Aneta Glowacka : Comment les acteurs se débrouillent-ils avec le metteur en scène ? Vous arrive-t-il de vous révolter ou de demander un autre rôle ?
Maja Ostaszewska : Il y a des moments où nous nous révoltons, où nous demandons quelque chose de totalement différent à jouer et Krzysztof poursuit rigoureusement son chemin. Ilfait ce qui l’intéresse et il n’est jamais arrivé que, tout à coup, sous l’influence de nos pressions ilait changé son idée ou son projet seulement pour faire plaisir à l’un d’entre nous. Ce que je respecte et admire beaucoup en lui. Il est honnête envers ce qui lui paraît indispensable dans sa voie artistique.
Ce n’est pas important que quelqu’un juge cela attrayant ou non, qu’il l’apprécie comme quelque chose de nouveau ou comme une continuation des mêmes thèmes mais plus approfondis. Ce qui est inhabituel chez Krzysztof, c’est qu’il est très honnête envers lui-même, il ne simule rien, ne rivalise avec personne, il se confronte sans cesse à lui-même. Nous sommes dans ses projets aussi longtemps que nous sentons nous-mêmes qu’il y a aussi une place pour nous. Pour moi, le contact artistique avec lui n’est pas surfait. Bien sûr, il m’arrive de penser que je souhaiterais jouer quelque chose d’autre. Par chance, nous sommes suffisamment libéraux dans notre théâtre pour que ces autres choses, je puisse les jouer ailleurs.
A.G.: Quel rôle joue le metteur en scène dans la création du personnage ?
M.O.: Krzysztof a une énorme imagination, incroyablement suggestive. Souvent, lors de la première rencontre, il parle déjà des personnages. Il nous raconte quelles images lui sont venues à l’esprit et il arrive souvent que, malgré de longues recherches, des répétitions, des improvisations, nous revenions à ses premières images, parce qu’elles contiennent les intuitions phénoménales les plus importantes. Il est incroyablement fécond. En plus, c’est un metteur en scène qui, à mon avis, préfère les acteurs qui sont pour lui des partenaires, qui proposent beaucoup, qui discutent. D’ailleurs on parle du Nowy Teatr en disant : notre théâtre et non : mon théâtre. Ilest important que nous fassions ce théâtre ensemble, que nous cherchions ensemble.
Pour revenir à la question, Krzysztof nous apporte beaucoup d’inspiration, très souvent par la musique, la photographie, la peinture. Nous regardons ensemble des films, nous lisons des livres proches des thèmes du spectacle et après, très vite, nous passons à l’improvisation, ce qui me convient tout à fait. Dans notre théâtre, il n’y a pas de situation où nous sommes assis, où nous nous ennuyons et où le metteur en scène ne sait pas que faire ensuite.
A.G.: Dans Angels in America vous avez créé de manière très expressive le personnage dramatique de Harper Pitt. Lors du travail sur ce rôle y a‑t-il eu quelque chose de particulier ?
M.O.: Il y a d’abord eu une longue étape de discussions car il était très important de nommer le monde que nous tentions de créer, d’établir un paysage commun pour l’ensemble des personnages. Dans Angels in America, nous avions un texte phénoménal qui n’était pas un collage littéraire. Les problèmes des personnages se développaient de manière linéaire et la construction des rôles était plus simple. Durant la première lecture de l’œuvre, nous avons entendu que ce drame bouleversant était en même temps comique et ironique. Je souhaitais beaucoup que le personnage que je joue soit autant malheureux que plein de lumière. J’y tenais d’autant plus que c’était un moment particulier dans ma vie. Assez vite après le début des répétitions, je me suis rendue compte que j’étais enceinte. Cette époque fut pour moi un moment de relations délicates avec mon propre corps et là, j’avais en plus ce sujet à jouer : Harper rêve d’un enfant qu’elle n’a pas et s’invente une grossesse.
A.G.: Ce sont souvent ses convictions ou l’expérience personnelle qui expliquent le choix d’un acteur pour un rôle. Dans (A)pollonia, vous avez eu le monologue d’Elizabeth Costello sur la mort des animaux et, comme on sait, vous êtes végétarienne.
M.O.: À vrai dire, c’est comme ça avec Krzysztof : même lorsqu’il nous donne un rêle qui nous semble éloigné de nous, il s’avère lors du travail qu’il contient toujours une part de nous. C’est très curieux. Si nous nous heurtons à quelque chose de très différent de nos expériences personnelles, ily a néanmoins quelque chose qui nous touche particulièrement. Krzysztof a cette intuition spéciale. Parfois cela m’énerve de répéter des situations qu’il nous attribue, mais il ressent parfaitement qui sera le plus touché par certaines questions. J’ai eu une enfance très heureuse et je raconte, par exemple, l’histoire de quelqu’un qui a été abusé sexuellement et maltraité. Bien que ce soit complètement différent de mes propres expériences, ce thème de l’enfant exploité me touche beaucoup, me mobilise énormément, sans doute parce que j’ai moi-même deux enfants. Le thème des animaux m’est également très proche. Je n’ai jamais mangé de viande de ma vie, de même que mes parents et cela pour des raisons éthiques. Ainsi, la tâche que j’ai reçue dans (A)pollonia s’inscrivait dans la droite ligne de mes convictions. Aussi, comme je l’ai dit, même si ce que Krzysztof propose n’est pas directement lié avec nous, il nous attribue les rôles de façon à ce que ce soit tout simplement intéressant ou que quelque chose nous touche. Quelque chose qui nous permette de mettre en route un second fond dans les personnages joués.
A.G.: Vous est-il arrivé d’avoir refusé de jouer une scène pour des motifs personnels ?