Alessandro Sciarroni mouvement perpétuel

Danse
Critique

Alessandro Sciarroni mouvement perpétuel

Le 19 Mar 2017
TURNING_motion sickness version, création d’Alessandro Sciarroni, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2016. Photo Michel Cavalca.
TURNING_motion sickness version, création d’Alessandro Sciarroni, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2016. Photo Michel Cavalca.
TURNING_motion sickness version, création d’Alessandro Sciarroni, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2016. Photo Michel Cavalca.
TURNING_motion sickness version, création d’Alessandro Sciarroni, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2016. Photo Michel Cavalca.
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Pro­jet au long cours imag­iné par Alessan­dro Scia­r­roni, Turn­ing inter­roge notre per­cep­tion de la rota­tion. Une écri­t­ure du mou­ve­ment qui se con­jugue au présent.

Tourn­er. S’épuiser. Repren­dre. On pour­rait ain­si résumer l’approche du choré­graphe et per­former ital­ien Alessan­dro Scia­r­roni dans son pro­jet Turn­ing qu’il décline en formes mul­ti­ples. Mais ces quelques mots ne sauraient ren­dre compte de l’effet – qua­si hyp­no­tique – pro­duit par cette gestuelle. Tourn­er, mais après ? Scia­r­roni développe une sci­ence de la perte, un jeu de (dés)équilibre qui porte la danse au delà du min­i­mal­isme. Le point de départ de l’ensemble est un pro­jet inti­t­ulé Migrant Bod­ies dans lequel Alessan­dro Scia­r­roni étu­di­ait les migra­tions des ani­maux et des humains. « Au Cana­da nous avons été témoins de cer­taines migra­tions impor­tantes comme celle de saumons ou des oies » se remé­more Alessan­dro Scia­r­roni. « Et j’ai réal­isé que les tra­jec­toires de la plu­part des migra­tions sont basées sur un mou­ve­ment cir­cu­laire. Dans le pro­jet Migrant Bod­ies, j’ai testé ce mou­ve­ment sur mon pro­pre corps. Puis, j’ai essayé ce tra­vail sur et avec un groupe de per­son­nes à Lyon, à Rome et à la Bien­nale de Venise. Chaque expéri­men­ta­tion est une ver­sion dif­férente d’un même pro­jet ». Chro­ma, la ver­sion solo, sera créé à Paris en avril 2017 – elle a pour titre Chroma_don’t be fright­ened of turn­ing the page1 – tan­dis que la ver­sion « bal­let » a été créée durant la dernière Bien­nale de la danse de Lyon. On a pu voir une ébauche de la pre­mière, un solo porté par Scia­r­roni lui-même qui joue des clairs-obscurs, des formes détourées et de cet envoûte­ment pro­pre à la transe. Dans la ver­sion pour ensem­ble, avec le Bal­let de l’Opéra de Lyon, Scia­r­roni révèle une écri­t­ure peut-être plus intu­itive. « Je me suis demandé pourquoi « utilis­er » des inter­prètes de bal­let. Quel est le lien entre le turn­ing et leur par­cours ? J’ai trou­vé la réponse dans leur capac­ité, leur com­pé­tence à dévelop­per des fig­ures clas­siques : fou­et­té, tours en l’air, tour à la sec­onde, entre autres. Ain­si au delà du chal­lenge qui con­siste à tourn­er sur soi-même sans fix­er un point durant trente min­utes, il est devenu très exci­tant égale­ment de com­pren­dre com­ment ils pou­vaient tourn­er en util­isant ces mod­èles clas­siques sur un temps rel­a­tive­ment long ». L’intérêt a vis­i­ble­ment été partagé par ces inter­prètes déjà con­fron­tés aux univers de Lucin­da Childs, William Forsythe, Rachid Ouram­dane, Anne Tere­sa De Keers­maek­er ou Maguy Marin, soit autant d’écritures choré­graphiques dif­férentes que de per­son­nal­ités. Pour­tant, c’est bien vers la gram­maire académique qu’Alessandro Scia­r­roni a porté son regard. Et pour cause, le soliste de la danse clas­sique tourne plus qu’à son tour. Les pointes même des bal­ler­ines, out­re de grandir la sil­hou­ette, per­me­t­tent des rota­tions vir­tu­os­es. Dans le sil­lage de créa­teurs comme Jan Fab­re ou le duo Chaignaud/Bengolea, Scia­r­roni a donc fait du vocab­u­laire du bal­let un ter­rain d’études. Mais alors est-ce que le turn­ing libère le choré­graphe qu’il est ? Ou ajoute à l’incertitude ? « Il y a eu de la pres­sion au départ car vous devez appren­dre à con­trôler les ver­tiges et l’équilibre. Ensuite c’est un voy­age à pro­pos de la lib­erté et du soin apporté à l’autre » répond Alessan­dro Scar­rioni, con­scient que la notion de « care » abor­dée ici ren­voie aus­si bien à la fig­ure du duo ou de l’ensemble tels qu’envisagés par la danse, qu’elle soit con­tem­po­raine ou clas­sique. « Vous devez être patient. La répéti­tion de mou­ve­ments iden­tiques engage l’effort de cer­taines par­ties du corps ; par exem­ple, si vous tournez, vous utilisez seule­ment cer­tains mus­cles et artic­u­la­tions et donc après quelques jours si vous ne prenez pas soin de vous, cela peut se traduire par des douleurs ou vous pou­vez vous bless­er, tout sim­ple­ment. Cela affecte le proces­sus de créa­tion car après un moment, tout tend vers cette recherche con­sis­tant à pren­dre soin de vous. Chaque jour, j’arrive au stu­dio et je demande aux danseurs com­ment ils se sen­tent. On doit main­tenir le corps dans de bonnes con­di­tions. Donc les répéti­tions sont à pro­pos de cela : pren­dre soin de son corps et des autres ». 

Kristina Bentz, TURNING_ motion sickness version, création d’Alessandro Sciarroni, Ballet de l’Opéra de Lyon, 2016. Photo Michel Cavalca.
Kristi­na Bentz, TURNING motion sick­ness ver­sion, créa­tion d’Alessandro Scia­r­roni, Bal­let de l’Opéra de Lyon, 2016. Pho­to Michel Cav­al­ca.

Scia­r­roni n’a d’ailleurs rien trou­vé de mieux que d’éprouver (ou s’éprouver) lui-même. The migrant Bod­ies était un pro­jet européen – avec d’autres choré­graphes invités – et j’ai su dès le départ que je devais tester les recherch­es sur mon corps. C’était un peu frus­trant au début car je ne me sens plus comme un per­former. Je ne suis pas un danseur dans le sens où je n’ai pas besoin d’aller au stu­dio tous les jours. Je n’ai pas besoin d’une pra­tique physique. Je suis un per­former du genre non­cha­lant. J’ai besoin que l’on me pousse à inter­préter mes pièces ! Mais je dois dire que je suis con­tent de m’y être for­cé. Désor­mais, lorsque je tourne sur moi-même, j’ai l’impression de pren­dre soin de moi, c’est une mer­veilleuse pra­tique ». Peut-on alors par­ler d’écriture ? L’improvisation n’est-elle pas plus présente ? Pour Alessan­dro Scia­r­roni, il y a tou­jours un pour­cent­age de com­po­si­tion en temps réel. « Nor­male­ment, nous créons des « mod­èles » et nous savons que nous allons les utilis­er. Ce que nous ne savons pas c’est à quel moment nous allons les pro­pos­er, quel danseur va com­mencer la vari­a­tion. J’aime tra­vailler de cette manière pour que les inter­prètes soient présents et vig­i­lants. Dans cette pièce, avec le bal­let de l’Opéra de Lyon, c’était par­ti­c­ulière­ment com­pliqué car lorsque vous tournez ain­si il est presque impos­si­ble de voir les détails autour de vous. Vous voyez juste l’espace dériv­er et il est impos­si­ble de se focalis­er. Chaque vari­a­tion est un change­ment dans la forme des bras qui va affecter douce­ment tout le groupe ». Alessan­dro Scia­r­roni ne répond pas à la ques­tion de définir son lan­gage choré­graphique. Ce n’est pas une fuite en avant. Il s’interroge juste sur sa dis­ci­pline. Il se voit peut-être comme un migrant. « Migr­er cela sig­ni­fie égale­ment chang­er, évoluer vers quelque chose d’inconnu. Dans le monde actuel les migra­tions sont con­stantes : nous migrons de mul­ti­ples façon dans les arts ».

Écrit sur base d’un entretien par email réalisé en novembre 2016.
  1. À voir au Cen­tqua­tre-Paris, Chroma_Don’t be Fright­ened of Turn­ing the Page d’Alessandro Scia­r­roni, du 6 au 9 avril 2017. ↩︎
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Écrit par Philippe Noisette
Philippe Noisette vit et tra­vaille à Paris. Il est jour­nal­iste spé­cial­isé Danse et Arts Vivants, auteur de Le...Plus d'info
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