar­qué par cet immense espoir déçu qu’a été pour lui le fait de vivre le stal­in­isme de l’in­térieur, parce qu’il n’en­térine pas son dés­espoir et qu’il le veut a tout prix pro­duc­tif, Müller écrit sa pro­pre posi­tion, que le comé­di­en « dira » sans jeu, sans charge, en com­pag­nie de la femme : deux nou­veau Ham­let, sil­hou­ettes noires sur fond de cyclo éclairé, blanc. Et voilà que la con­tra­dic­tion shake­speari­enne fait retour dans la moder­nité : elle n’est pas résolue, la ques­tion de l’in­tel­lectuel, de la masse, de l’ac­tion et du pou­voir. Alors, il arpen­tera le plateau, de jardin à cour et de cour à jardin… on n’est pas sor­ti du théâtre. Et quand, à la fin du spec­ta­cle, la femme vien­dra crier sa haine du monde, sa haine de cette vie qu’elle donne aux hommes qui en font de la mort et de l’op­pres­sion, quand elle criera, entière­ment nue, son pro­pre dés­espoir, sur une musique élec­tron­ique, un chirurgien en tabli­er glauque empris­on­nera son corps dans des ban­delettes de gaze ; c’est un corps momi­fié qui restera sur le plateau, immo­bile, dans un éclairage bleuté, glacé… Epoque glaciaire. 

Pour­tant, de la con­fronta­tion du corps de la femme et de l’His­toire de l’homme devrait naître quelque chose. Quoi ? On ne sait pas, il sem­ble que cette chose, le théâtre soit tout à fait inca­pable aujourd’hui de la désign­er claire­ment, mais elle est évo­quée, dans Ham­let-Machine avec de la musique : la sonorité flam­boy­ante du sax­o­phone-ténor de Coltrane par quoi se clô­ture le spec­ta­cle. Etat présent, donc his­torique, de l’in­ter­ro­ga­tion sur le dou­ble tra­jet de l’homme avec sa pen­sée, de la femme avec son corps, de leurs rap­ports à l’histoire, au poli­tique, au théâtre. 

On pour­rait faire une tran­si­tion facile en jouant sur le titre.du spec­ta­cle suiv­ant : Le Ter­rain vague de Roland Hourez mis en scène par Philippe Sireuil3, venant après la plaine glacée d’Ham­let-Machine (je respecte la chronolo­gie de la sai­son). Ou encore, de l’intellectuel sur son glac­i­er à l’ouvrier sur son ter­rain devenu vague parce que l’histoire est en train de lui brouiller les pistes : que se passe-t-il, quand le pro­lé­tari­at ne croit plus au syn­di­cat et a des rêves de petit-bour­geois ? Et cepen­dant, la ques­tion de l’intellectuel n’est pas évac­uée dans la mesure où on pour­rait dire que le spec­ta­cle est une ten­ta­tive de réponse à la ques­tion bifide de savoir où se trou­ve le pro­lé­tari­at quand il est sur un plateau de théâtre et où se trou­ve le met­teur en scène, cet être hybride, mi-artiste, mi-intel­lectuel quand il s’in­ter­roge théâ­trale­ment sur le pro­lé­tari­at. 

Pour être claire, je voudrais pré­cis­er d’emblée que Le Ter­rain Vague est une pièce con­tem­po­raine écrite en 1979 par un jeune auteur belge. Cela revient à dire qu’elle n’a rien à voir avec l’ouvriérisme, le mis­éra­bil­isme, le roman­tisme social du XIXᵉ siè­cle et qu’elle se démar­que totale­ment de la représen­ta­tion du pro­lé­tari­at en vogue dans ce courant fran­co-alle­mand appelé « théâtre du quo­ti­di­en », et où les auteurs et met­teurs en scènes font sem­blant de n’en savoir pas plus sur leurs per­son­nages que leurs per­son­nages eux-mêmes. Nous ne ver­rons pas, ici, une femme qui fait la vais­selle, un homme qui plante un clou, un cou­ple qui regarde la télévi­sion. Le texte, d’ailleurs, très frag­men­té, très ellip­tique, n’appelle aucun nat­u­ral­isme (même néo), la mise en scène ne ren­ver­ra à aucun vérisme. Ce n’est pas tout-à-fait un hasard, puisque ce texte appelé Le Ter­rain Vague a été écrit par l’auteur en rela­tion étroite avec les lec­tures et les ques­tions de l’équipe de pro­duc­tion, à par­tir d’un autre texte de fac­ture plus tra­di­tion­nelle, et qui s’intitulait La Dernière Pause

Un sol où l’on s'enfonce, où l'on s’embourbe, où l’on a peine à se mouvoir, un sol aussi qui donne aux gens la tentation du mou. Photos Danielle Pierre
Un sol où l’on s’en­fonce, où l’on s’embourbe, où l’on a peine à se mou­voir, un sol aus­si qui donne aux gens la ten­ta­tion du mou. Pho­tos Danielle Pierre

S’ag­it-il d’une mode ou d’une forme qui tendrait à s’im­pos­er parce qu’elle cor­re­spondrait à quelque chose de très fon­da­men­tal à l’heure actuelle ? Il est encore trop tôt pour en décider, tou­jours est-il que, comme dans les deux pièces précé­dentes, on refuse, ici, aus­si, de racon­ter une intrigue menée par des per­son­nages. Ce ne sont pas des ouvri­ers représen­tés dans leur triste vie, avec leur absence de désir, leur absence de lan­gage ; bien au con­traire, loin de porter sur eux le regard de l’ethnologue, Hourez les appréhende de l’intérieur, et Sireuil donne une forme somptueuse à leurs désirs, leurs rêves, leurs paroles ; et voilà que le pro­lé­tari­at n’est plus l’objet d’un dis­cours cri­tique et/ou pater­nal­iste de la part de l’intellectuel qui sait. Pour­tant, il est présent aus­si, l’intellectuel qui sait, non en tant que per­son­nage posé sur le plateau, mais en tant qu’or­gan­isa­teur de l’espace théâ­tral ; il est quelque part, le met­teur en scène qui mon­tre la dés­espérance du pro­lé­tari­at dans son rap­port à l’His­toire. 

Nous ne sommes ni dans une usine, ni dans une cui­sine, mais sur un sol jonché d’oreillers où l’on s’en­fonce, ou l’on s’embourbe, où l’on a peine à se mou­voir, mais où aus­si on peut se couch­er parce que c’est con­fort­able, et que la ten­ta­tion du mou existe, de ce con­fort au ras du sol dans lequel nous sommes tous plus ou moins empêtrés. La boue n’a pas tou­jours l’apparence de la boue, elle est d’au­tant plus per­verse. Et ce sol tout blanc est encadré par une bande noire laquée, bril­lante, comme un faire-part de deuil, comme une pho­to en négatif. Il y a tout un pan du spec­ta­cle qui s’in­scrit en « négatif », dans les cos­tumes, notam­ment. Tous désig­nent le froid : passe-mon­tagne, écharpes, man­teaux. Rap­pel de l’époque glaciaire ? Peut-être, mais aus­si rap­pel his­torique de ce fameux hiv­er belge, l’hiver 60 – 61. oùeurent lieu ce qu’on appelle les « grandes grèves de soix­ante » ; le mai 68 en Bel­gique était un mou­ve­ment ouvri­er. Mais main­tenant, les per­son­nages por­tent leur his­toire sur leur dos, et ils la por­tent à rebours : la com­bi­nai­son et le sou­tien-gorge se por­tent par dessus la robe, la chemise et la cra­vate par dessus le man­teau, comme une his­toire qui se vivrait à rebrousse-poil. 

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Écrit par Michèle Fabien
Michèle Fabi­en est l’au­teur de plusieurs textes de théâtre : JOCASTE, NOTRE SADE, SARA Z, TAUSK, CLAIRE LACOMBE, ATGET...Plus d'info
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janvier 2002

Aspects du théâtre contemporain en Europe

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