Crypte, encrypté, décrypté *
Non classé
Théâtre

Crypte, encrypté, décrypté *

Daniel Dobbels

Le 11 Juin 2010
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 105 - Théâtre-danse : la fusion ou rien !
105
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

Patrick Bon­té, Nicole Mossoux

ENTRE CES DEUX NOMS, des éten­dues, des déserts et des cryptes, l’ex­is­tence d’un étrange vous­soir, un refus soudain d’énumér­er, un théâtre ouvert aux purs lende­mains, un doute dis­tinct comme un pre­mier regard se por­tant sur le pou­voir des fins. Une fron­tière intérieure ne peut les sépar­er, elle seule ne doit pas pren­dre corps (et néan­moins ce ne peut être une loi).
Cette « fron­tière » ne répond à aucun dessin, aucun tracé, qu’ils soient légitimes ou for­cés. Elle ne délim­ite pas de ter­ri­toires ; elle est flu­ide et inter­mit­tente comme un curseur activé par un désir dédou­blé, où, pré­cis comme un scalpel, il pointe au cœur de ce qui voit dou­ble, le trait d’une vision ouvrant tous les recours.

Le recours ? Ce serait peut-être l’un des mots secrets (mot-clef) et l’une des formes cryp­tées de leur tra­vail et de l’œu­vre qui s’en fait le décours. Il se tient et veille dans une entre-scènes — entre tableaux, écrans, crans d’ar­rêt, seg­ments choré­graphiques et phrasés gestuels ou textuels. Il est prin­ceps. Il assure que la trans­gres­sion ne sera ni mortelle ni sim­ple­ment l’ob­jet d’une loi la rabat­tant sous son coup. Il est cette force en reste qui émarge au plus strict, au plus pen­sé du dis­posi­tif mis en place (et chaque fois renou­velé). Il est cet air inespéré, cet héli­um, ce corps sim­ple gazeux (He), très léger, mono-atom­ique et inin­flam­ma­ble, décou­vert dans la chro­mo­sphère solaire et très rare dans l’air — émanant comme tel du trou­ble des corps, de leurs hési­ta­tions, de leurs con­tro­ver­s­es, de leurs dis­par­ités inquiètes, ten­dues ou vagues, sèch­es et soudaine­ment regon­flées par une pen­sée han­tée par son envers. He (elle-lit-homme)!

Entre ces trois femmes et ces deux hommes, entre les trois écrans qui les sépar­ent mais ne font pas écran entre eux, un élé­ment cir­cule comme une par­tic­ule man­quante et incon­nue. Il cherche, invis­i­ble­ment, son alliage, ses alliances, son cou­ple et ses cou­plages. Il est du genre sup­plé­men­taire, plutôt que com­plé­men­taire. Même l’ex­cès ou l’outrance n’est pas de son domaine. L’autre et le même ( l’ho­mo, l’hétéro) sem­blent chercher un genre incon­nu, encore inen­gen­dré, auquel ils voudraient, désir­eraient souscrire (sous-écri­t­ure).

Il y aurait là comme un motif récur­rent, une recherche à peine énonçable, pour ces archéo­logues fouil­lant des chantiers de mou­ve­ments : ce qui fait l’ob­jet d’une sous-écri­t­ure inef­façable ( plus fuyante encore qu’un texte palimpses­te). Beck­ett se le répé­tait par­fois « je ne suis pas assez bas » pour que l’écri­t­ure soit la veille de tout entre-déchire­ment. Tir­er du bas ces traits d’ex­is­tence qui, sen­si­bles au moin­dre car­ac­tère blessant, n’en raviveront ni rou­vriront les pou­voirs humiliants. Lutte iné­gale (poli­tique) mais inévitable d’une grâce sous-jacente con­tre toute « force de car­ac­tère » imposant sa gram­maire, son cap­i­tal, sa force de loi et ses valeurs sélec­tives. La Bel­gique est peut-être, en ce sens, un pays strat­i­fié par ces découpages (notam­ment de langue) dont Michaux a su, mieux que nul autre, révéler les « pro­priétés » para­doxales et inten­ables.
Autrement dit, Nicole Mossoux et Patrick Bon­té auraient eu, dès les débuts, affaire à de
l’im­pro­pre, des chais de mémoires mal cavées, mal entretenues.

Mémoires qu’un seul cou­ple ne saurait pren­dre en compte sans les assour­dir d’une douleur con­fon­dante, celle, pré­cisé­ment, qui revient à ce seul cou­ple sous le ten­ant d’un seul passé. Or l’en­jeu, ici essen­tiel, est de dégager le passé d’un présent trop lourd et d’un avenir trop pro­jeté. L’élé­ment rare l’ex­ige atmo­sphérique­ment (et lumineuse­ment): désen­fouir c’est met­tre au jour non seule­ment de l’indéchiffrable (fut-il, comme les hiéro­glyphes, lente­ment décryp­tés ) mais aus­si de l’indéfrich­able, soit une zone à jamais vierge où les sols du théâtre, de la danse, du film, du texte se dérobent et lais­sent poindre une nudité igno­rante de la nuit. Douce tenaille se dres­sant à l’aube de cha­cune des pièces créées et obsédées par cette nuit sur le monde qui masque l’émer­veille­ment de ses corps nais­sants, étrangers ( par leur inno­cence ) aux DERNIÈRES HALLUCINATIONS DE LUCAS CRANACH L’ANCIEN. Nuit des corps qui se fait un monde de la nuit tombant sur le monde en ne ces­sant de la transpercer par signes, embryons ou présences si pleines qu’elles se dédou­blent de leur mar­i­on­nette (une face morte pro­tège la face inquiète d’être vivante). Il s’ag­it, pour l’une et l’autre, en état de gémi­na­tion en ces heures, de lire ce qu’elles sont en train d’écrire.
La ques­tion reste latente et comme en demeure : de deux êtres jumeaux, venant au monde, de quelle ombre celui qui vient au jour en sec­ond pro­tège-t-il celui qui voit le jour le pre­mier ?
De quel éclat, de quelle inten­sité le préserve-t-il en secret, de quel sous-cri dou­ble-t-il son pre­mier cri ?

*Extrait.

Non classé
Théâtre
Entretien
Partager
auteur
Écrit par Daniel Dobbels
Danseur et choré­graphe, cri­tique d’art et chroniqueur ( notam­ment à Libéra­tion et à France Cul­ture ), Daniel Dobbels...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Couverture du numéro 105 - Théâtre-danse : la fusion ou rien !
#105
mai 2025

Théâtre-danse : la fusion ou rien !

12 Juin 2010 — CES MOTS qualifiant l'acte de filmer la danse se trouvent dans l'écriture de Jacqueline Aubenas1. Juste avant: « Il est…

CES MOTS qual­i­fi­ant l’acte de filmer la danse se trou­vent dans l’écri­t­ure de Jacque­line Aubenas1. Juste avant : «…

Par Michel Jakar
Précédent
9 Juin 2010 — ILS CHERCHENT LE TROUBLE. C'est un leitmotiv.« Leurs spectacles, qui interrogent toujours la présence de l'acteur/ danseur, cherchent à créer…

ILS CHERCHENT LE TROUBLE. C’est un leit­mo­tiv.« Leurs spec­ta­cles, qui inter­ro­gent tou­jours la présence de l’acteur/ danseur, cherchent à créer un trou­ble dans lequel le spec­ta­teur puisse se sen­tir per­son­nelle­ment impliqué [ …}» explique-t-on 1;…

Par Philippe Verrièle
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total