Un théâtre commun

Un théâtre commun

Entretien avec Maja Ostaszewska

Le 17 Oct 2011
Mateusz Kościukiewicz dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
Mateusz Kościukiewicz dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.

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Mateusz Kościukiewicz dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
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Ane­ta Glowac­ka : Com­ment les acteurs se débrouil­lent-ils avec le met­teur en scène ? Vous arrive-t-il de vous révolter ou de deman­der un autre rôle ?

Maja Ostaszews­ka : Il y a des moments où nous nous révoltons, où nous deman­dons quelque chose de totale­ment dif­férent à jouer et Krzysztof pour­suit rigoureuse­ment son chemin. Ilfait ce qui l’in­téresse et il n’est jamais arrivé que, tout à coup, sous l’in­flu­ence de nos pres­sions ilait changé son idée ou son pro­jet seule­ment pour faire plaisir à l’un d’en­tre nous. Ce que je respecte et admire beau­coup en lui. Il est hon­nête envers ce qui lui paraît indis­pens­able dans sa voie artis­tique.

Ce n’est pas impor­tant que quelqu’un juge cela attrayant ou non, qu’il l’ap­pré­cie comme quelque chose de nou­veau ou comme une con­tin­u­a­tion des mêmes thèmes mais plus appro­fondis. Ce qui est inhab­ituel chez Krzysztof, c’est qu’il est très hon­nête envers lui-même, il ne simule rien, ne rivalise avec per­son­ne, il se con­fronte sans cesse à lui-même. Nous sommes dans ses pro­jets aus­si longtemps que nous sen­tons nous-mêmes qu’il y a aus­si une place pour nous. Pour moi, le con­tact artis­tique avec lui n’est pas sur­fait. Bien sûr, il m’ar­rive de penser que je souhait­erais jouer quelque chose d’autre. Par chance, nous sommes suff­isam­ment libéraux dans notre théâtre pour que ces autres choses, je puisse les jouer ailleurs.

A.G.: Quel rôle joue le met­teur en scène dans la créa­tion du per­son­nage ?

M.O.: Krzysztof a une énorme imag­i­na­tion, incroy­able­ment sug­ges­tive. Sou­vent, lors de la pre­mière ren­con­tre, il par­le déjà des per­son­nages. Il nous racon­te quelles images lui sont venues à l’e­sprit et il arrive sou­vent que, mal­gré de longues recherch­es, des répéti­tions, des impro­vi­sa­tions, nous reve­nions à ses pre­mières images, parce qu’elles con­ti­en­nent les intu­itions phénomé­nales les plus impor­tantes. Il est incroy­able­ment fécond. En plus, c’est un met­teur en scène qui, à mon avis, préfère les acteurs qui sont pour lui des parte­naires, qui pro­posent beau­coup, qui dis­cu­tent. D’ailleurs on par­le du Nowy Teatr en dis­ant : notre théâtre et non : mon théâtre. Ilest impor­tant que nous fas­sions ce théâtre ensem­ble, que nous cher­chions ensem­ble.

Pour revenir à la ques­tion, Krzysztof nous apporte beau­coup d’in­spi­ra­tion, très sou­vent par la musique, la pho­togra­phie, la pein­ture. Nous regar­dons ensem­ble des films, nous lisons des livres proches des thèmes du spec­ta­cle et après, très vite, nous pas­sons à l’im­pro­vi­sa­tion, ce qui me con­vient tout à fait. Dans notre théâtre, il n’y a pas de sit­u­a­tion où nous sommes assis, où nous nous ennuyons et où le met­teur en scène ne sait pas que faire ensuite.

A.G.: Dans Angels in Amer­i­ca vous avez créé de manière très expres­sive le per­son­nage dra­ma­tique de Harp­er Pitt. Lors du tra­vail sur ce rôle y a‑t-il eu quelque chose de par­ti­c­uli­er ?

M.O.: Il y a d’abord eu une longue étape de dis­cus­sions car il était très impor­tant de nom­mer le monde que nous ten­tions de créer, d’établir un paysage com­mun pour l’ensem­ble des per­son­nages. Dans Angels in Amer­i­ca, nous avions un texte phénomé­nal qui n’é­tait pas un col­lage lit­téraire. Les prob­lèmes des per­son­nages se dévelop­paient de manière linéaire et la con­struc­tion des rôles était plus sim­ple. Durant la pre­mière lec­ture de l’œu­vre, nous avons enten­du que ce drame boulever­sant était en même temps comique et ironique. Je souhaitais beau­coup que le per­son­nage que je joue soit autant mal­heureux que plein de lumière. J’y tenais d’au­tant plus que c’é­tait un moment par­ti­c­uli­er dans ma vie. Assez vite après le début des répéti­tions, je me suis ren­due compte que j’é­tais enceinte. Cette époque fut pour moi un moment de rela­tions déli­cates avec mon pro­pre corps et là, j’avais en plus ce sujet à jouer : Harp­er rêve d’un enfant qu’elle n’a pas et s’in­vente une grossesse.

A.G.: Ce sont sou­vent ses con­vic­tions ou l’ex­péri­ence per­son­nelle qui expliquent le choix d’un acteur pour un rôle. Dans (A)pollonia, vous avez eu le mono­logue d’Eliz­a­beth Costel­lo sur la mort des ani­maux et, comme on sait, vous êtes végé­tari­enne.

M.O.: À vrai dire, c’est comme ça avec Krzysztof : même lorsqu’il nous donne un rêle qui nous sem­ble éloigné de nous, il s’avère lors du tra­vail qu’il con­tient tou­jours une part de nous. C’est très curieux. Si nous nous heur­tons à quelque chose de très dif­férent de nos expéri­ences per­son­nelles, ily a néan­moins quelque chose qui nous touche par­ti­c­ulière­ment. Krzysztof a cette intu­ition spé­ciale. Par­fois cela m’én­erve de répéter des sit­u­a­tions qu’il nous attribue, mais il ressent par­faite­ment qui sera le plus touché par cer­taines ques­tions. J’ai eu une enfance très heureuse et je racon­te, par exem­ple, l’his­toire de quelqu’un qui a été abusé sex­uelle­ment et mal­traité. Bien que ce soit com­plète­ment dif­férent de mes pro­pres expéri­ences, ce thème de l’en­fant exploité me touche beau­coup, me mobilise énor­mé­ment, sans doute parce que j’ai moi-même deux enfants. Le thème des ani­maux m’est égale­ment très proche. Je n’ai jamais mangé de viande de ma vie, de même que mes par­ents et cela pour des raisons éthiques. Ain­si, la tâche que j’ai reçue dans (A)pollonia s’in­scrivait dans la droite ligne de mes con­vic­tions. Aus­si, comme je l’ai dit, même si ce que Krzysztof pro­pose n’est pas directe­ment lié avec nous, il nous attribue les rôles de façon à ce que ce soit tout sim­ple­ment intéres­sant ou que quelque chose nous touche. Quelque chose qui nous per­me­tte de met­tre en route un sec­ond fond dans les per­son­nages joués.

A.G.: Vous est-il arrivé d’avoir refusé de jouer une scène pour des motifs per­son­nels ?

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Écrit par Aneta Glowacka
Ane­ta Gtowac­ka est direc­trice de pub­li­ca­tion de la revue Opc­je. Elle écrit pour Teatr et Notat­nik Teatral­ny. Elle...Plus d'info
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