Le théâtre musical : un idéal d’impureté

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Le théâtre musical : un idéal d’impureté

Le 26 Nov 2013
Odja Llorca et Jacques Bonnaffé dans L’Instrument à pression de David Lescot, mise en scène Véronique Bellegarde, Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN, 2016. Photo Philippe Delacroix.

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Odja Llorca et Jacques Bonnaffé dans L’Instrument à pression de David Lescot, mise en scène Véronique Bellegarde, Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN, 2016. Photo Philippe Delacroix.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 136 - Théâtre Musique
136

Théâtre musi­cal ou musique théâ­trale ? L’important est d’être absol­u­ment impur, rené­gat, con­tre-nature et con­tre soi-même. Faire du théâtre de manière musi­cale, et de la musique de manière théâ­trale. Surtout pas l’inverse. À la lim­ite, faire de la musique de manière musi­cale passe encore. Mais du théâtre de manière théâ­trale…

Com­mencer par finir 

Ce que je sais, c’est que s’il n’était pas pos­si­ble de faire du théâtre comme si c’était de la musique, je ferais autre chose que du théâtre. Dis­ons que le théâtre est pour moi le moyen de faire de la musique avec les élé­ments qui com­posent le théâtre : le texte, les voix, les corps et le bruit qu’ils font en bougeant, le temps et tout ce qu’il con­tient, action ou vide, les lumières. Les lumières sont tem­porelles, ryth­miques. Je laisse l’éclairagiste com­pos­er sa palette, mais je décide de la con­duite, c’est-à-dire de la tem­po­ral­ité de la lumière (moments, bas­cules, durées). Les deux prin­ci­pales manières d’éteindre la lumière au théâtre sont le fad­ing out (on baisse lente­ment) et le cut (on coupe d’un coup). C’est très musi­cal. 

Il y a un spec­ta­cle de Christoph Marthaler que j’ai vu en 2004 à la MC93 Bobigny, et dont j’ai par la suite imité la fin, tant je la trou­vais musi­cale. C’était une affaire de rythme, mais où entraient en jeu le chant, le jeu et la lumière. 

Le spec­ta­cle s’appelait Les Dix com­man­de­ments1, et était adap­té de l’auteur napoli­tain Raf­faele Viviani. On y voy­ait une placette, un campiel­lo, ses habi­tants, ses com­merçants, leur vie quo­ti­di­enne, leurs bavardages, presque rien, et leur envie d’ailleurs. À la fin, rassem­blés dans la chapelle d’une église con­tiguë à la place, ils chan­taient une espèce de romance sucrée, pop­u­laire et utopique, qui dis­ait le désir de par­tir, le rêve impos­si­ble de voy­age. C’est une très belle fin : on reste là, tan­dis que la chan­son dit qu’on part : (« – On y va ? – Allons‑y. Ils restent sur place. »2

Lumineuse­ment par­lant, n’importe qui aurait fini ça avec un fad­ing out : la lumière baisse lente­ment sur la chan­son, elles arrivent au noir à peu près en même temps : émo­tion garantie. Mais  Marthaler fait autrement, parce qu’il est musi­cal : la chan­son s’achève, les chanteurs bavar­dent quelques sec­on­des entre eux, on n’entend pas ce qu’ils dis­ent, mais on entend qu’ils par­lent, et la lumière s’éteint cut. L’émotion n’est pas atten­due, mais sur­prise. Elle se déclenche non pas pen­dant la fin qui dure, mais après la fin qu’on n’a pas vu venir (comme sou­vent dans la vie). C’est du théâtre musi­cal, au sens où c’est une manière musi­cale de faire du théâtre. 

Grande petite forme 

L’une des sources, l’un des noy­aux du théâtre musi­cal, c’est le cabaret. Vieille forme, pop­u­laire, immé­di­ate­ment com­préhen­si­ble, à laque­lle on assiste en étant déten­du, et qui, à ce titre, était con­sid­érée par Brecht comme un mod­èle pour le théâtre épique. Le cabaret con­t­a­mine tout ce qu’il touche, pas pour le détru­ire mais pour le régénér­er. On trou­ve même du cabaret dans l’opéra. Dans La Flûte enchan­tée de Mozart, le per­son­nage de cabaret, c’est Papageno, l’oiseleur. Le rôle a été com­posé pour Schikaned­er, le pro­prié­taire du théâtre, qui n’était pas chanteur mais acteur. C’est un rôle chantable par un acteur. À la fin de l’opéra, il décide de se sui­cider par dés­espoir amoureux, compte jusqu’à trois mais dif­fère sans cesse le moment d’arriver à la sec­onde fatale. C’est un numéro de cabaret, au cœur d’un opéra. Une petite forme, comme on dit, au milieu de LA grande forme. 

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David Lescot
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David Lescot est auteur, metteur en scène et musicien. Il enseigne les Études théâtrales à...Plus d'info
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