BERNARD DEBROUX : Le Festival international des Brigittines a vingt-huit ans cette année. Tu y es associé depuis quinze ans. Comment le Festival a‑t-il évolué au cours du temps ? Quel est son parcours, ses lignes de force ?
Patrick Bonté : L’évolution s’est faite par étapes. En 1982, lors de la première édition, le Festival reprenait cinq moments forts de la saison théâtrale bruxelloise.
Les spectacles avaient lieu chaque vendredi soir du mois d’août. On pouvait écouter un conteur aussi bien que découvrir le premier spectacle d’Anna Teresa de Keersmaeker, FASE. Une programmation d’été, très ouverte. Initiée par la Ville de Bruxelles et soutenue à bras le corps par Monique Duren, responsable culturelle à la Ville, qui en a assuré la pérennité. Les spectacles étaient présentés en plein air, dans la cour de la Maison Spectacle (la Bellone).
En 1988, deuxième étape, durant les travaux de toiture (mise sous verre de la cour de la Bellone), le stival a déménagé vers les Brigittines. Cela a changé aucoup de choses. Le lieu permettait de présenter des ctacles beaucoup plus complexes sur le plan technique. qu’en 1994, le Festival a continué à présenter des ctacles remarqués dans la saison tout en invitant des ctacles étrangers. La tonalité était pluridisciplinaire : âtre, danse, musique. Il y avait du jazz, des soirées musique contemporaine.
À partir de 1995, le Festival est devenu thématique. première édition de ce genre, « Nouvelles cérémonies, risions nouvelles », était une interrogation sur le rituel théâtre et sur la façon dont il est revivifié aujourd’hui détourné de sa fonction ou de son objet par des alages ironiques.
En 1998, la musique a disparu de la programmation ur des raisons de cohérence, d’unité. Depuis lors, démarche n’a plus changé : un festival international tré sur les formes contemporaines, les langages ginaux, les univers insolites.
B.D. : Il y eut aussi plus récemment la transfor-tion du bâtiment qui a permis de créer un véritable lieu de spectacles, d’ateliers et de rencontre…
P. B. : La Chapelle des Brigittines a été transformée fil des années en une salle de théâtre
extrêmement performante. Mais nous n’avions pas de loges (situéess un autre bâtiment); tout ce qui était technique était entreposé dans deux containers à côté de la Chapelle. dministration était à la Bellone. Il manquait du fort le plus élémentaire …
Sous l’impulsion de l’échevin des Beaux-Arts Marion maire, puis d’Henri Simons qui lui a succédé et bien aussi de Monique Duren, le projet de construction d’un second bâtiment attenant a pris forme. La réalisation un jumeau en verre et en acier, accolé à la Chapelle : il permet l’accueil du public, dispose de loges, de locaux techniques et administratifs et surtout offre de nouveaux espaces : une salle et un grand studio… Autant dans la Chapelle, le monde extérieur est toujours présent, on entend les ambulances, le passage des trains et les cloches de l’église d’à côté, autant dans la salle Mezzo règne un silence absolu. Cette salle permet d’accueillir cent personnes, alors qu’on peut recevoir cent quatre-vingts spectateurs dans la Chapelle. Le studio est ouvert sur la ville par de grandes baies vitrées, c’est essentiel-lement un lieu de travail mais qu’on peut occulter si nécessaire. Le Festival se déroule dans ces trois lieux.
P. B. : Je ne cherche évidemment pas à projeter mes propres visions ou mes obsessions dans les spectacles que j’invite. En revanche, je ne peux m’empêcher d’être sensible à des préoccupations qui sont les miennes en tant que créateur : l’interrogation sur la présence en scène, les manières de détourner le cliché et la psychologie, le travail sur le langage scénique et sur la structuration du spectacle …
B.D. : À partir de 1995, il y a donc des festivals à thème1. Cette option est sans doute liée à ta personnalité et au fait que tu es toi-même un créateur. C’est une différence par rapport à bon nombre de festivals qui sont aujourd’hui dirigés par des personnalités où on sent que prime parfois l’aspect « managérial ». Le fait qu’ici le directeur soit un artiste influence le choix de la programmation, la manière de l’envisager, de la construire, et en même temps le regard porté sur le travail des autres, étant toi même metteur en scène, écrivain et « dramaturge ». Comment vis-tu cela ?
B.D. : …ce qu’on appelle aujourd’hui les écritures de plateau.
P. B. : Oui, exactement, mais ce qui m’intéresse en priorité, ce sont les univers personnels et inventifs, les démarches originales. Plus l’artiste plonge dans sa singularité, plus le travail sur la structure et le langage est essentiel dans la mesure où c’est cela qui va rendre son univers partageable et lui assurer une sorte d’universalité. L’art est le lieu du singulier qui s’adresse à tous, je le crois vraiment, et j’ai même la sensation — c’est le pari que fait le Festival — que plus c’est singulier, plus c’est universel, à condition que ce travail soit accompli. Ce qui est en jeu, c’est d’abord et toujours la création d’une forme, l’exploration ou la formulation d’un monde qui s’inspire du réel mais qui crée des règles autonomes qui font que l’œuvre existe en tant que telle : cela ne ressemble à rien d’autre et, en même temps, nous pouvons y entrer et nous y reconnaître comme si nous en avions toujours fait partie.

Festival international des Brigittines, 2004.
Photogramme Michel Jakar





