Instantanés de l’intérieur
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Instantanés de l’intérieur

Le 18 Oct 2016

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 130 - Ancrage dans le réel / Théâtre National (Bruxelles) 2004-2017
130

Les pro­pos et les images qui suiv­ent sont issus d’instants de répéti­tions sur la créa­tion de la troisième par­tie de Ça ira (1) Fin de Louis en octo­bre 2015 au Théâtre des Amandiers à Nan­terre. Ce sont des frag­ments d’une trame de tra­vail qui s’est déroulée sur plusieurs jours. Les ver­ba­tims sont extraits des paroles de Joël Pom­mer­at, qui, avec les pho­tos, con­stituent un tra­vail de repérage en vue de la pré­pa­ra­tion d’un film doc­u­men­taire sur Joël Pom­mer­at, réal­isé par Blan­dine Armand et pro­duit par Zadig Pro­duc­tions et Arte France.

Je me sou­viens des pre­miers mots que j’ai écrits, ce que je voulais racon­ter, et com­ment, et ce qui me parais­sait essen­tiel. Si on regarde ces notes, vous ver­rez le mot fatigue, le mot épuise­ment. Ce sont des choses physiques.

Ce n’est pas un théâtre sim­ple­ment de mots, même si dans cette pièce il y a de l’argumentation avec les mots.

Ce qui est le plus dur à trou­ver, c’est l’état physique dans lequel sont ces gens. Et nous, notre théâtre, il se veut – avec ce terme qui ne trou­ve pas de rem­plaçant – il se veut con­cret, donc physique, cor­porel, char­nel. Il se veut non pas émo­tion­nel au sens mélo­dra­ma­tique ou en quête de l’émotion du spec­ta­teur, mais ancré dans le sen­si­ble.

Dans cette troisième par­tie, on a par­lé d’abord de la vio­lence, qui est une prob­lé­ma­tique essen­tielle de cette pièce, essen­tielle par rap­port à cette sit­u­a­tion his­torique. Mais la vio­lence dans notre dra­maturgie c’est une métaphore de la dif­fi­culté de faire con­trat, de faire har­monie, de faire démoc­ra­tie en quelque sorte. La démoc­ra­tie, c’est l’idée d’un con­trat entre tous et donc de la paix. Dans cette troisième par­tie, on est con­fron­té plus physique­ment, plus con­crète­ment encore à cette vio­lence et donc à l’absence de réso­lu­tion des con­flits par les mots, par l’échange d’idées, d’arguments.

La deux­ième chose, c’est la présence du peu­ple dans cette troisième par­tie : il est présent, il est acteur, il est physique­ment là. On n’est pas assez con­cret avec ces indi­vidus, avec ces gens. On est encore glob­ale­ment dans des approx­i­ma­tions, dans de l’image, pas dans du con­cret.

Où peut-on gag­n­er ? Dans des choses sim­ples, l’apparence déjà, l’extérieur, les signes que l’on ren­voie de l’extérieur : que l’on soit moins pro­pres, moins liss­es ; la présence des forces vives, com­ment sont-elles insérées dans ce lieu ; dans la scéno­gra­phie, quelles mis­es en place ? ; dans les lumières, plus on éclaire, plus on démon­tre que l’on est dans un espace de théâtre, alors qu’il faut qu’on amène plus de con­cret juste­ment…

Ce n’est pas qu’une chose, c’est une quan­tité de détails.

Ça passe aus­si par le fait que vous, dans la scène 11, vous puissiez dépass­er les infor­ma­tions que le texte est chargé de fournir aux spec­ta­teurs, pour ren­tr­er dans quelque chose qui soit vrai­ment de la rela­tion, de l’action.

Il faut que l’on ressente des corps qui sont en stress, en état de souf­france même. Il y a une souf­france con­crète qui passe par le corps, le physique et ça doit se sen­tir, se voir.

Et je crois que si on réus­sit notre troisième par­tie c’est qu’on va réus­sir cela.

Christian Lapeyroux et Isabelle Deffin. Ça ira (1) Fin de Louis, répétitions, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015. ©Blandine Armand.
Chris­t­ian Lapey­roux et Isabelle Def­fin. Ça ira (1) Fin de Louis, répéti­tions, Théâtre des Amandiers, Nan­terre, octo­bre 2015. ©Blan­dine Armand.

La scène 17 était plutôt bien, plutôt mieux. Il faut tout de suite bien com­pren­dre ce qui est bien ou mieux par rap­port à ce que l’on a fait précédem­ment ou que l’on a pu faire. Ce n’est pas parce que c’était « fort » que c’était bien. Ce qui était bien c’est que c’était lié à quelque chose d’autre. Quelque chose qu’on a tous essayé d’investir, qui est lié à ce dont on a par­lé sur la fatigue, l’usure, la peur. Vous l’avez sen­ti ?

Christian Lapeyroux et Isabelle Deffin. Ça ira (1) Fin de Louis, répétitions, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015. ©Blandine Armand.
Chris­t­ian Lapey­roux et Isabelle Def­fin. Ça ira (1) Fin de Louis, répéti­tions, Théâtre des Amandiers, Nan­terre, octo­bre 2015. ©Blan­dine Armand.

Sou­vent on revient à ces mots d’indignation, de colère, mais c’est le niveau de colère qui est impor­tant. C’est un niveau de colère qui juste­ment est imprégné dans ce vécu, dans cette fatigue, dans cette usure, dans cette souf­france. Ce n’est pas juste du « pétage de plomb » comme ça, un peu banal. On s’en est approché de ce niveau, et il faut con­stru­ire main­tenant avec.

Répétitions de Ça ira (1) Fin de Louis, Théâtre des Amandiers, Nanterre, octobre 2015. ©Blandine Armand.
Répéti­tions de Ça ira (1) Fin de Louis, Théâtre des Amandiers, Nan­terre, octo­bre 2015. ©Blan­dine Armand.
Agnès Berthon, Yvain Juillard, Saadia
Bentaïeb, Philippe Frécon, Anthony Moreau,
Bogdan Zamfir, Ruth Olaizola, Gérard Potier,
Joël Pommerat, en répétitions de Ça ira (1)
Fin de Louis. ©Blandine Armand.
Agnès Berthon, Yvain Juil­lard, Saa­dia Ben­taïeb, Philippe Fré­con, Antho­ny More­au, Bog­dan Zam­fir, Ruth Olaizo­la, Gérard Poti­er, Joël Pom­mer­at, en répéti­tions de Ça ira (1) Fin de Louis. ©Blan­dine Armand.

Finale­ment, on racon­te une évo­lu­tion et une tra­jec­toire sen­si­ble et idéologique d’une grande par­tie de cette assem­blée, qui a fait quelque chose d’absolument héroïque, mais qui, à un moment don­né, se met à avoir peur, à frein­er, à par­tir dans une direc­tion. C’est impor­tant de com­pren­dre que c’est ça l’histoire qu’on racon­te, en tout cas dans la 17.

On est là dans un moment qui, pour le coup, n’est plus du tout organ­isé avec des places et des repères, mais avec quand même autour les pro­tag­o­nistes prêts à en découdre presque physique­ment. Donc on est sur une ten­sion vrai­ment présente, on a encore la parole qui per­met de ne pas tomber dans la sauvagerie, dans la vio­lence directe, mais c’est au bord. On a sou­vent par­lé de ça, c’est quand même la parole qui per­met de canalis­er finale­ment l’affrontement direct, et là on touche les lim­ites de ça.

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Écrit par Blandine Armand
Blan­dine Armand est réal­isatrice et vidéaste, et tra­vaille prin­ci­pale­ment dans le champ du théâtre. Elle suit le tra­vail...Plus d'info
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