Mettre la musique en représentation

Entretien
Opéra

Mettre la musique en représentation

Entretien avec Philippe Boesmans

Le 8 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

BERNARD DEBROUX : Au théâtre, le met­teur en scène est le pre­mier inter­prète du texte auquel il tend, au tra­vers d’un univers de signes, de don­ner sa vision. À l’opéra, c’est le com­pos­i­teur qui est en pre­mière ligne. Lors de votre pre­mière expéri­ence de com­pos­i­teur pour l’opéra (LA PASSION DE GILLES sur un livret de Pierre Mertens) vous déclar­iez : « Gilles est un bary­ton, il est trop jeune pour être une basse et il est trop vilain pour être un ténor »1. Le com­pos­i­teur, par le choix des voix, donne déjà du sens, une ori­en­ta­tion…

Philippe Boes­mans : Il par­ticipe très fort à la mise en scène surtout parce qu’il est maître du temps. Le met­teur en scène à l’opéra n’est plus maître du temps comme au théâtre. Il est maître des gestes. Le com­pos­i­teur est maître du temps et maître du ton. Dans la phrase que va dire l’interprète (le per­son­nage), entend-on qu’il ment ? Entend-on qu’il est timide ? Tout ça, c’est le com­pos­i­teur qui le met en scène, c’est fixé une fois pour toutes. Le met­teur en scène peut ralen­tir l’expression d’une phrase ou rajouter une petite vir­gule de sus­pen­sion, mais il ne peut plus chang­er fon­da­men­tale­ment le déroule­ment de l’opéra. Pour un met­teur en scène, c’est à la fois dif­fi­cile parce que ça lui est imposé et con­fort­able parce qu’il ne doit pas s’en occu­per.

B. D. : Cer­tains auteurs de théâtre écrivent pour des acteurs en par­ti­c­uli­er. Vous arrive-t-il de com­pos­er à l’opéra pour des chanteurs ou des chanteuses en par­ti­c­uli­er ?

P. B. : Oui, quand j’écris un opéra, il arrive que cer­tains chanteurs soient déjà choi­sis et que je les con­naisse. Mais ce qui existe surtout à l’opéra et qui existe moins au théâtre, ce sont des arché­types vocaux. La voix des chanteurs porte un nom. On par­le d’une sopra­no dra­ma­tique, d’une sopra­no lyrique, d’une basse noble, d’une basse chan­tante, d’un ténor héroïque. J’aime garder ces arché­types de tech­nique vocale parce qu’ils font par­tie d’une his­toire de l’opéra. J’écris tou­jours pour un cer­tain type de voix, un cer­tain car­ac­tère de voix.
Dans les années qua­tre-vingt, on a voulu « déstruc­tur­er » ces fon­da­men­taux de l’opéra, mais cela n’a jamais bien fonc­tion­né. J’aime qu’on aille voir mes opéras comme si on allait voir une pièce de théâtre, que la langue soit très com­préhen­si­ble.

B. D. : Quand on s’intéresse à l’histoire des par­ti­tions musi­cales, on s’aperçoit, grâce aux travaux des musi­co­logues, que des par­ti­tions ont été cor­rigées et changées après les exé­cu­tions publiques des œuvres. Est-ce pos­si­ble à l’opéra ? Vous est-il arrivé de chang­er la par­ti­tion après avoir vu la mise en scène ?

P. B. : Pen­dant les répéti­tions je fais sou­vent des petits change­ments. Un grand change­ment a eu lieu pour LA RONDE. Il y a une ver­sion longue qui dure deux heures vingt, dif­fi­cile à présen­ter sans entracte. (Les règles syn­di­cales ne per­me­t­tent pas à l’orchestre de rester plus d’une heure cinquante dans la fos­se). Nous trou­vions plus beau et plus juste que LA RONDE soit présen­tée dans sa con­ti­nu­ité. J’ai donc réal­isé une ver­sion réduite qui peut être jouée sans entracte. Il y a eu douze pro­duc­tions dif­férentes de LA RONDE jouées tan­tôt dans sa ver­sion courte, tan­tôt dans sa ver­sion longue. Dans la par­ti­tion éditée, il est indiqué où on peut faire des coupures si on le souhaite…

B. D. : Vous avez établi un lien priv­ilégié avec Luc Bondy : LA RONDE, LE CONTE D’HIVER, JULIE et enfin YVONNE, PRINCESSE DE BOURGOGNE. Au départ de grands auteurs, Schnit­zler, Shake­speare, Strind­berg, Gom­brow­icz, y a‑t-il eu un tra­vail mené en com­mun met­teur en scène-com­pos­i­teur pour l’écriture des livrets ?

P. B. : Pour faire un opéra, il faut un livret. Si l’on part de pièces de théâtre du réper­toire comme on l’a fait, il s’agit surtout d’une réduc­tion du texte orig­i­nal. On réduit parce que la musique prend plus de temps… Si on pre­nait le texte du CONTE D’HIVER dans sa total­ité, on aurait plus de six heures de musique ! Il faut garder les choses essen­tielles et enlever ce qui dans une langue est très fleuri, parce que ce qui est fleuri, c’est la musique qui le rend… On doit vis­er à la sim­plic­ité, rac­cour­cir les phras­es trop lit­téraires et trop longues.

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Philippe Boesmans
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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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