Le projet de création du centre pluridisciplinaire Nowy Teatr de Krzysztof Warlikowski à Varsovie

Le projet de création du centre pluridisciplinaire Nowy Teatr de Krzysztof Warlikowski à Varsovie

Le 11 Oct 2011
Le Centre culturel Nowy Teatr. Projet du cabinet d'architecture KKM Kozien Architekci.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
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2008 – 2009 : « Année zéro » pour Krzysztof War­likows­ki et le Nowy Teatr

En novem­bre 20091, à l’oc­ca­sion de la présen­ta­tion du spec­ta­cle (A)pollonia à Paris, Krzysztof War­likows­ki déclarait que l’année 2009 avait été « l’année zéro »2 pour lui et son équipe de col­lab­o­ra­teurs de longue date. Krzysztof War­likows­ki a entre­pris de s’in­staller dan son pro­pre lieu de créa­tion et de dif­fu­sion. En juin 2008, l’équipe artis­tique fidèle au met­teur en scène est offi­cielle­ment réu­nie sous le nom de « Nowy Teatr », avec un ensem­ble de tech­ni­ciens et d’ad­min­is­tra­teurs. Il ne s’ag­it pas seule­ment du bap­tême d’une troupe de théâtre, mais de l’in­au­gu­ra­tion d’une insti­tu­tion munic­i­pale : un cen­tre cul­turel pluridis­ci­plinaire dont Krzysztof War­likows­ki est le directeur artis­tique. L’ob­jec­tif du Nowy Teatr est la recon­ver­sion d’un ancien site indus­triel en un cen­tre artis­tique adap­té à ses activ­ités. La munic­i­pal­ité de Varso­vie a pro­posé au met­teur en scène de faire réamé­nag­er l’an­cien siège de la Com­pag­nie Munic­i­pale des Ordures3 (ini­tiales M.P.O. en polon­ais): un site de neuf mille mètres car­rés com­prenant un ate­lier datant de 1927, classé au Pat­ri­moine his­torique polon­ais. Ce bâti­ment indus­triel ne sera pas recon­ver­ti en un sim­ple théâtre unique­ment des­tiné aux créa­tions de la troupe ; il doit pou­voir accueil­lir des man­i­fes­ta­tions cul­turelles et artis­tiques de dif­férentes natures.

L’ou­ver­ture du cen­tre cul­turel Nowy Teatr est prévue pour le 31 décem­bre 2013. À ce jour, seuls les bureaux du Nowy Teatr ont pu inve­stir une aile du site indus­triel. Dans l’ate­lier d’a­vant-guerre des­tiné à être recon­ver­ti en salle de représen­ta­tions, on voit encore des employés en uni­formes orange tra­vailler à l’en­tre­tien des véhicules de la com­pag­nie des ordures. Cepen­dant, le pro­jet d’un cab­i­net d’ar­chi­tec­ture polon­ais : le KKM Kozien Architek­ci, a été sélec­tion­né en avril 2009, à l’is­sue d’un con­cours inter­na­tion­al d’ar­chi­tec­ture financé par
la munic­i­pal­ité de Varso­vie. Le Min­istère de la Cul­ture et du Pat­ri­moine Nation­al polon­ais a égale­ment par­ticipé au finance­ment d’une étude tech­nique préal­able au lance­ment du con­cours. Le pro­jet dis­pose donc en amont de la recon­nais­sance et de l’ap­pui financier des autorités poli­tiques. Le Nowy Teatr a déjà une riche pro­gram­ma­tion hors-les-murs où se côtoient les créa­tions de la troupe de Krzysztof War­likows­ki et l’ac­cueil, dans dif­férents lieux cul­turels et anci­ennes instal­la­tions indus­trielles de la cap­i­tale, d’artistes de tous les hori­zons.

Cette nou­velle étape dans le par­cours de Krzysztof War­likows­ki peut s’ex­pli­quer par des raisons cir­con­stan­cielles : en 2007, il quitte le Teatr Warsza­wa auquel il était asso­cié depuis huit ans. La scéno­graphe Mat­gorza­ta Szczef­ni­ak et les comé­di­ens col­lab­o­ra­teurs de longue date du met­teur en scène choi­sis­sent de le suiv­re. De nou­veaux col­lab­o­ra­teurs le rejoignent à l’oc­ca­sion de ce départ col­lec­tif, comme le dra­maturge Piotr Gruszczyñs­ki. Cet événe­ment mar­que l’af­fir­ma­tion d’un fonc­tion­nement en col­lec­tif et d’une volon­té de démar­ca­tion vis-à-vis de l’in­sti­tu­tion théâ­trale de Varso­vie. Krzysztof War­likows­ki était évidem­ment loin d’être à la rue après avoir quit­té le Teatr Warsza­wa ; la munic­i­pal­ité de Varso­vie a sug­géré au met­teur en scène de pren­dre la direc­tion d’un des théâtres de la ville dans les années à venir, mais il a refusé cette propo­si­tion. La néces­sité de trou­ver un abri ne suf­fit pas à expli­quer la nature du pro­jet, qui exclut d’in­ve­stir ou de créer un sim­ple théâtre. Si la recon­ver­sion de frich­es en lieux cul­turels pluridis­ci­plinaires est aujour­d’hui mon­naie courante en Europe, elle reste une démarche orig­i­nale de la part d’un met­teur en scène qui cherche à don­ner un socle à son œuvre.

Le con­cept archi­tec­tur­al et insti­tu­tion­nel répond à une pra­tique artis­tique qui se rad­i­calise au même moment En 2009, alors que Krzysztof War­likows­ki entre­prend d’é­ten­dre son action créa­trice au lieu théâ­tral, il l’é­tend en même temps au texte avec le mon­tage d’(A)pollonia. Ce mon­tage d’ex­traits antiques et con­tem­po­rains mar­que un tour­nant dans son par­cours artis­tique. En 2010, après avoir créé Un Tramway, d’après Ten­nessee Williams, Krzysztof War­likows­ki revient à un mon­tage d’é­clats d’une mul­ti­tude de textes avec La Fin. Scé­nar­ios.

Dans (A)pollonia comme dans La Fin, le matéri­au textuel ne prend son sens qu’au sein des réal­i­sa­tions scéniques de Krzysztof War­likows­ki, objets plas­tiques com­plex­es reposant sur lasym­biose d’un ensem­ble d’artistes com­pé­tents dans toutes les dis­ci­plines et dont le Nowy Teatr offi­cialise la réu­nion. Krzysztof War­likows­ki sem­ble vouloir per­sévér­er dans le sens de cette évo­lu­tion puisque sa prochaine créa­tion, Con­tes africains d’après Shake­speare, qui sera présen­tée à Liège en octo­bre 2011, est un nou­veau mon­tage au ser­vice du lan­gage scénique du met­teur en scène, faisant appel à toutes les tech­niques aujour­d’hui à la dis­po­si­tion du théâtre.

Le pro­jet Nowy Teatr

Si le Nowy Teatr est conçu comme un lieu pluridis­ci­plinaire, en mesure d’ac­cueil­lir tout type de man­i­fes­ta­tions cul­turelles, il porte néan­moins déjà le nom de la troupe de Krzysztof War­likows­ki et la salle de représen­ta­tion est l’élé­ment cen­tral du pro­jet. Elle doit cepen­dant être trans­formable : le pro­gramme tech­nique adressé aux archi­tectes qui par­tic­i­paient au con­cours prévoit une scène et un audi­to­ri­um de qua­tre cent cinquante places mobiles, per­me­t­tant des usages var­iés de l’en­tre­pôt recon­ver­ti. L’a­gence­ment de l’espace de représen­ta­tion doit s’ap­par­enter à celui d’un stu­dio de ciné­ma4 par une con­nex­ion directe entre l’e­space scénique et l’ensem­ble des locaux tech­niques adja­cents. L’esthé­tique générale doit con­serv­er l’empreinte de l’ar­chi­tec­ture indus­trielle qui lui servi­ra d’en­veloppe. À quelques mètres de l’en­tre­pôt d’a­vant-guerre, un bâti­ment neuf doit être con­stru­it. En plus de la salle de représen­ta­tion, d’une salle de répéti­tion et de locaux réservés à la pré­pa­ra­tion des comé­di­ens, le Nowy Teatr prévoit l’in­stal­la­tion d’un stu­dio d’en­reg­istrement musi­cal, d’une salle de pro­jec­tion vidéo et d’ate­liers dédiés à la scéno­gra­phie. Ces locaux servi­ront à la fois aux artistes col­lab­o­rant avec Krzysztof War­likows­ki et à l’ac­cueil ponctuel d’artistes venant d’ailleurs.

Le Nowy Teatr est égale­ment conçu comme un cen­tre de doc­u­men­ta­tion, met­tant à dis­po­si­tion du pub­lic une bib­lio­thèque-médiathèque prin­ci­pale­ment dédiée à l’art, en mesure d’ac­cueil­lir des événe­ments tels que débats et expo­si­tions. La tem­po­ral­ité interne du Nowy Teatr ne sera pas celle d’un théâtre tra­di­tion­nel qui n’ou­vre ses portes qu’au moment des représen­ta­tions. À l’ex­terne, l’ar­chi­tec­ture com­mu­ni­quera avec l’e­space urbain par l’amé­nage­ment d’un parc où seront organ­isées des séances de ciné­ma en plein air. Le Nowy Teatr est conçu comme un lieu d’ac­tiv­ité con­tin­ue, adop­tant le rythme de la ville en plus de rechercher une con­ti­nu­ité spa­tiale avec elle. Krzysztof War­likows­ki ne s’in­stalle pas dans une friche aban­don­née loin des activ­ités de la cap­i­tale polon­aise, comme l’a fait Ari­ane Mnouchkine en s’in­stal­lant à la Car­toucherie de Vin­cennes en 1970, dans le con­texte des utopies com­mu­nau­taires du Paris de Mai 68. Le site du M.P.O. n’est qu’à quelques arrêts de tram du plein cen­tre-ville. Cette prox­im­ité par­ticipe sans doute à en faire un lieu con­voité. En rai­son de désac­cords internes à la munic­i­pal­ité, la com­pag­nie munic­i­pale des ordures tarde à le libér­er. Sa sit­u­a­tion de tran­sit n’empêche pas le cen­tre cul­turel de men­er ses activ­ités hors-les-murs, dans dif­férents lieux cul­turels et espaces atyp­iques de la cap­i­tale. En 2011, l’in­sti­tu­tion compte trente-neuf mem­bres per­ma­nents (direc­tion, admin­is­tra­tion, comé­di­ens et autres col­lab­o­ra­teurs artis­tiques de Krzysztof War­likows­ki.….). D’autres grands noms de la scène théâ­trale polon­aise et inter­na­tionale, tels que Krys­t­ian Lupa et Rodri­go Gar­cia en 2009, sont les invités du Nowy Teatr, mais ils côtoient l’ac­cueil de pro­duc­tions beau­coup plus risquées au sein de la pro­gram­ma­tion, telles que The Sex­u­al Life of Sav­ages, en 2011. Si les auteurs de ce spec­ta­cle (Marcin Cecko et Krzysztof Gar­baczews­ki) ont déjà leur place sur la scène artis­tique de Varso­vie, ils sont néan­moins encore jeunes. Pro­gram­mer The Sex­u­al Life of Sav­ages relève d’une réelle prise de risque dans un pays encore mar­qué par un catholi­cisme rad­i­cal et ultra con­ser­va­teur. Écrit à par­tir de textes anthro­pologiques, le spec­ta­cle inter­roge la con­struc­tion sociale des com­porte­ments amoureux
en investis­sant un ancien ate­lier de séri­gra­phie, sym­bole de la repro­duc­tion d’ob­jets en série. Entre les murs nus de l’an­cien ate­lier, la prox­im­ité du pub­lic avec les corps nus des acteurs ne plaît ni à tous les publics, ni à tous les financeurs.

Le Centre culturel Nowy Teatr. Projet du cabinet d'architecture KKM Kozien Architekci.
Le Cen­tre cul­turel Nowy Teatr. Pro­jet du cab­i­net d’ar­chi­tec­ture KKM Kozien Architek­ci.

Le Nowy Teatr organ­ise égale­ment des con­certs, des expo­si­tions et mène son activ­ité de cen­tre de doc­u­men­ta­tion en organ­isant des lec­tures et des mas­ter class de ciné­ma. Pour créer ses spec­ta­cles, Krzysztof War­likows­ki investit des espaces atyp­iques, comme les stu­dios de tour­nage Farat Film pour (A)pollonia et La Fin. Vaste, neu­tre, entière­ment soumis à des exi­gences tech­niques, le stu­dio de tour­nage est plus proche que n’im­porte quel théâtre de ce que sem­ble être la salle de représen­ta­tion idéale pour Krzysztof War­likows­ki.

Le lieu théâ­tral, un out­il, un sym­bole

Comme d’autres met­teurs en scène avant lui, Krzysztof War­likows­ki envis­age aujour­d’hui le lieu théâ­tral comme un out­il à part entière qu’il s’ap­prête à adapter aux néces­sités pro­pres à sa pra­tique orig­i­nale de la mise en scène. En con­ce­vant un lieu apte à l’ac­cueil d’artistes de tous les hori­zons, le met­teur en scène se dote en même temps de l’e­space de tra­vail dont il a besoin :
un espace per­me­t­tant la mise en œuvre simul­tanée de toutes les tech­nolo­gies et de toutes les dis­ci­plines aujour­d’hui au ser­vice du théâtre. Le pro­jet Nowy Teatr est lié à l’af­fir­ma­tion rad­i­cale du style de Krzysztof War­likows­ki au cours de ces dernières années ; ilest lié à une prise d’au­tonomie crois­sante de la réal­i­sa­tion scénique par rap­port aux textes.

Avant même de quit­ter le statut de met­teur en scène qui se fait l’in­ter­prète d’un texte, Krzysztof War­likows­ki a tou­jours intro­duit dans ses spec­ta­cles des références pic­turales aux thé­ma­tiques qui l’ob­sè­dent. Son par­cours artis­tique se car­ac­térise par la récur­rence des ques­tions de l’i­den­tité sex­uelle et de la cul­pa­bil­ité qui lui est liée ; de la mémoire de la Shoah et de la cul­pa­bil­ité en général. Avec (A)pollonia, il abor­de ces thèmes plus directe­ment que jamais. En col­lab­o­rant avec le dra­maturge Piotr Gruszczyrs­ki, Krzysztof War­likows­ki acquiert un statut inédit entre met­teur en scène inter­prète et met­teur en scène créa­teur. Le spec­ta­teur assiste au déploiement de l’imag­i­naire d’un met­teur en scène et non plus à celui d’un auteur. Ce dia­logue direct entre pub­lic et met­teur en scène dépend des autres artistes dont celui-ci s’est entouré. La réal­i­sa­tion scénique assure dans ce spec­ta­cle une con­ti­nu­ité entre les références aux mythes antiques et à la Sec­onde Guerre Mon­di­ale. Le texte ne prend son sens qu’au sein de la scéno­gra­phie, des créa­tions vidéo et sonores au sein desquelles il a voca­tion à se déploy­er. Le Nowy Teatr sera donc l’outil et le sym­bole adap­té à un état de fait : un lan­gage scénique com­plexe et tech­nologique au ser­vice d’un univers poé­tique en prise avec le con­texte dans lequel il s’in­scrit.

Nom­breux sont les met­teurs en scène pour qui la créa­tion d’un lieu fait par­tie inté­grante du par­cours artis­tique. Le par­cours de Peter Brook, dont Krzysztof War­likows­ki a été l’as­sis­tant, est indis­so­cia­ble de son instal­la­tion aux Bouffes du Nord en 1974. Rétro­spec­tive­ment,
Peter Brook com­mentera son instal­la­tion dans ce lieu mar­qué par la vie en affir­mant qu’«un espace théâ­tral ne doit pas avoir de déf­i­ni­tion préal­able » et qu’il doit être « neu­tre : non pas stérile, mais neu­tre dans la mesure où tous les évène­ments, les rela­tions, les déf­i­ni­tions qui lui sont pro­pres puis­sent s’ef­fac­er. »5. Pour Peter Stein, faire con­stru­ire la Schaubühne de Berlin dans l’en­veloppe d’un ancien ciné­ma rel­e­vait égale­ment d’une néces­sité artis­tique : celle de « pra­ti­quer un théâtre qui repense et mod­i­fie pour chaque spec­ta­cle la rela­tion entre l’e­space scénique et l’e­space des spec­ta­teurs »6. Il y a peu de com­para­isons pos­si­bles entre les par­cours artis­tiques de Peter Brook, Peter Stein et Krzysztof War­likows­ki. Cepen­dant, Peter Stein et Peter Brook ont tous deux été fon­da­teurs de lieux théâ­traux adap­tés à leurs besoins en s’emparant d’e­spaces mar­qués par l’his­toire d’une ville. Dans les trois cas, la forme d’un lieu théâ­tral et une pra­tique orig­i­nale de la mise en scène se nour­ris­sent l’une de l’autre ; l’acte artis­tique précède la réforme archi­tec­turale, et non l’in­verse. En répon­dant aux besoins d’un artiste, le lieu théâ­tral est sans doute le reflet des besoins pro­pres à un con­texte artis­tique plus large. En tant qu’en­veloppe archi­tec­turale ancrée dans une ville et inter­face entre l’art et la société, le lieu théâ­tral est égale­ment le reflet d’une étape dans la manière dont l’art se situe dans un con­texte insti­tu­tion­nel et poli­tique et dans l’or­dre des représen­ta­tions col­lec­tives.

En 1981, Peter Stein emmé­nage dans l’an­cien ciné­ma de Lenin­er­platz auquel le Schaubühne Ensem­ble a don­né son nom. Créer son pro­pre théâtre lui per­met de trou­ver une alter­na­tive au sys­tème des théâtres munic­i­paux berli­nois, où comé­di­ens et tech­ni­ciens sont les exé­cu­tants de la volon­té d’un met­teur en scène. Ily faït con­stru­ire une salle dotée de trois espaces scéniques côte à côte, rel­ev­ables et abaiss­ables à volon­té, adap­tée à ses recherch­es scéno­graphiques. Peter Stein est alors trib­u­taire d’une large ten­dance du théâtre européen à bris­er le dis­posi­tif théâ­tral clas­sique frontal et à sor­tir des lieux tra­di­tion­nelle­ment réservés au théâtre, sym­bole du pou­voir et d’une sépa­ra­tion préal­able entre l’art et la vie. En 1983, l’ar­chi­tecte, scéno­graphe et met­teur en scène Yan­nis Kokkos dira au sujet de la Schaubühne : « C’est un lieu viv­able qui n’im­pose pas sa loi. (.)

Le lieu est par­ti­c­ulière­ment facile d’ac­cès, près du flux de la cir­cu­la­tion. Un couloir vit­ré, de plain-pied avec le trot­toir, l’en­toure et cela fait qu’à l’en­tracte les spec­ta­teurs peu­vent sor­tir directe­ment dans la rue, se con­fon­dre même avec les pas­sants. C’est un lieu où l’on peut pénétr­er facile­ment, comme dans un ciné­ma, sans aucune entrave. La dif­férence est de taille par rap­port à cer­tains théâtres où l’en­trée est plus intim­i­dante. (..)»7.

La Schaubühne de Peter Stein laisse entrevoir ce que le Nowy Teatr souhaite créer : un théâtre tech­nologique, au ser­vice d’un col­lec­tif, inscrit au cœur de la vie et de la ville, grâce à une archi­tec­ture qui ne rompt pas avec elles. À Varso­vie, comme ailleurs, les frich­es recon­ver­ties en insti­tu­tions artis­tiques pluridis­ci­plinaires ont du suc­cès. Cet engoue­ment est lié au tour­nant poli­tique de 1989 et à un aligne­ment de la cul­ture sur les ten­dances venues d’Eu­rope occi­den­tale. Le con­cept du Nowy Teatr répond à la fois aux attentes d’un pub­lic et à une démarche artis­tique pour laque­lle l’in­sti­tu­tion théâ­trale actuelle de Varso­vie est dev­enue un obsta­cle. Selon un témoignage direct du dra­maturge Piotr Gruszczyñs­ki, Krzysztof War­likows­ki ne pou­vait plus s’ac­com­mod­er du sys­tème théâ­tral polon­ais où les met­teurs en scène sont générale­ment con­traints de tra­vailler avec les équipes artis­tiques et tech­niques per­ma­nentes des théâtres où ils sont en rési­dence.

Cette inadap­ta­tion au fonc­tion­nement en col­lec­tif est un élé­ment d’ex­pli­ca­tion de la démar­ca­tion de Krzysztof War­likows­ki vis-à-vis des insti­tu­tions théâ­trales exis­tantes. Quant au choix de s’in­staller entre les murs d’un lieu mar­qué par l’his­toire d’une ville et non par l’his­toire de l’art, il est sym­bol­ique du rap­port com­plexe que le met­teur en scène a tou­jours entretenu avec la réal­ité his­torique et l’ac­tu­al­ité. Quant au choix de s’in­staller dans un lieu de créa­tion pluridis­ci­plinaire, celui-ci con­stitue une réponse à l’ab­sence du matériel tech­nique dont Krzysztof War­likows­ki et bien d’autres met­teurs en scène ont besoin aujour­d’hui (comme
la créa­tion vidéo). La prise d’au­tonomie crois­sante du lan­gage scénique de Krzysztof War­likows­ki par rap­port au texte n’est pas syn­onyme de soli­tude ; au con­traire, si sa pra­tique ne dépend plus aujour­d’hui de la rela­tion à l’au­teur, cette prise de lib­erté repose sur la sym­biose de l’équipe artis­tique qu’il a su fédér­er.

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10 Oct 2011 — 1992 Auto-da-féd'Elias Canetti.Traduction Edyta Sicińska.Adaptation Krzysztof Warlikowski.Décor Matgorzata Szczęśniak.École Supérieure de Théâtre (PWST), Cracovie, 10 mars 1992. Białe noce (Nuits…

1992 Auto-da-féd’Elias Canetti.Traduction Edy­ta Sicińska.Adaptation Krzysztof Warlikowski.Décor Mat­gorza­ta Szczęśniak.École Supérieure de Théâtre (PWST), Cra­covie, 10 mars 1992. Białe noce (Nuits blanch­es) de Fiodor Dostoïevski.Traduction Wtadys­taw Broniewski.Adaptation Krzysztof Warlikowski.Décor Mat­gorza­ta Szczęśniak.PWST, Cra­covie, juin 1992. 1993 Mark­iza…

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