Iphigénie

Iphigénie

Entretien avec Mireille Delunsch

Le 15 Oct 2011
Mireille Delunsch dans Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck. Opéra Garnier, 2006. Photo Opéra Garnier.
Mireille Delunsch dans Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck. Opéra Garnier, 2006. Photo Opéra Garnier.

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Mireille Delunsch dans Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck. Opéra Garnier, 2006. Photo Opéra Garnier.
Mireille Delunsch dans Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck. Opéra Garnier, 2006. Photo Opéra Garnier.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
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Alic­ja Binder : En 2006, Krzysztof War­likows­ki a mis en scène à l’Opéra nation­al de Paris Iphigénie en Tau­ride de Christophe Willibald Gluck où tu chan­tais le rôle-titre. La par­tic­i­pa­tion de War­likows­ki à ce pro­jet était en par­tie due au hasard. La mise en scène avait été d’abord con­fiée à Isabelle Hup­pert qui a renon­cé deux mois avant la pre­mière. Étais-tu prête à par­ticiper à un spec­ta­cle pré­paré « au dernier moment » et avec un créa­teur « de hasard » ?

Mireille Delun­sch : Ce n’é­tais pas pour moi un met­teur en scène du « hasard » mais un met­teur en scène con­nu : un grand met­teur en scène. C’é­tait une chance de pou­voir col­la­bor­er avec lui. En ce qui con­cerne le tem­po pré­cip­ité de la pré­pa­ra­tion du spec­ta­cle, ce n’est pas un prob­lème qui m’a touché directe­ment. Moi j’é­tais prête. Si un autre met­teur en scène avait pré­paré le spec­ta­cle, j’au­rais accep­té aus­si d’y par­ticiper. Le tra­vail avec War­likows­ki en était d’au­tant plus une grande occa­sion.

Alic­ja Binder : Tu con­nais­sais donc ses précé­dents spec­ta­cles ?

Mireille Delun­sch : J’en avais enten­du par­ler.

Alic­ja Binder : Com­ment s’est passée la col­lab­o­ra­tion avec War­likows­ki ?

Mireille Delun­sch : C’é­tait quelque chose de pas­sion­nant avant tout en rai­son du dia­logue inhab­ituel que War­likows­ki mène avec les chanteurs. Il nous a traités comme de véri­ta­bles acteurs. En général, la plu­part des met­teurs en scène qui pré­par­ent des spec­ta­cles à l’opéra par­tent du principe que les chanteurs ne sont pas de véri­ta­bles acteurs et qu’obtenir quelque chose de plus avec eux est dif­fi­cile, voire impos­si­ble. Ce n’est pas le cas de War­likows­ki car, lui, tente de lut­ter avec le manichéisme qui règne à l’opéra. Le grand prob­lème de l’opéra, en com­para­i­son avec le théâtre, c’est la « typolo­gie locale » des per­son­nages. Le sopra­no joue en règle générale le héros à l’at­ti­tude noble, le bary­ton, un car­ac­tère noir. Il est dif­fi­cile de lut­ter con­tre cela d’au­tant plus que nous nous sen­tons sou­vent bien dans ces rôles qui nous sont des­tinés. Nous sommes con­damnés à un type de rôle défi­ni en rai­son de la voix que nous pos­sé­dons. J’ai trou­vé mag­nifique que War­likows­ki ait ten­té de sur­mon­ter cette bar­rière. Moi-même, depuis un cer­tain temps, je me pose la ques­tion des rôles que l’on peut chanter comme sopra­no. Pour que l’opéra con­tem­po­rain puisse par­ler au pub­lic con­tem­po­rain, il faut ten­ter de bris­er ce sché­ma, détru­ire cette sépa­ra­tion évi­dente entre le bon et le mau­vais car­ac­tère, don­ner aux per­son­nages une autre, une nou­velle dimen­sion. C’est ain­si qu’es­saie
de tra­vailler War­likows­ki.

Alic­ja Binder : On peut donc remar­quer une dif­férence dans le tra­vail avec un met­teur en scène provenant du théâtre ?

Mireille Delun­sch : En réal­ité, dans la plu­part des cas, j’ai tra­vail­lé avec des met­teurs en scène qui venaient du théâtre : avec Peter Brook, Klaus Michael Grüber, Luc Bondy, Olivi­er Py. L’opéra devrait être traité comme le théâtre ; c’est un théâtre, chan­té, mais un théâtre.

Alic­ja Binder : L’opéra impose cepen­dant cer­taines lim­ites au met­teur en scène.

Mireille Delun­sch : Il m’est dif­fi­cile de dire ce qu’en pense un met­teur en scène, en tout cas je n’ai pas eu cette impres­sion dans le tra­vail avec War­likows­ki. Peut-être voit-il lui-même ces lim­ites, mais on ne ressen­tait nulle­ment dans son tra­vail que l’opéra fût un prob­lème.

Alic­ja Binder : À quoi ressem­blait donc exacte­ment le tra­vail avec War­likows­ki ?

Mireille Delun­sch : Je n’ai pas par­ticipé à la pre­mière du spec­ta­cle durant laque­lle le rôle d’Iphigénie a été chan­té par Suzanne Gra­ham, mais dans la reprise, la sai­son suiv­ante. J’ai vu une vidéo de la pre­mière et je recon­nais que je ne com­pre­nais pas cer­taines solu­tions dans ce spec­ta­cle, par exem­ple le flash-back : au début nous voyons Iphigénie comme une vieille femme et ensuite nous sau­tons vers sa jeunesse. Gra­ham n’a pas accep­té d’être vieil­lie. Les can­ta­tri­ces veu­lent sou­vent rester jeune et belles. Con­traire­ment à elle, j’é­tais enchan­tée à l’idée de jouer les vieilles femmes, ce n’é­tait pas un prob­lème pour moi. Par con­tre, j’ai vu dans ce spec­ta­cle des choix de réal­i­sa­tion dif­fi­cile, mais je suis quelqu’un qui veut don­ner la pri­or­ité au théâtre. Je suis même prête à pren­dre des risques pour le chant. J’ai tou­jours con­sid­éré que mon rôle n’est pas de gên­er le met­teur en scène dans la réal­i­sa­tion de son pro­jet mais de l’y aider.

Bien sûr, les propo­si­tions de War­likows­ki provo­quaient par­fois cer­taines dif­fi­cultés, comme la scène dans laque­lle je chante l’aria, allongée sur le sol, le vis­age vers le pub­lic. Ce qui n’é­tait pas très facile bien qu’en même temps très intéres­sant. De même que l’idée de met­tre en face de moi les images d’Iphigénie — la jeune et la vieille — s’ob­ser­vant mutuelle­ment sur la scène. Cela m’a sem­blé pas­sion­nant comme manière de racon­ter cette his­toire.

Alic­ja Binder : Une par­tie du pub­lic a con­sid­éré ce spec­ta­cle comme sujet à con­tro­verse, si ce n’est scan­daleux. Quelle était ta réac­tion ?

Mireille Delun­sch.: Je pra­tique ce méti­er depuis trop longtemps pour juger par avance un spec­ta­cle. Assise dans la salle, je regarde le spec­ta­cle comme le pub­lic mais, étant sur la scène, je ne peux pas voir ce que voit le pub­lic. Même si j’ai vu les notes sur la mise en scène, j’ai ten­té de regarder ce spec­ta­cle d’un autre côté et de com­pren­dre les inten­tions du met­teur en scène. Je n’ai pas regardé le spec­ta­cle de la salle, il m’est donc dif­fi­cile de don­ner une opin­ion. Après avoir vu la vidéo, je me suis quand même dit : « Ce ne sera pas facile ». Mais je ne peux rien faire tant que je n’ai pas entamé un dia­logue direct avec le met­teur en scène. C’est ce dia­logue qui per­met le mieux de com­pren­dre l’ap­proche de l’œu­vre par le met­teur en scène.

Le prob­lème de l’opéra est que le spec­ta­teur, surtout s’il con­naît déjà l’œu­vre dans une mise en scène qu’il a appré­ciée, accepte dif­fi­cile­ment une nou­velle propo­si­tion. De plus, les per­son­nes qui regar­dent un opéra vont rarement au théâtre. Le pub­lic du théâtre qui vient à l’opéra a moins de dif­fi­culté avec la per­cep­tion con­tem­po­raine de l’esthé­tique de spec­ta­cles qui, puisant dans une œuvre anci­enne, ten­tent de nouer un con­tact avec le spec­ta­teur actuel.

Autre prob­lème fréquent à l’opéra, le refus des chanteurs d’ac­cepter les propo­si­tions du met­teur en scène. Alors, quel que soit le génie du met­teur en scène, ce que ver­ra le pub­lic ne sera qu’une infime par­tie de ce que le créa­teur voulait réalis­er. C’est très dom­mage. Comme can­ta­trice, je n’ai ni la vision, ni la per­cep­tion glob­ale du spec­ta­cle. Ce que je peux cepen­dant faire, c’est utilis­er mes pro­pres émo­tions ; trans­met­tre mes émo­tions à tra­vers le chant. C’est en cela que con­siste mon tra­vail. Que le régis­seur exige que je chante assise, debout, couchée ou maquil­lée en vieille femme, c’est sans impor­tance. Ce qui est impor­tant, c’est de com­pren­dre le regard du met­teur en scène sur le per­son­nage que je joue et com­ment cela cor­re­spond à son idée de la total­ité du spec­ta­cle.

Alic­ja Binder : Cela ressem­blait à quoi dans le cas de War­likows­ki ?

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Écrit par Alicja Binder
Alic­ja Binder est doc­tor­ante à l’U­ni­ver­si­ty of Min­neso­ta au sein du département d’Études théâtrales. Son domaine de recherche...Plus d'info
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