Une nouvelle étape

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Entretien avec Maciej Stuhr

Le 21 Oct 2011
Maciej Stuhr dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
Maciej Stuhr dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.

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Maciej Stuhr dans La Fin d'après Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès, J. M. Coetzee. Nowy Teatr, Varsovie, 2010. Photo Magda Hueckel.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 110-111 - Krzysztof Warlikowski - Fuir le théâtre
110 – 111
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Izabela Szy­mańs­ka : Te sou­viens-tu du pre­mier spec­ta­cle de Krzysztof War­likows­ki que tu as vu ?

Maciej Stuhr : Les Bac­cha­ntes. C’est sans doute l’une des mis­es en scène les plus dif­fi­ciles. Je ne l’ai pas com­prise à l’époque, je ne con­nais­sais pas encore ce lan­gage. Je me sou­viens de trois femmes assis­es réc­i­tant de vieux textes : Jacek Poniedzi­atek m’a plu. Je ne suis pas devenu un fan de Krzysztof après ce spec­ta­cle, cela n’a pas été aus­si facile. Mais le sec­ond spec­ta­cle, Le Dib­bouk m’a mis à genoux. Lorsque j’ai com­mencé à tra­vailler avec Krzysztof, j’ai essayé de rat­trap­er le temps per­du, j’ai regardé La Tem­pête, Puri­fiés, tous les spec­ta­cles de ces dix dernières années.

I.S.: En tant que spec­ta­teur, qu’est-ce qui te touche dans ce théâtre ?

M.S.: C’é­taient des spec­ta­cles qui ten­taient de trou­ver un nou­veau lan­gage. Ils par­laient dans une langue sim­ple de choses très dif­fi­ciles et très com­plex­es, le spec­ta­teur avait des chances de retrou­ver les sit­u­a­tions de sa vie dans les per­son­nages représen­tés. Cette ques­tion plus large ne con­cerne pas seule­ment le théâtre mais l’art con­tem­po­rain en général. Les gens con­sid­èrent qu’ils ne com­pren­dront rien à tout ça et ils ne veu­lent pas regarder ces bar­bouil­lages dans les musées, ils ne veu­lent pas écouter cette musique de chats et aller dans un théâtre bizarre où un type nu se fla­gelle. Bien sûr, on sait que l’art con­tem­po­rain et le théâtre cherchent de nou­velles formes, mais il me sem­ble que, même dans les spec­ta­cles très com­pliqués comme l’est par exem­ple notre plus récent spec­ta­cle, La Fin, les scènes con­crètes et les événe­ments sont très pré­cis et très clairs dans leurs émo­tions, mal­gré l’ab­sence d’un réc­it linéaire. Bien plus clairs que les représen­ta­tions clas­siques de Franz Kaf­ka ou de William Shake­speare où l’on suit tout au niveau de la fable mais où il est dif­fi­cile de com­pren­dre ce que ces gens veu­lent dire, où l’on ne peut déchiffr­er les liens entre les héros. C’est pourquoi c’est une aubaine pour les acteurs d’être dans la troupe de Krzysztof car même si le spec­ta­cle ne plaît pas, les acteurs plaisent. Ce n’est pas notre mérite, c’est le mérite du met­teur en scène dont la grandeur s’ex­prime juste­ment à tra­vers son tra­vail avec les acteurs. Il peut par­fois moins bien réus­sir le réc­it d’une petite his­toire, mais racon­ter une his­toire c’est l’af­faire du ciné­ma améri­cain qui fait cela très bien et on n’a pas à chercher à se mesur­er à lui. Krzysztof sait très bien ce qui lui fait mal et ce dont il veut par­ler : il veut faire un spec­ta­cle sur le sac­ri­fice comme (A)pollonia où sur l’ul­time ren­dez-vous de cha­cun d’en­tre nous comme dans La Fin, ou sur l’in­tolérance comme Angels in Amer­i­ca. Cette idée est tou­jours très pré­cise.

I.S.: Ton pre­mier rôle chez War­likows­ki, c’é­tait Joe dans Angels in Amer­i­ca, juste­ment. Jacek Sier­adz­ki, dans une ren­con­tre d’ac­teurs dans « Poli­ty­ka » a écrit qu’en te regar­dant, il avait la sen­sa­tion que tu étais à part : « Il est dif­férent des acteurs de Roz­maitoś­ci, dans tout : dans les réac­tions, dans la façon de se posi­tion­ner sur la scène, dans la façon d’en­tr­er en rela­tion, dans la coquet­terie scénique » — ce qui con­ve­nait par­faite­ment au monde représen­té. As-tu demandé à War­likows­ki pourquoi il t’a juste­ment choisi pour ce rôle ?

M.S.: Je con­nais­sais Krzysztof avant d’en­tr­er dans la troupe car j’é­tais un assez fidèle spec­ta­teur du théâtre Roz­maitoś­ci de Varso­vie. Déjà du temps où nous étions à Cra­covie j’avais de bons cama­rades dans cette troupe : Mag­da Cielec­ka, Andrzej Chyra, Poniedzi­atek. C’é­tait des gens avec lesquels j’aimais pass­er du temps.

Nous nous étions déjà ren­con­trés et avions dis­cuté. Je ne suis pas un acteur qui va s’abaiss­er pour jouer. De leur côté, cela ressem­blait à ça : au début ils avaient pen­sé à quelqu’un d’autre qui ne voulait pas ou ne pou­vait pas et Krzysztof a pen­sé à moi. Jusqu’à aujour­d’hui, je garde dans mon portable le SMS de Jacek que j’ai reçu durant les vacances : « Maciek, as-tu le temps et l’en­vie de tra­vailler un peu avec Krzysztof War­likows­ki dans Angels. Presque le rôle prin­ci­pal. Répéti­tions à par­tir du 4 sep­tem­bre jusqu’au début févri­er avec des paus­es durant nos tournées. Jacek. P. » Ça a com­mencé comme ça. J’ai cham­boulé tout mon cal­en­dri­er, j’ai
tout viré. Un mois plus tard, j’é­tais à Obo­ry près de Varso­vie à la pre­mière réu­nion heb­do­madaire, lisant Tony Kush­n­er. Dernière­ment, lors d’une con­ver­sa­tion à pro­pos de quelqu’un d’autre, Krzysztof a dit : « Je ne peux décor­ti­quer ce type, et je ne peux donc pas lui don­ner un rôle appro­prié. Quand tu es arrivé, après trois jours, je savais tout sur toi et je pou­vais te pro­pos­er quelque chose. » C’est très car­ac­téris­tique, il ne peut attribuer un rôle à quelqu’un en se bas­ant juste sur son apparence, sur ce qu’il a joué aupar­a­vant. Toute sa réflex­ion sur la dis­tri­b­u­tion provient de la manière dont il peut mobilis­er chez cet acteur cer­tains thèmes de sa vie. Évidem­ment, ce n’est pas trans­posé exacte­ment, je n’avais aucun rap­port avec l’ho­mo­sex­u­al­ité. Krzysztof en a un plein le nez de notre tech­nique, pour par­ler crû­ment, et il voudrait nous en dépouiller. C’est un met­teur en scène qui vient à cha­cun des spec­ta­cles. Dès qu’il voit que quelque chose tiédit, il change immé­di­ate­ment. Il ne nous per­met pas de nous sen­tir en sécu­rité. Il nous dit : « Et si tu essayais ici un peu plus à fond… ». Sou­vent nous l’évi­tons dans les couloirs du théâtre car nous savons qu’il a une trentaine de nou­velles idées. Et l’ac­teur est un type paresseux de nature qui voudrait avoir quelque chose de sûr, de véri­fié, dans lequel il est bon et que les spec­ta­teurs vont applaudir.

Il y a des acteurs qui n’ont pas besoin de ce type de tra­vail. Je pense que Krysty­na Jan­da, chez qui je joue, ne le voudrait pas. Mon père non plus. Cette généra­tion d’ac­teurs, d’un cer­tain âge, avec un cer­tain bagage, appréhende peut-être un peu de se con­fron­ter à quelque chose de nou­veau. Tout le monde n’a pas le courage, comme Stasz­ka Celin­s­ka, de se jeter au feu.

Ce texte a été pub­lié en polon­ais dans la revue Notat­nik Teatral­ny.

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Écrit par Izabela Szymańska
Izabela Szy­mańs­ka est jour­nal­iste cul­turelle à Gaze­ta Wybor­cza, WAW et Notat­nik Teatral­ny.Plus d'info
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