Au cœur de l’inattendu, une certaine douceur…
Théâtre

Au cœur de l’inattendu, une certaine douceur…

Entretien avec Pascal Crochet réalisé par Bernard Debroux

Le 15 Juin 2010

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 105 - Théâtre-danse : la fusion ou rien !
105
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BERNARD DEBROUX : Tu as une longue his­toire avec la Com­pag­nie Mossoux-Bon­té. Quand et com­ment se sont passées les pre­mières ren­con­tres avec Patrick et Nicole ?

Pas­cal Cro­chet : Ce fut d’abord avec Patrick à l’oc­ca­sion d’un spec­ta­cle de Pierre Vincke en 1984, MINITANTI MURMURE, spec­ta­cle expéri­men­tal à par­tir de MACBETH de Shake­speare. Patrick a débar­qué dans l’aven­ture pour aider à résoudre des dif­fi­cultés dra­maturgiques mais aus­si pour réalis­er l’é­clairage du spec­ta­cle.
La com­pag­nie a organ­isé en 1989 des audi­tions pour SIMULATION. C’est à ce moment-là que je suis entré dans l’aven­ture. Nous étions deux hommes et deux femmes sur le plateau. C’est aus­si le moment où a eu lieu la ren­con­tre avec Philippe van Kessel alors directeur de l’Ate­lier Sainte Anne, rue des Tan­neurs, où a eu lieu la créa­tion du spec­ta­cle. Nous avons enchaîné ensuite avec L’AMOUR, CE SERA TRÈS FROID, un spec­ta­cle de Nicole. C’é­tait un très beau pro­jet, une expéri­ence assez dif­fi­cile, qui n’a pas eu une très longue vie.
J’ai par­ticipé, à la même époque (1990) comme inter-prète dans film SCELSI SUITES. Nous étions deux, Nicole et moi, un mag­nifique tra­vail filmé dans les Ther­mes à Ostende par Dirk Gri­jspeirt, réal­isa­teur à la BRTN.
Plus tard (1996), il y eut CONTRE SATURNE, créé au Théâtre Nation­al. Le pro­jet était de rassem­bler dans une grande dis­tri­b­u­tion des inter­prètes au par­cours dif­férent mais qui avaient tous déjà tra­vail­lé pour Patrick et Nicole.
J’ai ensuite par­ticipé à un deux­ième film réal­isé aus­si par Michel Jakar, RIEN DE RÉEL (1994), qui se pas­sait dans la neige au milieu du brouil­lard …
Après, il y a eu une longue inter­rup­tion car dans toute démarche par­ti­c­ulière et sin­gulière, il y a un moment où les équipes vieil­lis­sent, les esthé­tiques évolu­ent et les néces­sités des dis­tri­b­u­tions changent …
Moi-même j’ai par­ticipé à d’autres aven­tures (notam­ment celle d’In­grid von Wan­toch Rekows­ki) et on s’est retrou­vé plus tard sur GÉNÉRATIONS (2004), un remar­quable tra­vail dans son esprit et sa réal­i­sa­tion dont le thème prin­ci­pal était la trans­mis­sion. Nous étions une douzaine d’in­ter­prètes. C’é­tait à nou­veau le rassem­ble­ment d’ac­teurs et de danseurs qui avaient par­ticipé à des spec­ta­cles de la com­pag­nie à dif­férents moments de son his­toire. Il était demandé à cha­cun d’écrire une petite choré­gra­phie qu’il allait ensuite trans­met­tre aux autres. Au bout d’un cer­tain temps tous les inter­prètes con­nais­saient les par­ti­tions de cha­cun et après s’est écrit une sorte de par­ti­tion générale, d’en­chaîne­ment de toutes les par­ti­tions qu’on jouait en même temps. À l’in­térieur de ces simul­tanéités se sont instal­lés des décalages, la pos­si­bil­ité de ne pas jouer tous, tout en même temps. Chaque acteur était soli­taire, il évolu­ait sur une sorte de dalle lumineuse ; les spec­ta­teurs cir­cu­laient autour des inter­prètes, pou­vaient entr­er et sor­tir de la salle, ça ne posait pas de prob­lèmes. Il y avait bien un début et une fin, mais l’ensem­ble du spec­ta­cle pou­vait être vu comme une sorte de per­for­mance col­lec­tive. C’é­tait une expéri­ence très trou­blante, à la fois d’é­coute (puisqu’il y avait peu de repères pré­cis), il y avait une par­ti­tion musi­cale, mais très abstraite elle aus­si. Le spec­ta­cle durait env­i­ron deux heures, ce qui pour ce type de forme est assez long.
Nous l’avons joué en salle et aus­si en plein air, au couch­er du soleil… La présence de la nature ouvrait sur d’autres univers, l’ar­rivée de la nuit créait une atmo­sphère par­ti­c­ulière, ce fut le cas aus­si quand nous l’avons joué face à la mer… Nous l’avons joué un soir en boucle au Théâtre Varia, deux fois de suite … Une per­for­mance de qua­tre heures et une expéri­ence fasci­nante du temps car nous n’avions pas de repère sur la durée des séquences. Il y avait quelques vagues repères musi­caux, mais très lim­ités … Une fois que l’on mon­tait sur cette dalle, on savait qu’on était par­ti pour une aven­ture sans doute lim­itée dans le temps mais dont on devait gér­er soi-même le rythme. Au bout d’un cer­tain temps de répéti­tions et de représen­ta­tions, on par­ve­nait à sen­tir ce que c’é­tait une heure et demie, deux heures, grâce à la maîtrise d’une sorte de biolo­gie du rythme.


B.D. : Quelle est la spé­ci­ficité de la démarche de Nicole et Patrick par rap­port à tes autres expéri­ences de tra­vail ? Com­ment pour­rais-tu décrire, définir cette approche sin­gulière du spec­ta­cle ?


P. C. : Ce qui est très par­ti­c­uli­er d’abord, c’est qu’il s’ag­it d’un cou­ple. Ils tra­vail­lent
tou­jours à deux. Il y a une sorte d’alchimie éton­nante qui se dégage. Depuis le début, ils alter­nent des spec­ta­cles qui sont tan­tôt des con­cepts de Patrick et tan­tôt des con­cepts de Nicole.
Selon qu’on est dans un pro­jet ou l’autre, ce n’est pas tout à fait la même aven­ture. La matière même et la manière de for­muler le spec­ta­cle dif­fèrent sen­si­ble­ment. Patrick est davan­tage du côté de la dra­maturgie, du con­cept, des idées. Chez Nicole, on est dans un univers plus féminin et plus de l’or­dre de l’in­time. Il y a de l’in­time aus­si chez Patrick, mais il s’ag­it plus d’un regard sur le monde, donc plus « poli­tique », plus attaché à la moder­nité.
Mais finale­ment ils sont tou­jours là tous les deux et leurs sen­si­bil­ités se com­plè­tent.
Ce qui est sin­guli­er dans leur tra­vail, c’est la forme hybride. Il y a une forme théâ­trale, une nar­ra­tion, un réc­it de plateau, des sil­hou­ettes, par­fois des per­son­nages, des his­toires mais il y a en même temps un lan­gage visuel, un rap­port au mou­ve­ment très sin­guli­er. Ce qui m’a tou­jours frap­pé chez eux, c’est cette volon­té farouche de refuser toute nar­ra­tion, même s’il en existe une. Il faut tou­jours que ce soit décalé, il y a tou­jours une dimen­sion d’ab­strac­tion. Dès que c’est trop expli­catif, ça ne va pas, il faut être plus abstrait. Il y a une sorte de ten­sion entre des volon­tés nar­ra­tives et leur empêche­ment. Cela donne cette forme, qui est la leur, et qu’on ressent très fort aus­si comme spec­ta­teur : ce voy­age entre la nar­ra­tion et la forme pure. Être à cheval sur ces deux dimen­sions donne par­fois des moments cri­tiques. Le spec­ta­teur peut se per­dre et se deman­der ce que ça racon­te mais en même temps on n’est jamais com­plète­ment dans la forme comme peut l’être un spec­ta­cle de danse qui peut se libér­er plus facile­ment du sens. Être arc-bouté sur ces deux créneaux est une grande part de leur sin­gu­lar­ité

Pas­cal Cro­chet dans SCELSI SUITES ( film ),
réal­i­sa­tion Dirk Gryspeirt, BRTN / Com­pag­nie Mossoux Bon­cé, 1990.
Pho­to Patrick Bon­té.

B.D. : Quand on par­ticipe comme inter­prète à un tel tra­vail, a‑t-on con­science d’être dans une image ou est-on dans le jeu « pur » ? Puisqu’il y a cette volon­té con­stante de décalage, cette démarche qui con­siste à vouloir s’échap­per de la nar­ra­tion, on est davan­tage dans des « états » que dans la con­struc­tion d’un per­son­nage. Com­ment arrive-t-on à repro­duire ces états ?

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