« Au début déjà, dans mon credo…»
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« Au début déjà, dans mon credo…»

Le 23 Déc 1995
Article publié pour le numéro
Kantor-Couverture du Numéro 50 d'Alternatives ThéâtralesKantor-Couverture du Numéro 50 d'Alternatives Théâtrales
50
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Au début déjà, dans mon
cre­do, l’art n’é­tait pas l’effigie
ni le reflet de la réal­ité
de la vie, il ne l’est tou­jours pas.
C’est là une foi naïve,
une théorie du nat­u­ral­isme
et du matéri­al­isme.
L’art est
une réponse
à la réal­ité.
Cet impérieux besoin
de réponse est sans doute
au cœur de la créa­tion.
Plus trag­ique était
cette réal­ité,
plus forte se fai­sait cette
«injonc­tion » intérieure de réponse,
de créa­tion
d’une réal­ité « autre »,
libre, autonome,
capa­ble de rem­porter une vic­toire morale
sut l’autre,
de tri­om­pher,
de restituer à notre époque
une dig­nité spir­ituelle.

C’é­tait en accord avec ma
nature,
ma volon­té de révolte et de
protes­ta­tion.

Cette sit­u­a­tion dans laque­lle
une réal­ité inhu­maine
sus­ci­tait en moi
une extra­or­di­naire injonc­tion de
réponse
m’a don­né
la force et l’ob­sti­na­tion
si néces­saires à la créa­tion
d’une grande œuvre.
Et cette grandeur
m’im­por­tait beau­coup.

Sans doute ai-je éclair­ci
suff­isam­ment
le rôle de la réal­ité
dans laque­lle il m’échut
de vivre
et à laque­lle inlass­able­ment
je suis revenu, en dépit
de toute logique,
en dépit du bon
sens.

Cette réal­ité de la vie,
déjà suff­isam­ment décrite
et située — et en elle, ou en face
d’elle,
mon théître,
ma pein­ture,
l’œuvre d’art,
réal­ité — autre —
autonome
et libre

Comme je l’ai dit déjà,
elle n’était pas, ne devait pas être
une effigie
ni un reflet de cette réal­ité-là.
En aucun cas
un reflet nar­ratif
ou doc­u­men­taire
ayant l’in­ten­tion de blâmer,
de porter plainte
devant le tri­bunal de la postérité
et de l’His­toire.
Cette méth­ode
de réal­i­sa­tion d’un spec­ta­cle,
d’ap­pli­ca­tion générale
aujourd’hui, où l’on peut dire désor­mais
toute la vérité (qui sans doute
joue un impor­tant rôle
social) —
m’é­tait étrangère.
Je visais bien plus haut
et. plus « large ».
Cela sig­ni­fie quoi ?
Cela sig­ni­fie que les plans
de ma « bataille » ne se lim­i­taient
pas au champ de la réal­ité
polon­aise, mais
qu’ils s’ingéraient
dans la pen­sée mon­di­ale
s’ex­p­ri­mant
dans l’art
(ce qui pas­sa sou­vent,
dans mon pays,
pour un manque de patri­o­tisme).
Au début déjà, j’é­tais
lié aux idées
de l’a­vant-garde rad­i­cale.
Le rad­i­cal­isme avait pour
moi le charme du risque,
les idées d’a­vant-garde étaient
uni­verselles, mon­di­ales,
dépas­saient les fron­tières et les des­tinées
des con­trées natales
.

Les idées bien définies de l’avant-garde
ne se référaient pas à une
dis­ci­pline, elles péné­traient
l’art tout entier, la poésie, la pein­ture,
la musique, le théâtre.
J’é­tais sen­si­bil­isé à la logique
du com­porte­ment artis­tique,
aus­si accor­dais-je
une grande impor­tance
à la sci­ence appro­fondie
de l’art, à la réflex­ion,
à la déf­i­ni­tion et à
la méth­ode.
C’est pourquoi je me com­por­tais
et je me com­porte
de façon très cri­tique
à l’égard des théâtres ou plutôt
des groupes théâ­traux qui appa­rais­sent
en si grand nom­bre ces dernières
décen­nies
et qui de manière
super­fi­cielle, pour l’ef­fet
pur,
sans engage­ment
de con­nais­sance
ont exploité
les grandes « décou­vertes »
du sur­réal­isme, du hap­pen­ing,
etc.
Je divulgue les détails de mon
atti­tude, qui sor­tent
des opin­ions reçues.
Les opin­ions reçues se révè­lent être,
d’or­di­naire, des préjugés.

Je con­tin­ue sur cette voie.
Dans la réal­ité de l’après-guerre
(décrite déjà en détail),
la con­di­tion et la posi­tion
des con­tes­tataires,
des dis­si­dents,
des émi­grés poli­tiques,
était presque vénérée.
Bien sûr, je les vénérais aus­si,
mais en même temps ces con­di­tions
m’é­taient |
étrangères.
Il me sem­blait
ridicule de con­sid­ér­er
mes idées
comme une con­tes­ta­tion
de ce bour­bier intel­lectuel, de tous
ces policiers

de la cul­ture et de la vie
humaine.
Le con­cept d’émigration
était con­traire à ma
nature de révolte, de protes­ta­tion,
à mon besoin de l’ex­is­tence d’un « mur »
con­tre lequel
je puisse me taper
la tête. Ce qui sig­nifi­ait pour moi
créer.
Je con­tin­ue.
La clan­des­tinité,
la con­ju­ra­tion,
cette ten­dance roman­tique
au « clan­des­tin »
et cet excès
dans l’appréciation
de l’activité clan­des­tine
me sem­blaient alors, hor­reur!,
arti­fi­ciels
en quelque sorte.
L’é­tat humain
naturel, c’é­tait
le con­tact avec le monde,
la volon­té de con­tact.
À tout prix.
Dans les années 50, j’ai peint
de très nom­breux tableaux
en étant con­scient que
je ne pour­rais pas Les expos­er.
Mais j’avais beau les pein­dre « pour moi »,
parce que je devais pein­dre,
pein­dre ain­si et pas
autrement,
je n’ai jamais tenu cela pour
«clan­des­tin ».
À tra­vers cette pein­ture,
j « entrais en con­tact »
avec le monde entier. Le monde libre.
Avec sa pen­sée et ses idées.
Je croy­ais qu’un temps viendrait
où mes tableaux seraient
con­tem­plés.
Quelle serait leur fonc­tion ?
À cette époque, je n’en étais guère
con­scient. Il suff­i­sait
qu’au moment où je les peignais
dans mon ate­lier clos,
ils me don­nent. la lib­erté.

Je veux par­venir à la vérité,
à sa couche la plus pro­fonde, à sa couche
brute,
en reje­tant, refu­sant
tous les
«orne­ments »
dont on veut
l’habiller, la revêtir, la par­er.

Je dois dire ouverte­ment
que cette néces­sité
de créer un théâtre
et une pein­ture
dif­férents
de la réal­ité
de ter­reur poli­tique et de sur­veil­lance
poli­cière
ne prove­nait pas chez moi
d’un sen­ti­ment d’oblig­a­tion
de créer
un Mou­ve­ment de Résis­tance
ni d’un quel­conque patri­o­tisme
ni d’un héroïsme de lutte
clan­des­tine.
Cette créa­tion d’une réal­ité
dif­férente,
autre,
dont la lib­erté n’est pas
lim­itée par les lois
d’un sys­tème
de vie,
cette créa­tion proche de
l’acte démi­urgique
ou du rêve, je crois
qu’elle est le but essen­tiel
du com­porte­ment en art.
Je reviens ain­si
obstiné­ment à ces ques­tions,
car je prévois
qu’à l’époque, qui se rap­proche,
du « print­emps des peu­ples »,
de lutte pour la lib­erté
poli­tique et sociale,
ce con­cept
de lib­erté suprême
qu’ex­ige
l’art

sera incom­préhen­si­ble
et peut-être même
jugé
inutile.
La lib­erté de l’art n’est
pas un cadeau
de la poli­tique ni du pou­voir.
Ce n’est pas des mains du pou­voir
que l’art reçoit
la lib­erté.
La lib­erté existe en nous,
nous devons com­bat­tre
pour la lib­erté avec nous-mêmes,
dans notre for intérieur
le plus intime,
dans la soli­tude
et la souf­france.
C’est la matière
la plus déli­cate qui soit.
La sphère de l’e­sprit.
C’est pourquoi
je ne me fie guère
aux théâtres
ni en général aux « com­porte­ments
artis­tiques » qui
sont apparus si nom­breux
en ces dernières années
de « dic­tature du pro­lé­tari­at »,
avec leur pro­gramme (d’a pri­ori)
de lutte pour la lib­erté poli­tique,
la lib­erté religieuse,
la lib­erté patri­o­tique.
C’é­tait encore pis si
sous ces mots d’or­dre on glis­sait
des pré­ten­tions d’a­vant-garde.

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#50
mai 2025

Kantor

24 Déc 1995 — vitale. Ainsi, à chaque instant, provoqués par Les mêmes actes, nos rires se mêlaient à nos sanglots et l’émerveillement à…

vitale. Ain­si, à chaque instant, provo­qués par Les mêmes actes, nos rires se mêlaient à nos san­glots et…

Par Jo Dekmine
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22 Déc 1995 — Naissance le 6 avril 1915 à Wielopole(province de Tarnow). 1933-1939Étudie la peinture et la scénographieà l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie(dans…

Nais­sance le 6 avril 1915 à Wielopole(province de Tarnow). 1933 – 1939Étudie la pein­ture et la scéno­gra­phieà l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie(dans l’ate­lier de Karol Frycz). 1938Monte, au Théâtre de Mar­i­on­nettesqu’il a fondé, LA MORT DE T’IN­TAG­ILES­de…

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