ANNE LONGUET MARX : Peux-tu me dire comment tu es entrée dans le monde « Mossoux-Bonté » ?
Maxence Rey : Ma première rencontre avec l’univers de la Compagnie Mossoux-Bonté s’est faite par l’intermédiaire d’une interview de Patrick Bonté que j’ai réalisée en août 2000.
À l’époque, j’étais en pleine reconversion professionnelle. Après avoir radicalement arrêté la danse, travaillé pendant trois ans en informatique de gestion de projets en milieu industriel, j’avais repris des études en suivant un master européen en management culturel. Dans le cadre de celui-ci, j’ai réalisé un stage au sein de l’équipe artistique des Halles de Schaerbeek à Bruxelles, à l’époque où Philippe Grombeer en était le directeur.
En parallèle, je rédigeais un mémoire et j’avais choisi d’interroger « La question de l’interdisciplinarité à travers la danse contemporaine, vers l’émergence d’un nouveau langage artistique ». Vaste programme ! Partageant ma réflexion avec Philippe Grombeer, il m’avait conseillé d’interviewer une personne en particulier : Patrick Bonté, qui sans aucun doute aurait amené une dimension supplémentaire à ma recherche. Non seulement, cette rencontre avec Patrick a vraiment aiguillé, alimenté et enrichi ma recherche, mais j’ai aussi pu échanger avec cet artiste tant sur un plan intellectuel qu’à un endroit du sensible totalement palpable.
Au même moment avait lieu le festival des Brigittines à Bruxelles et j’ai pu découvrir, en tant que spectatrice, ma première pièce de la Compagnie Mossoux-Bonté : LES DERNIÈRES HALLUCINATIONS DE LUCAS CRANACH L’ANCIEN. J’ai souvenir d’avoir été quelque peu déstabilisée et désemparée par ce spectacle, ayant rarement croisé ce type de proposition artistique auparavant. J’ai le souvenir d’un univers artistique fort et singulier. Et les sensations qui me sont restées par la suite sont : pictural, féminin, sensualité, humour, mystère. J’y ai beaucoup repensé. C’est plus tard, en juillet 2003, que j’ai plongé corporellement dans leur univers.
Je re-commençais à danser, et c’est à travers un stage que Nicole et Patrick donnaient à l’Institut International de la Marionnette de Charleville-Mézières que nous nous sommes retrouvés.
Je me souviens très nettement être entrée directement en résonance tant avec leur propos que leur rapport au corps. Je parle ici de résonance comme d’une évidence, d’une justesse, cette sensation fabuleuse et rare que l’on éprouve très violemment quand on se sent au bon endroit et du coup vivant !
Je me souviens avoir puisé dans un imaginaire très riche, avoir plongé en moi-même pour révéler, à travers le mouvement, de l’indicible, de l’invisible. En mars 2004, Patrick me proposait de rejoindre l’équipe de leur prochaine création : HÉLIUM. Et depuis, c’est une belle et riche collaboration : HÉLIUM, LE CORPS ET LA MÉLANCOLIE, NOLI ME TANGERE, NUIT SUR LE MONDE, LES CORPS MAGNÉTIQUES.
Zones de failles
A. L. M. : Tu as développé, me semble-t-il, tout au long de cette collaboration, comme d’ailleurs Sébastien Jacobs, autre interprète fidèle, une manière d’être, de bouger, d’apparaître, gui te sont propres, comme si tu explorais quelque chose de pièce en pièce. Peux-tu décrire ce processus ?
M. R. : Il me semble que Nicole et Patrick se relient à des personnes, des artistes-interprètes qui acceptent de puiser dans leur intériorité, dans leur être intime et dans des profondeurs d’être gui ne sont pas forcément révélées, des artistes-interprètes qui prennent le risque d’aller dans ces zones inconnues et troubles, ces zones de failles et de brèches qui laissent souvent échapper les mystères de l’humain. C’est ce que Nicole et Patrick captent et traquent avec acuité.
À travers des créations ancrées dans un univers qui leur est propre, il existe une part de liberté dans la créativité du mouvement que chacun des artistes-interprètes peut proposer, même s’il s’agit bien sûr de ne pas être totalement hors cadre. Certaines propositions, de l’ordre du mouvement pour le mouvement, n’ont pas particulièrement leur place. Le fait qu’ils ne fassent pas directement appel à une technique dansée permet de révéler d’autant plus fortement la présence de l’artiste-interprète. La manière dont ils révèlent cette présence, phénomène par ailleurs assez étrange et impalpable, est primordiale.
Ils parviennent à assembler sur un même plateau des êtres dont la singularité, la complicité ou l’antinomie physique, généreront une force spécifique pour le spectacle donné.
En outre, ce rapport à la présence sur un plateau et au mystère qui l’entoure est un espace personnel, très intime à cultiver et à nourrir. Il me semble que tout artiste-interprète se doit de faire parler cette présence dans la manière dont il habite artistiquement son propre corps, dans son rapport à son propre imaginaire, au sensible.
Il est, de fait, alors évident que dans chacune des créations j’offre et partage un petit bout de moi, de mon intime, de ma singularité, puisque chacune des créations part d’improvisations, certes cadrées avec des intentions spécifiques, mais d’improvisations basées sur les propositions d’êtres humains.
L’espace de liberté supplémentaire, c’est que Nicole et Patrick laissent à l’interprète la possibilité de faire jouer, danser, donc vibrer son propre corps de perception, de ressenti, d’émotion et qu’ils offrent un réel espace pour cela, tant spatial, temporel, humain, mental que corporel. Ils sont aussi très bien entourés avec une équipe artistique, administrative et technique présente au quotidien sur une création. Et ceci génère une réelle disponibilité au travail artistique. Il va sans dire que tout ce déploiement n’est possible qu’à partir du moment où eux-mêmes sont aussi dans cette démarche là, impliquant une grande écoute, une ouverture à l’autre et une très grande exigence. Si je devais définir un mode d’être que j’explore de pièces en pièces, tant avec Nicole et Patrick, qu’avec d’autres créateurs ou sur mon propre travail, ce serait l’exploration incessante d’un corps habité, généreux, vibrant et vivant et ce, dans une certaine manière d’être au monde, dans une recherche inlassable d’un être poétique. Et je peux dire que ce n’est pas de tout repos. Car il ne s’agit bien évidemment pas exclusivement que d’un rapport au plateau, au spectacle, mais aussi d’un rapport plus large et métaphysique dans sa manière de vivre sa vie et d’être au monde.
Compagnie Mossoux-Bonté, 2005.
Photo Cyril Minoux.




