L’enrichissement réciproque du théâtre et de l’opéra : Olivier Py sous le signe du lyrisme
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L’enrichissement réciproque du théâtre et de l’opéra : Olivier Py sous le signe du lyrisme

Le 19 Juil 2012
Mireille Delunsch et Yann Beuron dans IDOMÉNÉE de W. A. Mozart, mise en scène Olivier Py, direction musicale Marc Minkowski, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2009. Photo Élisabeth Carecchio.
Mireille Delunsch et Yann Beuron dans IDOMÉNÉE de W. A. Mozart, mise en scène Olivier Py, direction musicale Marc Minkowski, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2009. Photo Élisabeth Carecchio.

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Mireille Delunsch et Yann Beuron dans IDOMÉNÉE de W. A. Mozart, mise en scène Olivier Py, direction musicale Marc Minkowski, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2009. Photo Élisabeth Carecchio.
Mireille Delunsch et Yann Beuron dans IDOMÉNÉE de W. A. Mozart, mise en scène Olivier Py, direction musicale Marc Minkowski, Festival d’Aix-en- Provence, juillet 2009. Photo Élisabeth Carecchio.
Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

POÈTE AFFIRMÉ de la total­ité, catholique et homo­sex­uel flam­boy­ant, homme d’influence dans la pen­sée et la pra­tique des poli­tiques cul­turelles français­es : les lieux com­muns sur Olivi­er Py (né en 1965) abon­dent1. Ils ont été depuis longtemps iden­ti­fiés, mais con­tin­u­ent de struc­tur­er les dis­cours le con­cer­nant. « Cho­quer le bour­geois » ? Cer­tains événe­ments acces­soires ont pu ali­menter un tel dis­posi­tif : en 2005, l’utilisation d’un « hardeur » dans la bac­cha­nale intro­duc­tive assure une cer­taine pub­lic­ité à son TANNHÄUSER et cinq ans plus tard, sa LULU s’est trou­vée pour des raisons sim­i­laires « décon­seil­lée à un pub­lic de moins de seize ans », for­mule inédite à l’opéra. Quels sont les traits les plus tan­gi­bles de cette sup­posée provo­ca­tion, qui a tou­jours trait à l’«ob-scène », c’est-à-dire au spec­ta­cle ? Ce sont, pêle-mêle, la nudité exhibée, la sex­u­al­ité man­i­festée, l’homoérotisme, la reli­giosité osten­ta­toire, l’entrelacement du sub­lime et du grotesque, le goût pour le sim­u­lacre et le trav­es­tisse­ment, etc.

L’homme Py ren­force cela : faune séduisant à la voix pointue, au verbe facile et bril­lant (« bavard », dis­ent les uns ; « généreux », rétorquent les autres), auteur d’une pen­sée cul­tivée extrême­ment rodée et sus­cep­ti­ble de ten­dre au sys­tème, porté à la démesure, un brin nar­cis­sique, et volon­tiers exhi­bi­tion­niste (dans un rap­port inverse­ment pro­por­tion­nel à son scéno­graphe de tou­jours, Pierre-André Weitz, qui sem­ble quant à lui ten­dre vers tou­jours plus d’effacement), et omniprésent dans le champ médi­a­tique français dès lors que l’avenir de la cul­ture, enten­due par lui comme socle de toute poli­tique, est en jeu. Le tout relevé d’un esprit cri­tique et d’un sens de l’autodérision cer­tains, comme le prou­vent ses ILLUSIONS COMIQUES (2006), pièce « métathéâ­trale » dans laque­lle, sous le signe joyeux et amer de la « van­ité », il tenait plus ou moins son pro­pre rôle, rejouant, déjouant, et relançant les lieux com­muns le con­cer­nant.
Pour­tant l’univers théâ­tral d’Olivier Py mon­tre une cohérence et un naturel qui lui con­fèrent une sorte de « clas­si­cisme ». Certes, l’activité menée par Olivi­er Py à l’opéra suit d’une dizaine d’années au moins celle entre­prise sur la scène théâ­trale. Néan­moins, il ne saurait être placé dans la caté­gorie, naguère illus­trée de manière emblé­ma­tique par Patrice Chéreau, des met­teurs en scène d’abord issus du théâtre, et venus ensuite, avec des moyens pro­pres à cet univers, régénér­er l’art lyrique. La for­ma­tion musi­cale de Py, à l’instar de celle de Weitz, est assez poussée, et sa mélo­manie – voire sa lyri­co­manie – est indé­ni­able. Il appré­cie qu’il en aille de même chez ses acteurs, dont il attend qu’ils soient, con­crète­ment mais aus­si métaphorique­ment, de « bons chanteurs ». Nour­ri des Pères de l’Église et de Claudel, Py a en effet dévelop­pé une cer­taine « mys­tique de la vocal­ité ». Il n’a de cesse de ren­dre compte de sa fas­ci­na­tion pour le chant : pour la nudité dans laque­lle il place celui qui s’y adonne, ce qu’il appelle son « dan­ger spir­ituel extrême» ; pour l’expression de ce désir dont il témoigne, de renouer avec l’unité per­due entre le son et le sens, la chair et l’esprit. À ce titre, il n’est pas de ceux qui dis­crédi­tent le chanteur d’opéra au nom d’un sup­posé manque de crédi­bil­ité dra­ma­tique. Les impérat­ifs de la musique ne sont pas pour lui con­traires à ceux du drame.

Entre l’acteur de théâtre et le chanteur d’opéra, il laisse davan­tage sup­pos­er un enrichisse­ment réciproque qu’une irré­ductibil­ité con­flictuelle. D’une cer­taine façon, Py con­sid­ère en effet que le sec­ond pour­rait bien représ- enter le mod­èle du pre­mier. Le chanteur d’opéra, vic­time des con­ven­tions asep­tisées du ciné­ma et de la télévi­sion, aurait per­du con­tact avec l’essence du lyrisme, dont il était pour­tant le déposi­taire pre­mier ; dès lors, s’il veut retrou­ver ce qui lui apparte­nait orig­inelle­ment en pro­pre, c’est para­doxale­ment vers l’acteur de théâtre qu’il doit se retourn­er, car c’est lui qui en aurait repris le flam­beau.
Le dénom­i­na­teur com­mun du théâtre et de l’opéra, le principe qui les unit, et qui pour­rait servir à car­ac­téris­er l’ensemble de la geste artis­tique d’Olivier Py, c’est donc le lyrisme. Quand il déclare qu’il se con­sid­ère davan­tage comme un chanteur que comme un écrivain, il indique par là qu’il priv­ilégie l’oralité sur la dimen­sion pro­pre­ment écrite du lan­gage ; et quand il dit aimer en tout que « cela chante », c’est parce qu’il souhaite remet­tre en ques­tion ce que le lan­gage peut avoir de trop rationnel, logique ou causal. On pour­rait donc avancer qu’au logos – pro­mu par les Lumières français­es – il préfère le mythos, poé­tique et musi­cal, intu­itif et poly­sémique, tel que van­té par les mys­tiques ou les roman­tiques alle­mands. Enfin, le chant, qui est selon lui vibra­tion et incar­na­tion, qui rac­corde ce qui existe (le monde présent) à ce qui est (le monde éter­nel), pos­sède une valeur exis­ten­tielle et méta­physique : il con­cen­tre toute la douleur et toute la joie d’être au monde – ce qui, pour Py, va sou­vent de pair. Le lyrique appa­raît alors chez lui comme le sum­mum du « poé­tique ».

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Écrit par Timothée Picard
Tim­o­th­ée Picard est maître de con­férences à l’université Rennes 2 et mem­bre de l’Institut uni­ver­si­taire de France. Spé­cial­iste...Plus d'info
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Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre

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