Festival de lisières
Théâtre
Réflexion

Festival de lisières

Marie Baudet

Le 16 Juin 2010
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 105 - Théâtre-danse : la fusion ou rien !
105
Article fraîchement numérisée
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C’EST ENCORE L’ÉTÉ, et déjà presque la ren­trée. Ce moment un peu incer­tain tapi entre un début de nos­tal­gie et le seuil d’en­vies nou­velles.
Après peut-être une cure salu­taire de non-spec­ta­cle, l’ap­pétit s’est aigu­isé, comme neuf.
C’est le moment. l’en­tre-deux. De la même façon que le Fes­ti­val inter­na­tion­al des Brigit­tines, dont l’o­rig­ine remonte à 1982, cul­tive d’an­née en année tous les vis­ages de l’in­ter­dis­ci­pli­nar­ité. Sans choisir jamais ou le théâtre ou la danse — pour réduire le champ à une alter­na­tive — mais en optant au con­traire pour les inter­sec­tions, les zones par­fois floues mais dont l’indé-ter­mi­na­tion pour autant n’empêche pas la rad­i­cal­ité,
ni même une cer­taine pureté formelle. C’est d’ex­pres­sion scénique qu’il est ques­tion ici, de ques­tions plus que de répons­es, de leur for­mu­la­tion plus que de leur réso­lu­tion, de l’ac­cep­ta­tion du trou­ble jail­li dans cet éphémère absolu.
Ain­si, aus­si, les propo­si­tions du fes­ti­val inter­ro­gent-elles inlass­able­ment non seule­ment l’art lui-même, mais le spec­ta­teur, son regard, sa per­cep­tion : l’in­di­vidu qu’il est, en éveil ou four­bu, irrité ou bien­veil­lant, pais­i­ble ou agité, curieux ou furieux, amoureux ou déçu, à l’in­stant pré­cis­sus­pendu — où il reçoit une œuvre don­née.
Son état de corps et d’e­sprit, mais encore la con­nais­sance préal­able qu’il a — ou non — du tra­vail auquel il accède, de son auteur, de son con­texte artis­tique, envi­ron­nemen­tal, économique voir poli­tique. Sans doute faut-il trou­ver là une des raisons majeures de notre attache­ment à cet événe­ment : l’im­placa­ble, la for­mi­da­ble sub­jec­tiv­ité qui le sous-tend. Et qu’il bous­cule, et ques­tionne, et ren­voie comme une balle sur ses pro­pres parois, virtuelles et mou­vantes. Rebondisse­ment per­ma­nent, pour nous indis­so­cia­ble de l’hu­main, aus­si sci­en­tifique et pré­cis soit-il, et plus encore de ses moments d’ou­ver­ture à l’art, sous quelque forme qu’il se présente. Art con­tem­po­rain, mou­ve­ment et voix sont les piliers des Brigit­tines comme lieu. Leur con­ju­gai­son, leur com­bi­nai­son, leur con­fronta­tion habitent le fes­ti­val, qui n’a de cesse de son­der l’é­tour­dis­sante poly­sémie de ce que, pour sim­pli­fi­er, on nomme théâtre. Cette re/présentation, ce ques­tion­nement (encore!? tou­jours, surtout), cette appro­pri­a­tion et cette dépos­ses­sion simul­tanées d’une chose, d’une idée, d’un souf­fle, pas for­cé­ment d’un réc­it.

Que doit être un spec­ta­cle ? Qu’y vient-on chercher ?

En posant l’art comme « le lieu du sin­guli­er qui s’adresse à tous », le Fes­ti­val des Brigit­tines a opté pour la présen­ta­tion de formes orig­i­nales du spec­ta­cle d’au­jour­d’hui — dont l’o­rig­i­nal­ité, plutôt que le but, serait la nature, la con­di­tion — à même de s’ou­vrir à l’imag­i­naire de cha­cun. En cela décou­vreur, défricheur, il explore le champ de la créa­tion, atten­tif tou­jours aux équili­bres insta­bles, aux échos de la bizarrerie, aux « sen­tinelles de l’im­prob­a­ble » pour repren­dre l’un des inti­t­ulés qui, sou­vent à dou­ble face (pas tou­jours cepen­dant : on se sou­vient de la ligne de 2002, « Le monde te prend tel que tu te donnes », mais aus­si des « Jumeaux imag­i­naires » de 2007, année de l’ou­ver­ture du « dou­ble » de verre et d’aci­er de la chapelle baroque, et que suiv­raient en 2008 d’évo­ca­teurs « Abîmes secrets »), ont jalon­né l’his­toire du Fes­ti­val, assor­tis à chaque édi­tion d’une image choisie, évo­quant l’hu­main, con­vo­quant le fan­tasme.
Irré­ductible à une esthé­tique unique, le pro­jet pour­rait même, à un œil très extérieur, sem­bler dis­per­sé ; il présente pour­tant, au fil du temps, une assez fasci­nante cohérence, due selon nous tant aux goûts et affinités de ses pro­gram­ma­teurs que, para­doxale­ment, à leur con­stant souci d’é­clec­tisme. (Ce dont Michel Jakar, der­rière sa caméra, se sera fait le témoin sub­jec­tif et pré­cis. Ses LÉGERS DÉRANGEMENTS DU RÉEL, film tiré de son obser­va­tion de tous les spec­ta­cles des édi­tions 2003 à 2005, don­nent une très belle et juste mesure de cette éton­nante dual­ité.) Un fil, ni rouge ni noir, mais de cette couleur indé­cise que révè­lent les cré­pus­cules, tra­verse cette déjà longue aven­ture. L’é­trange. Celui qui va du fris­son à la famil­iar­ité con­fon­dante.
Celui d’où sur­git le malaise peut-être, la fas­ci­na­tion sou­vent, celui qu’ac­com­pa­gne une forme d’ « intran­quil­li té ». Cette étrangeté-là, fût-elle habitée de fan­tas­magories par­fois, ne doit pas grand-chose au genre fan­tas­tique, mais relève de l’in­time, de l’en­foui, jusqu’à l’ob­scur, sur quoi soudain une œuvre peut jeter ses lumières. Du sens ? éventuelle­ment. Du sen­si­ble cer­taine­ment.
« Nous avons besoin d’une parole de chair pour nous ori­en­ter dans les labyrinthes de nos pen­sées » : la for­mule de Patrick Bon­té a gardé toute sa per­ti­nence.
Du côté des artistes, des fidél­ités se sont nouées au fil du temps, sans empêch­er jamais les décou­vertes. Fugaces pour cer­taines, tenaces pour d’autres. Et ce tan­dis que l’événe­ment s’est pro­gres­sive­ment inscrit dans des réseaux, européens notam­ment, ouverts aux arts de la scène nova­teurs.

Tout cela fait du Fes­ti­val inter­na­tion­al des Brigit­tines, à la fin d’une sai­son et à l’orée d’une autre, un ren­dez-vous sin­guli­er et pré­cieux, avec la créa­tion actuelle sous ses aspects les moins«attendus », les plus auda­cieux, et avec nous-mêmes. Une invi­ta­tion chaque année renou­velée à se laiss­er envahir par l’in­stant. Une inci­ta­tion aux ver­tiges de la curiosité. Aux décloi-son­nements, décalages, per­tur­ba­tions, bas­cule­ments.
Aux habi­tudes bous­culées, per­cep­tions ques­tion­nées, cer­ti­tudes débous­solées. Un moment pour, peut-être, recon­naître l’autre en soi, pour décel­er, sinon résoudre, cette énigme.

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Écrit par Marie Baudet
Marie Baudet est cri­tique à La libre Bel­gique. Jour­nal­iste scènes (La Libre Belgique/Culture) théâtre, danse, per­for­mance : leurs formes...Plus d'info
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Par Pascal Crochet
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