Pathosformel
Théâtre
Critique

Pathosformel

Gianni Manzella

Le 26 Juin 2010
LA TIMIDEZZA DELLE OSSA, conception et réalisation Pathosformel, Festival international des Brigittines, 2008. Photos Antonio Ottomanelli
LA TIMIDEZZA DELLE OSSA, conception et réalisation Pathosformel, Festival international des Brigittines, 2008. Photos Antonio Ottomanelli
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 105 - Théâtre-danse : la fusion ou rien !
105
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UN THÉÂTRE qui a exilé le corps de l’ac­teur. Un corps qu’il faut voil­er, nous dis­ent-ils, dont la présence est donc ren­due non immé­di­ate­ment vis­i­ble, mais plutôt médi­atisée par quelque chose qui s’in­ter­pos­er dans le regard. À l’in­térieur d’un·espace qui rend per­cep­ti­ble la dis­pari­tion du corps. Ou, pour ain­si dire, ils en tron­quent les bor­ds, comme pour rad­i­calis­er la leçon de pein­ture de Fran­cis Bacon. Par l’én­ergie du mou­ve­ment de ces formes ils décol­orent l’e­space qui les enveloppe.

Depuis le dip­tyque des débuts (LA TIMIDEZZA DELLE OSSA, suivi de LA PIÙ PICCOLA DISTANZA), Pathos­formel affronte avec une grande rigueur formelle la ques­tion de la présence du corps en scène et du refus de son et de poli­tique des arts immé­di­ateté spec­tac­u­laire.
La jeune for­ma­tion con­duite par Daniel Blan­cia Gub­bay et Pao­la Vil­lani a choisi comme comme appel­la­tior savante le terme forgé par Aby War­burg qui fait allu­sion à une image qui s’in­scrit dans « l’at­las de la mémoire » par l’in­ten­sité émo­tive du geste, capa­ble de con­juguer le pathos de la créa­tion orig­inelle avec la pos­si­bil­ité de se répéter dans des con­textes dif­férents. En effet, forme et con­tenu con­ver­gent indis­so­cia­ble­ment dans LA TIMIDEZZA DELLE OSSA (La timid­ité des os), qui, par son titre déjà, évoque un écart entre la matière cor­porelle et la manière dont elle se révèle ; ou, dans VOLTA, qui est comme le négatif du pre­mier tra­vail, peut-être l’élé­ment com­plé­men­taire néces­saire, notam­ment pour l’al­ter­nance du noir et du blanc en une gamme chro­ma­tique qui sem­ble ne con­naître que les extrêmes. D’un côté, une con­stel­la­tion mobile de traces qui se rejoignent et glis­sent sur la sur­face d’un écran d’une blancheur lai­teuse, petits os humains en quête d’une recon­nais­sance pro­vi­soire. De l’autre, des corps invis­i­bles dans l’ob­scu­rité de la scène, dont on ne perçoit qu’une sorte de sim­u­lacre, le reflet d’une couche de cire claire qui les recou­vre et s’ef­frite, lais­sant une trace matérielle de l’accom­plisse­ment de l’événe­ment scénique. En une dis­so­lu­tion lit­térale des gestes qu’on a vus se dessin­er dans l’e­space.
Repar­tir de la toile blanche qui était le point d’ar­rivée (désor­mais infran­chiss­able) des avant-gardes artis­tiques du xxe siè­cle, sem­ble donc être le nœud avec lequel Pathos­formel se con­fronte au départ, dans la matéri­al­i­sa­tion même de la créa­tion scénique.
Peut-être pour faire émerg­er quelque chose qui se trou­ve sous la toile, ou sous la peau. Ils nous révè­lent le rap­port fonc­tion­nel entre le tra­vail artis­tique et l’im­age créée, cette sorte de désert blanc dans lequel le regard creuse à la recherche de restes fos­siles d’une vie ani­male qui la déclenche au moment de dis­paraître. Car der­rière cette image qui s’ef­face dans le silence ini­tial du tra­vail et avec l’ir­rup­tion simul­tanée de la musique, sous la struc­ture de l’écran qui la sou­tient, se trou­ve con­crète­ment l’ap­port physique des acteurs, leurs corps inter­posés, mais tout sauf absents.

LA TIMIDEZZA DELLE OSSA, con­cep­tion et réal­i­sa­tion Pathos­formel,
Fes­ti­val inter­na­tion­al des Brigit­tines, 2008.
Pho­tos Anto­nio Ottomanel­li.

La pièce suiv­ante, LA PIÙ PICCOLA DISTANZA, peut alors sem­bler un retour à un théâtre abstrait, qui rap­pelle les expéri­ences his­toriques des avant-gardes du xxe siè­cle, avec ce bal­let mécanique de sil­hou­ettes car­rées, qui glis­sent en s’ef­fleu­rant sur les rails d’in­vis­i­bles fils ten­dus, sur un plan qui réduit la pro­fondeur de l’e­space scénique aux deux dimen­sions d’un écran. Une danse fab­riquée d’allers-retours, d’ac­céléra­tions et de ralen­tisse­ments, de pleins et de vides, de croise­ments et d’in­ver­sions de mou­ve­ments. Der­rière les paus­es, les hési­ta­tions, les tremo­los, on peut encore devin­er la main humaine qui les guide mais sans ressen­tir de pathos.
LA PRIMA PERIFIERIA, dernière créa­tion de Pathos­formel, est à nou­veau une danse de fan­tômes démem­brés. Sur scène, trois squelettes d’anatomie, maniés et mis en pose par autant d’in­vis­i­bles servi­teurs de la scène.
Ou plutôt des man­nequins méta­physiques, des hommes sans vis­age à la De Chiri­co qui s’adaptent à la vie mécanique qui leur est imposée de l’ex­térieur. Situé dans un espace neu­tre et blanc, sur une estrade aux bor­ds surélevés qui rap­pelle le tracé des pistes de skate, le tra­vail de la troupe véni­ti­enne se nour­rit de petits déplace­ments, du frémisse­ment des artic­u­la­tions, de pas qui miment une danse impos­si­ble, au rythme hyp­no­tique d’une musique de fond tou­jours plus per­cus­sive. Mais au lieu d’ob­serv­er les man­nequins il faut regarder à la périphérie de ces corps qui les meu­vent, afin de retrou­ver le sens de la com­plex­ité qui se trou­ve der­rière chaque geste. C’est une fois encore la par­tie musi­cale qui dicte le rythme scénique, jusqu’à en graduer l’in­ten­sité émo­tive sous la pres­sion de l’onde sonore qui fait vibr­er physique­ment les tripes du spec­ta­teur. Heureux de retrou­ver un peu de cette immé­di­ateté niée à des­sein par les auteurs.


Traduit de l’i­tal­ien par Lau­rence Van Goethem

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Écrit par Gianni Manzella
Gian­ni Manzel­la est écrivain, jour­nal­iste cul­turel et essay­iste. Il a écrit et dirigé des ouvrages con­sacrés à la...Plus d'info
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