La résonance des corps
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Théâtre

La résonance des corps

Entretien avec Maxence Rey réalisé par Anne Longuet Marx

Le 15 Juin 2010
Sébastien Jacobs, Erika Zueneli et Maxence Rey dans HÉLIUM, Compagnie Mossoux-Bonté, 2005. Photo Cyril Minoux.

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Sébastien Jacobs, Erika Zueneli et Maxence Rey dans HÉLIUM, Compagnie Mossoux-Bonté, 2005. Photo Cyril Minoux.
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Couverture du numéro 105 - Théâtre-danse : la fusion ou rien !
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ANNE LONGUET MARX : Peux-tu me dire com­ment tu es entrée dans le monde « Mossoux-Bon­té » ?

Max­ence Rey : Ma pre­mière ren­con­tre avec l’u­nivers de la Com­pag­nie Mossoux-Bon­té s’est faite par l’in­ter­mé­di­aire d’une inter­view de Patrick Bon­té que j’ai réal­isée en août 2000.
À l’époque, j’é­tais en pleine recon­ver­sion pro­fes­sion­nelle. Après avoir rad­i­cale­ment arrêté la danse, tra­vail­lé pen­dant trois ans en infor­ma­tique de ges­tion de pro­jets en milieu indus­triel, j’avais repris des études en suiv­ant un mas­ter européen en man­age­ment cul­turel. Dans le cadre de celui-ci, j’ai réal­isé un stage au sein de l’équipe artis­tique des Halles de Schaer­beek à Brux­elles, à l’époque où Philippe Grombeer en était le directeur.
En par­al­lèle, je rédi­geais un mémoire et j’avais choisi d’in­ter­roger « La ques­tion de l’in­ter­dis­ci­pli­nar­ité à tra­vers la danse con­tem­po­raine, vers l’émer­gence d’un nou­veau lan­gage artis­tique ». Vaste pro­gramme ! Partageant ma réflex­ion avec Philippe Grombeer, il m’avait con­seil­lé d’in­ter­view­er une per­son­ne en par­ti­c­uli­er : Patrick Bon­té, qui sans aucun doute aurait amené une dimen­sion sup­plé­men­taire à ma recherche. Non seule­ment, cette ren­con­tre avec Patrick a vrai­ment aigu­il­lé, ali­men­té et enrichi ma recherche, mais j’ai aus­si pu échang­er avec cet artiste tant sur un plan intel­lectuel qu’à un endroit du sen­si­ble totale­ment pal­pa­ble.
Au même moment avait lieu le fes­ti­val des Brigit­tines à Brux­elles et j’ai pu décou­vrir, en tant que spec­ta­trice, ma pre­mière pièce de la Com­pag­nie Mossoux-Bon­té : LES DERNIÈRES HALLUCINATIONS DE LUCAS CRANACH L’ANCIEN. J’ai sou­venir d’avoir été quelque peu désta­bil­isée et désem­parée par ce spec­ta­cle, ayant rarement croisé ce type de propo­si­tion artis­tique aupar­a­vant. J’ai le sou­venir d’un univers artis­tique fort et sin­guli­er. Et les sen­sa­tions qui me sont restées par la suite sont : pic­tur­al, féminin, sen­su­al­ité, humour, mys­tère. J’y ai beau­coup repen­sé. C’est plus tard, en juil­let 2003, que j’ai plongé cor­porelle­ment dans leur univers.

Je re-com­mençais à danser, et c’est à tra­vers un stage que Nicole et Patrick don­naient à l’In­sti­tut Inter­na­tion­al de la Mar­i­on­nette de Charleville-Méz­ières que nous nous sommes retrou­vés.
Je me sou­viens très net­te­ment être entrée directe­ment en réso­nance tant avec leur pro­pos que leur rap­port au corps. Je par­le ici de réso­nance comme d’une évi­dence, d’une justesse, cette sen­sa­tion fab­uleuse et rare que l’on éprou­ve très vio­lem­ment quand on se sent au bon endroit et du coup vivant !
Je me sou­viens avoir puisé dans un imag­i­naire très riche, avoir plongé en moi-même pour révéler, à tra­vers le mou­ve­ment, de l’indi­ci­ble, de l’in­vis­i­ble. En mars 2004, Patrick me pro­po­sait de rejoin­dre l’équipe de leur prochaine créa­tion : HÉLIUM. Et depuis, c’est une belle et riche col­lab­o­ra­tion : HÉLIUM, LE CORPS ET LA MÉLANCOLIE, NOLI ME TANGERE, NUIT SUR LE MONDE, LES CORPS MAGNÉTIQUES.

Zones de failles


A. L. M. : Tu as dévelop­pé, me sem­ble-t-il, tout au long de cette col­lab­o­ra­tion, comme d’ailleurs Sébastien Jacobs, autre inter­prète fidèle, une manière d’être, de bouger, d’ap­pa­raître, gui te sont pro­pres, comme si tu explo­rais quelque chose de pièce en pièce. Peux-tu décrire ce proces­sus ?

M. R. : Il me sem­ble que Nicole et Patrick se relient à des per­son­nes, des artistes-inter­prètes qui acceptent de puis­er dans leur intéri­or­ité, dans leur être intime et dans des pro­fondeurs d’être gui ne sont pas for­cé­ment révélées, des artistes-inter­prètes qui pren­nent le risque d’aller dans ces zones incon­nues et trou­bles, ces zones de failles et de brèch­es qui lais­sent sou­vent échap­per les mys­tères de l’hu­main. C’est ce que Nicole et Patrick captent et traque­nt avec acuité.
À tra­vers des créa­tions ancrées dans un univers qui leur est pro­pre, il existe une part de lib­erté dans la créa­tiv­ité du mou­ve­ment que cha­cun des artistes-inter­prètes peut pro­pos­er, même s’il s’ag­it bien sûr de ne pas être totale­ment hors cadre. Cer­taines propo­si­tions, de l’or­dre du mou­ve­ment pour le mou­ve­ment, n’ont pas par­ti­c­ulière­ment leur place. Le fait qu’ils ne fassent pas directe­ment appel à une tech­nique dan­sée per­met de révéler d’au­tant plus forte­ment la présence de l’artiste-inter­prète. La manière dont ils révè­lent cette présence, phénomène par ailleurs assez étrange et impal­pa­ble, est pri­mor­diale.
Ils parvi­en­nent à assem­bler sur un même plateau des êtres dont la sin­gu­lar­ité, la com­plic­ité ou l’an­tin­o­mie physique, généreront une force spé­ci­fique pour le spec­ta­cle don­né.
En out­re, ce rap­port à la présence sur un plateau et au mys­tère qui l’en­toure est un espace per­son­nel, très intime à cul­tiv­er et à nour­rir. Il me sem­ble que tout artiste-inter­prète se doit de faire par­ler cette présence dans la manière dont il habite artis­tique­ment son pro­pre corps, dans son rap­port à son pro­pre imag­i­naire, au sen­si­ble.
Il est, de fait, alors évi­dent que dans cha­cune des créa­tions j’of­fre et partage un petit bout de moi, de mon intime, de ma sin­gu­lar­ité, puisque cha­cune des créa­tions part d’im­pro­vi­sa­tions, certes cadrées avec des inten­tions spé­ci­fiques, mais d’im­pro­vi­sa­tions basées sur les propo­si­tions d’êtres humains.
L’e­space de lib­erté sup­plé­men­taire, c’est que Nicole et Patrick lais­sent à l’in­ter­prète la pos­si­bil­ité de faire jouer, danser, donc vibr­er son pro­pre corps de per­cep­tion, de ressen­ti, d’é­mo­tion et qu’ils offrent un réel espace pour cela, tant spa­tial, tem­porel, humain, men­tal que cor­porel. Ils sont aus­si très bien entourés avec une équipe artis­tique, admin­is­tra­tive et tech­nique présente au quo­ti­di­en sur une créa­tion. Et ceci génère une réelle disponi­bil­ité au tra­vail artis­tique. Il va sans dire que tout ce déploiement n’est pos­si­ble qu’à par­tir du moment où eux-mêmes sont aus­si dans cette démarche là, impli­quant une grande écoute, une ouver­ture à l’autre et une très grande exi­gence. Si je devais définir un mode d’être que j’ex­plore de pièces en pièces, tant avec Nicole et Patrick, qu’avec d’autres créa­teurs ou sur mon pro­pre tra­vail, ce serait l’ex­plo­ration inces­sante d’un corps habité, généreux, vibrant et vivant et ce, dans une cer­taine manière d’être au monde, dans une recherche inlass­able d’un être poé­tique. Et je peux dire que ce n’est pas de tout repos. Car il ne s’ag­it bien évidem­ment pas exclu­sive­ment que d’un rap­port au plateau, au spec­ta­cle, mais aus­si d’un rap­port plus large et méta­physique dans sa manière de vivre sa vie et d’être au monde.

Sébastien Jacobs, Eri­ka Zueneli et Max­ence Rey dans HÉLIUM,
Com­pag­nie Mossoux-Bon­té, 2005.
Pho­to Cyril Minoux.

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Anne Longuet-Marx est maître de conférences à l’université à Paris et auteur.Plus d'info
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