L’art du compromis

Entretien
Théâtre

L’art du compromis

Entretien avec Ivo van Hove

Le 22 Avr 2009
Monica Vitti et Gabriele Ferzetti dans L'AVVENTURA de Michelangelo Antonioni, 1960. Photo D. R.
Monica Vitti et Gabriele Ferzetti dans L'AVVENTURA de Michelangelo Antonioni, 1960. Photo D. R.

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Monica Vitti et Gabriele Ferzetti dans L'AVVENTURA de Michelangelo Antonioni, 1960. Photo D. R.
Monica Vitti et Gabriele Ferzetti dans L'AVVENTURA de Michelangelo Antonioni, 1960. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

L’été dernier, les spec­ta­teurs du Fes­ti­val d’Av­i­gnon s’en­t­hou­si­as­maient pour les « Tragédies romaines » d’I­vo van Hove. Durant six heures puis­santes et ludiques, le met­teur en scène belge néer­lan­do­phone dévelop­pait une auda­cieuse dra­maturgie, où les rap­ports salle/scène se réin­ven­taient pour abor­der le dis­cours poli­tique d’au­jour­d’hui à tra­vers les mots de Shake­speare. Georges Banu avait alors souligné que le spec­ta­cle offrait au pub­lic une place inédite et resti­tu­ait « en acte, le regard con­tem­po­rain sur l’His­toire »1. Ce coup d’é­clat magis­tral du met­teur en scène, par ailleurs directeur du Toneel­groep d’Am­s­ter­dam2, met aujour­d’hui en lumière un tra­vail riche de plusieurs dizaines de spec­ta­cles depuis 1981, moins con­nu du pub­lic fran­coph­o­ne que celui de ses con­tem­po­rains Jan Fab­re ou Guy Cassiers3, et au cœur duquel le ciné­ma occupe une place toute par­ti­c­ulière. 

En par­al­lèle à des choix aus­si hétéro­clites que La Dame au camélias de Dumas, Lulu de Wedekind, Dans la soli­tude des champs de coton de Koltès, Le Mis­an­thrope de Molière ou plusieurs opéras dont le cycle com­plet Der Ring des Nibelun­gen de Wag­n­er, on retrou­ve dans la liste de ses créa­tions théâ­trales Faces et Open­ing night de John Cas­savetes, Teo­re­ma de Pasoli­ni, Scènes de la vie con­ju­gale de Bergman, ain­si que  des pro­jets au car­refour du théâtre et du ciné­ma puisque leur adap­ta­tion à l’écran a telle­ment mar­qué les esprits que nous ne lisons plus les textes de la même manière depuis (Un tramway nom­mé désir de Ten­nessee Williams ou India Song de Mar­guerite Duras). 

Par­mi les créa­tions de cette sai­son 2008 – 2009 mis­es en scène par Ivo van Hove au Toneel­groep d’Am­s­ter­dam, fig­urent un Anto­nioni Project (d’après L’Avven­tu­ra, La Notte et L’E­clisse) ain­si que Roc­co et ses frères de Vis­con­ti et Cris et chu­chote­ments de Bergman. 

Gabriele Ferretti et Monica Vitti dans « L’Avventura » de Michelangelo Antonioni. Photo D.R.
Gabriele Fer­ret­ti et Mon­i­ca Vit­ti dans « L’Avventura » de Michelan­ge­lo Anto­nioni. Pho­to D.R.

Expli­quant le pro­jet de ses Tragédies romaines lors de la con­férence de presse du Fes­ti­val d’Av­i­gnon du 11 juil­let dernier, Van Hove s’était référé au Vérité et poli­tique4 d’Hannah Arendt et avait fait l’éloge du com­pro­mis : « Je crois que le com­pro­mis est une très belle chose. C’est très dif­férent de la con­ces­sion. Il s’agit d’apprendre à être d’accord, d’essayer de vivre ensem­ble ». Dans un quarti­er d’Anvers où il vivait dans les années 1970, Ivo Van Hove nous explique, sans con­ces­sion aucune, l’art du com­pro­mis de ses adap­ta­tions ciné­matographiques à la scène.

Antoine Laubin : Dans les Tragédies romaines, le spec­ta­teur était invité à déam­buler libre­ment sur le plateau par­mi les acteurs. À de mul­ti­ples endroits de la scène, des téléviseurs étaient placés afin de per­me­t­tre aux spec­ta­teurs, où qu’ils se trou­vent, de suiv­re l’ac­tion prin­ci­pale, les acteurs étant con­stam­ment filmés en direct. La dernière par­tie du spec­ta­cle, en con­traig­nant le spec­ta­teur à quit­ter le plateau et regag­n­er le gradin, pou­vait être perçue comme une affir­ma­tion de la puis­sance « supérieure » du théâtre : pour l’is­sue d’An­toine et Cléopâtre, le téléviseur et ses plans ser­rés ne suff­i­saient plus, il fal­lait voir l’ensem­ble de la scène. Com­ment com­pren­dre cela, en vis-à-vis de votre démarche d’adap­ta­tion ciné­matographique et de l’utilisation récur­rente de la vidéo dans vos spec­ta­cles ? 

Ivo van Hove : La vidéo est pour moi un out­il théâ­tral de notre temps, comme le masque par exem­ple au temps de la tragédie grecque. Le théâtre a tou­jours util­isé les tech­niques disponibles dans la société de son temps. La vidéo n’est rien d’autre qu’un de ces moyens. Je crois qu’on devrait tou­jours l’u­tilis­er en tant que moyen, comme la lumière par exem­ple, dans une optique très réfléchie. Pour ma part, j’u­tilise tou­jours la vidéo unique­ment pour filmer les acteurs sur scène. La scène jouée en direct reste tou­jours en coprésence des écrans qui la dif­fusent. Le fait de jouer au théâtre est pour moi la forme artis­tique la plus puis­sante de ce siè­cle parce qu’elle a lieu en direct : les acteurs sont présents et nous en sommes les témoins. Que quelque chose ait lieu en direct est très impor­tant aujour­d’hui. Les gens sont assis der­rière un ordi­na­teur toute la journée, ce qui est une sorte d’al­ié­na­tion. Je crois vrai­ment que le théâtre sera la plus puis­sante des formes artis­tiques dans les décen­nies à venir. Je crois que le théâtre n’est pas du tout démodé. Les gens ne peu­vent pas trou­ver ailleurs ce que le théâtre offre. Un film ne sera jamais vivant. Il est le même ici, à Hong-Kong et partout sur la planète. Quand on joue au théâtre, la représen­ta­tion ici cet après-midi ne sera pas la même que celle de demain soir ; l’ac­trice sera peut-être nerveuse demain, elle ne sera jamais la même et son pub­lic sera tou­jours témoin de ces élé­ments en prove­nance de la « vraie vie ». La vidéo est pour moi un moyen de ren­dre le direct encore plus puis­sant. J’u­tilise la vidéo pour ten­ter de tout mon­tr­er dans les détails, que le pub­lic soit véri­ta­ble­ment témoin de tout ce qui se passe sur scène. Mon prochain tra­vail sur Cris et chu­chote­ments de Bergman utilise aus­si de la vidéo. Au cen­tre de la pièce, une femme est en train de mourir. Le scé­nario men­tionne qu’il s’ag­it d’une artiste qui écrit un jour­nal, une sorte d’au­teur. On a donc choisi de  faire de son jour­nal un jour­nal vidéo, tourné en direct. 

A. L. : Votre point de départ dans l’adap­ta­tion des films que vous choi­sis­sez est-il le film en tant qu’ob­jet artis­tique « fini », c’est-à-dire inclu­ant le découpage, les mou­ve­ments de caméra, etc. ou le scé­nario orig­i­nal de ce film ?

I. v. H. : Je pars tou­jours du texte orig­i­nal ou de la tran­scrip­tion textuelle du film. Le film en lui-même n’est pas impor­tant pour moi puisqu’il a déjà été fait. Je ne revois donc jamais les films sur lesquels je tra­vaille. Par exem­ple, je n’ai jamais vu Open­ing night. Le tra­vail de Cas­savetes m’é­tait fam­i­li­er par ailleurs, mais je n’avais jamais vu ce film ; on m’a con­seil­lé d’en lire le texte quand je tra­vail­lais sur Faces.

A. L. : Est-ce le cas égale­ment pour les films d’An­to­nioni ?

I. v. H. : J’ai vu tous les films d’An­to­nioni quand j’avais vingt ans. J’é­tais vrai­ment jeune et je ne les ai pas revus depuis. 

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Ivo van Hove
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Antoine Laubin
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Metteur en scène au sein de la compagnie De Facto.Plus d'info
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