Faire de l’opéra une expérience partagée
Entretien
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Théâtre

Faire de l’opéra une expérience partagée

Entretien avec Robert Lepage

Le 16 Juil 2012
ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor Stravinsky, mise en scène Robert Lepage, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2010. Photo Pascal Victor.
ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor Stravinsky, mise en scène Robert Lepage, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2010. Photo Pascal Victor.

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ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor Stravinsky, mise en scène Robert Lepage, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2010. Photo Pascal Victor.
ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor Stravinsky, mise en scène Robert Lepage, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2010. Photo Pascal Victor.
Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
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Denise Wen­del : Votre pre­mier séjour à Paris remonte à plus de trente ans, en 1978. Que représen­tait à l’époque pour vous cette cap­i­tale mythique ?

Robert Lep­age : Pour un Québé­cois, Paris a des allures de préhis­toire, parce que, même si nous sommes fran­coph­o­nes, nous sommes forte­ment rat­tachés au sys­tème bri­tan­nique. Le Cana­da étant une colonie bri­tan­nique, notre psy­chisme est tout à la fois très anglais, et très anglo-améri­cain. Venir en France, c’était donc se recon­necter aux racines anci­ennes ; il y a un air de « déjà vu » pour nous, c’est très étrange. Je me rap­pelle que Paris était trép­i­dant à l’époque, tout sem­blait con­verg­er, c’était très stim­u­lant. Paris était un peu comme la cité idéale Utopie à cette époque, tout le monde était social­iste.
On avait l’impression que l’on pou­vait se pro­duire ou s’exprimer dans la rue, avec très peu de moyens. Main­tenant bien sûr, tout est étroite­ment lié, pro­duit et manu­curé. Par­fois, j’essaie de me met­tre à la place d’un jeune de vingt ans qui se lance. J’essaie de com­pren­dre ce que doit faire un jeune artiste pour avoir du suc­cès aujourd’hui, quelles sont les ressources disponibles, com­ment on peut nouer des con­tacts, se lancer. À l’époque, c’était facile, on sor­tait dans la rue, on fai­sait son numéro dehors ou dans un ate­lier désaf­fec­té. Tout était pos­si­ble.

D. W. : Quelle était votre per­cep­tion de l’Amérique par con­traste avec l’Europe dans les années 1970 ?

R. L. : De retour en Amérique du Nord, on n’avait pas accès à la « big city », les villes étaient très éloignées les unes des autres en Amérique. C’était presque une aven­ture d’aller voir des choses à New York. Même aller de Québec à Mon­tréal était une grosse expédi­tion en ce temps-là. D’une cer­taine manière, je me sen­tais plus proche de l’Europe et j’y venais vrai­ment dans un esprit de décou­verte.

D. W. : Le théâtre expéri­men­tal bat­tait son plein à Paris dans les années 1970, Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord, Antoine Vitez au Théâtre des Quartiers d’Ivry.

R. L. : Il y avait Peter Brook, Vitez aus­si, mais pour moi, la per­son­ne impor­tante, c’était Ari­ane Mnouchkine. Ari­ane fai­sait déjà un tas de choses, et elle était en train de met­tre en place le Théâtre du Soleil à ce moment-là.

D. W. : Elle était très forte­ment influ­encée par Jacques Lecoq, une autre fig­ure-clé de l’époque.

R. L. : Je con­nais des gens qui étaient à l’École Inter­na­tionale de Théâtre en même temps qu’elle. Apparem­ment, elle était très timide, et obser­vait plus qu’elle ne par­tic­i­pait. Mais en réal­ité, elle absorbait tout comme une éponge, s’imprégnant et inté­grant les choses en per­ma­nence. À sa sor­tie de l’école, elle savait juste com­ment respir­er, com­ment s’arrêter et com­ment bouger. Elle a cer­taine­ment été l’une des grandes influ­ences – voire la plus grande – sur mon activ­ité créa­trice. Pas néces­saire­ment dans le sens où je suiv­ais ses traces, mais plus par son engage­ment à faire évoluer une œuvre à par­tir de ses racines, par son intérêt pour la philoso­phie asi­a­tique, son approche presque anthro­pologique d’une œuvre, sa quête de l’origine des choses et de leur rap­port au jeu de scène, autant d’aspects que j’ai tou­jours essayé d’introduire dans mon pro­pre tra­vail.

D. W. : Mnouchkine est une fer­vente adepte du proces­sus col­lab­o­ratif du théâtre où la troupe tient plus de la com­mu­nauté ; tra­vaillez-vous aus­si de cette façon ?

R. L. : Absol­u­ment, mais tra­vailler pour Mnouchkine, c’est comme entr­er en reli­gion, cela acca­pare toute votre vie. Je ne peux me per­me­t­tre de faire ça aujourd’hui dans ma sit­u­a­tion. Je ne peux me per­me­t­tre d’avoir des dis­ci­ples. Mais chaque fois que nous sommes tous réu­nis dans mon cen­tre « La Caserne » à Québec pour une nou­velle créa­tion, cela ressem­ble prob­a­ble­ment un peu à la manière dont Mnouchkine tra­vail­lait à La Car­toucherie.
C’est un véri­ta­ble luxe de tra­vailler comme Mnouchkine, en par­ti­c­uli­er dans le monde actuel. Ari­ane est resté telle­ment jeune, à l’affût, curieuse, elle est vrai­ment un mod­èle pour moi. Je lui ai demandé l’autre jour « Quel est ton prochain pro­jet ?» Elle a répon­du « Eh bien, c’est d’explorer une idée autour de Jules Verne prob­a­ble­ment » – et moi de deman­der : « Ça com­mence quand ?» Et elle de répon­dre : « Quand ce sera prêt » ! C’est un véri­ta­ble luxe – non pas le luxe dans le sens « avoir accès à des moyens », mais dans celui de « se per­me­t­tre, psy­chologique­ment, dans son quo­ti­di­en, dans sa manière d’être, dans son approche du tra­vail, de pren­dre du temps ». Ari­ane le fait, et je l’admire pour ça.

D. W. : Vous sem­blez au con­traire men­er plusieurs pro­jets à la fois dans le monde entier : LE ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES, créé à Toron­to à la Cana­di­an Opera Com­pa­ny (2009), a été présen­té au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence et fera sous peu ses débuts à l’Opéra de Lyon. DAS RHEINGOLD de Wag­n­er vient d’être créé à New York et vous êtes actuelle­ment en pleines répéti­tions pour DIEWALKÜRE, tout en réfléchissant à la mise en scène du reste de la Tétralo­gie pour les saisons 2010-11-12. Ce soir, vous danserez avec Sylvie Guillem et Rus­sell Maliphant dans EONNAGATA, un spec­ta­cle que vous avez écrit et conçu. Souhaitez-vous par­fois pou­voir avoir le « luxe » du temps ?

ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor Stravinsky, mise en scène Robert Lepage, direction musicale Kazushi Ono, Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2010. Photo Élisabeth Carecchio.
ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor Stravin­sky, mise en scène Robert Lep­age, direc­tion musi­cale Kazushi Ono, Fes­ti­val d’Aix-en-Provence, juil­let 2010. Pho­to Élis­a­beth Carec­chio.

R. L. : Oh absol­u­ment, absol­u­ment, j’aimerais pou­voir me per­me­t­tre de pass­er une année entière sur un pro­jet, avoir le luxe de le faire. Mais cela dit, je sais que j’ai une capac­ité de con­cen­tra­tion très lim­itée, et que j’ai besoin de faire plusieurs choses en même temps, et que tous ces pro­jets dif­férents se nour­ris­sent les uns des autres. Ce serait très étrange de ne pas tra­vailler sur un opéra tout en met­tant en scène du théâtre, en tra­vail­lant avec des danseurs, des mar­i­on­nettes, des artistes de cirque, parce que toutes ces choses sont une et dia­loguent toutes entre elles.

D. W. : Au début des années 1990, plusieurs grandes maisons d’opéra, par­mi lesquelles La Scala et la Cana­di­an Opera Com­pa­ny, soucieuses de renou­vel­er leurs pro­duc­tions en prévi­sion du nou­veau mil­lé­naire, vous ont pro­posé de mon­ter une pro­duc­tion du RING. Pour quelle rai­son avez-vous décliné ces offres ?

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