Les péripatéticiens

Les péripatéticiens

Entretien avec Ewa Dafkowska

Le 19 Oct 2011
Ewa Dałkowska dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
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Ewa Dałkowska dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
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Doro­ta Buch­wald : Ewa, com­ment ça ? Toi, une actrice qui pos­sède un acquis artis­tique si impor­tant, qui jouit d’une posi­tion pro­fes­sion­nelle solide, tu aban­donnes tout à coup une place con­fort­able, tenue depuis plus de trente ans et tu décides en quelque sorte de « tout repren­dre au début » ? Quel événe­ment, pour toi, con­stitue le théâtre de War­likows­ki ? Pourquoi as-tu décidé d’y tra­vailler ?

Ewa Datkows­ka : Je te répondrai de manière anec­do­tique, presque évangélique. Tu te sou­viens, le Christ a dit au jeune homme : « Tu veux être excel­lent, aban­donne tout et viens avec moi ». C’est à peu près ce qui s’est passé avec moi. Il y a huit ou neuf ans, je me suis frot­tée à ce type « d’autre » théâtre quand j’ai joué à Roz­maï­tosci Les Céré­monies dans la mise en scène de Grze­gorz Jarzy­na. Mais le théâtre de War­likows­ki était pour moi un espace incon­nu. J’avais donc pris déjà quelques risques et lorsque Krzysztof m’a dit, lors d’une pause cig­a­rette devant l’hô­tel à Édim­bourg : « Ils veu­lent que tu sois avec nous », j’ai accep­té.

D.B.: Avant de pren­dre une déci­sion défini­tive tu as eu la pos­si­bil­ité d’être dans cette troupe presque à l’es­sai, de l’ob­serv­er de l’in­térieur.

E.D.: C’é­tait un peu « à crédit ». Le pre­mier pas fut l’in­vi­ta­tion présen­tée par Red­bad Kli­jn­ster au nom de War­likows­ki — qui, paraît-il, était gêné de par­ler avec les acteurs — de rem­plac­er Stanistawa Celiñs­ka dans le Dib­bouk. Lorsque j’ai accep­té, Krzysztof m’a rap­porté le texte, j’ai ren­con­tré Jacek Poniedzi­atek et je l’ai fait. Une sen­sa­tion fan­tas­tique. Aucune répéti­tion de gestes, de regards d’autrui, aucune attache pour des effets obtenus aupar­a­vant. C’é­tait des répéti­tions agréables parce que War­likows­ki a façon­né à nou­veau ce per­son- nage en m’u­til­isant moi, un être dif­férent. Ensuite ilm’a demandé un rem­place­ment sem­blable dans Puri­fiés. J’ai vu le spec­ta­cle et j’é­tais cer­taine de ne pas pou­voir le faire. « Krzysztof, lui ai-je dit, je t’en sup­plie, Stanistawa a joué de façon géniale, ne le faisons pas. » J’avais vrai­ment décidé de refuser mais lorsque nous étions en voiture avec Mal­go­sia Szczef­ni­ak, ils insis­taient tous deux telle­ment pour me con­va­in­cre arguant que ce serait mieux pour tout monde, que je con­naî­trais mieux la troupe si je jouais un peu plus pour eux. Ils ont telle­ment insisté que je l’ai fait ! Nous avons joué à Wroctaw où a eu lieu la pre­mière au cours du Fes­ti­val de l’Année Gro­tows­ki devant un pub­lic inter­na­tion­al. C’é­tait mag­nifique, je ne l’ou­blierai jamais. La troupe m’a beau­coup aidée car ils aimaient par­ti­c­ulière­ment jouer cette pièce.

Tu m’in­ter­ro­ges sur la troupe. L’am­biance der­rière les couliss­es de Puri­fiés était tout sim­ple­ment un enchante­ment. C’est une banal­ité de dire que les acteurs qui jouent dans chaque représen­ta­tion for­ment une famille. Ma nou­velle famille s’aime, mais aus­si se révolte, râle, crie, fait des his­toires, mais ce sont des his­toires au sujet d’idées, de con­cep­tions, d’in­ven­tions. Les affron­te­ments sont per­ma­nents. Les opin­ions indi­vidu­elles s’ex­pri­ment à haute voix, libre­ment. Par exem­ple, Andrze)j Sew­eryn, le met­teur en scène, m’a un jour téléphoné
pour me faire une propo­si­tion alléchante. Alors, autour de moi, s’est déchaîné un océan de bruits d’a­bat­toir qui m’empêchait d’en­ten­dre. 

D.B.: Si l’on tra­vaille avec de telles émo­tions, d’une manière, si je com­prends bien, totale­ment engagée, cette énergie suf­fi­ra-t-elle longtemps ? Com­bi­en de temps peut-on entretenir un tel feu ?

E.D.: Un cer­tain temps, très cer­taine­ment. Per­son­ne n’a réus­si jusqu’à présent à créer une troupe défini­tive de gens entière­ment dévoués : « Laisse tout et suis moi ». Ils te suiv­ent puis vient la las­si­tude, l’épuise­ment, le quo­ti­di­en. Chris­t­ian Lupa, War­likows­ki, eux, savent qu’une troupe n’est vivante que briève­ment, que vient la rou­tine, que s’in­stal­lent les tra­di­tions. Je suis curieuse de voir ce que cela don­nera ici. Tout est « sus­pendu » à l’imag­i­na­tion et la force créa­trice d’un indi­vidu. À sa flamme.

D.B.: Bien que tu sois con­sciente du car­ac­tère irrémé- dia­ble de cer­tains proces­sus, tu es par­ti avec lui, tu l’as suivi.

E.D.: Ils me voulaient.

D.B.: Et ça a été comme ça, comme dans du beurre ?

E.D.: Ne me prends pas au mot. Je suis entrée de manière défini­tive durant les répéti­tions pour (A)pollonia. D’abord nous avons lu ce que Krzysztof avait pré­paré comme base. Pen­dant plusieurs mois. Nous avons réfléchi sur les frag­ments, les scènes, nous avons dis­cuté. Nous savions déjà que cer­tains per­son­nages étaient attribués, que des rôles étaient défi­nis. Moi, je lisais tout. Je ne savais rien. Cette sit­u­a­tion est pour un acteur une épreuve dif­fi­cile, mais j’ai résisté. Je ne savais pas quelle tâche me serait attribuée et d’une manière générale, je ne savais rien. Quand j’ai com­mencé à cra­quer, parce que les acteurs som­brent facile­ment dans le doute — ils doutent d’eux-mêmes — alors les cama­rades ont obligé Krzysztof à faire la dis­tri­b­u­tion défini­tive. Et, finale­ment, il l’a annon­cée.

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Krzysztof Warlikowski, Fuir le théâtre

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