Douze chorégraphes : des mots, des gestes et des images
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Douze chorégraphes : des mots, des gestes et des images

José Besprosvany, Patrick Bonté, Michèle Anne De Mey, Olga de Soto, Nadine Ganase, Brigitte Kaquet, Gilles Monnart, Nicole Mossoux, Michèle Noiret, Mauro Paccagnella, Enzo Pezzella, Thierry Smits

Le 30 Mai 1996
NON HO TEMPO E SERVE TEMPO chorégraphie d’Enzo Pezzella Photo J.M. Bodson.
NON HO TEMPO E SERVE TEMPO chorégraphie d’Enzo Pezzella Photo J.M. Bodson.
NON HO TEMPO E SERVE TEMPO chorégraphie d’Enzo Pezzella Photo J.M. Bodson.
NON HO TEMPO E SERVE TEMPO chorégraphie d’Enzo Pezzella Photo J.M. Bodson.
Article publié pour le numéro
Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives ThéâtralesVitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
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Le 21 févri­er 1996, ont été réu­nis, à Charleroi, les choré­graphes dont des spec­ta­cles ont été copro­duits par le Cen­tre Choré­graphique de la Com­mu­nauté française de Bel­gique, depuis 1991. Le but était de con­fron­ter les choré­graphes-parte­naires de Charleroi/Danses au thème de la 3° Bien­nale inter­na­tionale de Charleroi : « Vitesse et mémoire ». La table ronde était ani­mée par Danièle Riv­ière, fon­da­trice et direc­trice des Edi­tions Dis Voir. 

DANIÈLE RIVIÈRE : La thé­ma­tique de la Bien­nale inter­na­tionale de Charleroi/Danses est, cette année, « Vitesse et mémoire ». Com­ment ces deux ter­mes inter­vi­en­nent-ils dans le proces­sus de créa­tion de vos spec­ta­cles ? Com­ment pour­riez-vous définir la gestuelle que vous utilisez par rap­port aux notions de mémoire et de vitesse ? Enfin, quel rap­port entretenez-vous, en tant que choré­graphes, à la mémoire — mémoire per­son­nelle, mémoire de la danse — et à la vitesse ?

Monica Marti, PULCINELLA, chorégraphie,  Photo Jorge León de Michèle Anne De Mey
Mon­i­ca Mar­ti, PULCINELLA, choré­gra­phie, Pho­to Jorge León de Michèle Anne De Mey

Michèle Anne De Mey : Je par­lerai avant tout de ligne de temps, de ligne de vie. Tout, dans mon tra­vail, a un rap­port avec cette ligne de temps ou de vie : où elle com­mence et où elle finit ; c’est cela le grand point d’interrogation. Je par­lerai donc plutôt d’une évo­lu­tion, comme dans le tra­jet d’une vie, où l’on recherche les mémoires de son corps, de son vécu, la mémoire de choses indéfiniss­ables que je n’ai pas for­cé­ment envie d’exprimer par le lan­gage par­lé. Par exem­ple, j’ai envie de pos­er le micro et j’ai envie de… (Michèle Anne pose le micro, se frappe le front du plat de la main droite, pose sa main sur ses lèvres, puis enroule ses mains l’une autour de l’autre dans un geste dirigé vers l’avant pour finale­ment les écarter dans un geste d’offrande. Une choré­gra­phie impro­visée des mains.) C’est une impro­vi­sa­tion, mais j’ai l’impression que c’est comme ça que je peux touch­er les autres et me faire com­pren­dre : ce sont mes moyens à moi. Dans mon tra­vail, j’improvise, puis je prends des déci­sions et je code, en essayant de savoir où je vais dans le cadre d’un pro­jet et de sa pro­pre néces­sité, en me référant à cer­taines influ­ences. Mais aus­si en ten­ant compte de mon désir, de mon plaisir et surtout d’un partage avec l’équipe avec laque­lle je tra­vaille, les inter­prètes, les scéno­graphes, un partage avec l’espace, avec un pub­lie déter­miné. Et surtout, j’essaie de ne pas trop par­ler et de pass­er la majeure par­tie du temps à faire une recherche sur le mou­ve­ment parce que c’est notre moyen à nous, choré­graphes, de touch­er les autres. 

José Bespros­vany : Pen­dant longtemps, je me suis acharné à penser à ce que je fai­sais, à lire beau­coup de livres et à avoir des théories très pré­cis­es sur chaque chose que je mon­trais sur la scène. Main­tenant, j’es­saie de réfléchir beau­coup moins et de plus tra­vailler sur l’intuition, donc il m’est dif­fi­cile de répon­dre à une ques­tion théorique. Si je suis choré­graphe, c’est avant tout parce que cela a un sens dans ma vie, et peut-être aus­si, c’est le seul vrai moyen que j’ai pour com­mu­ni­quer avec les autres. Quand par exem­ple mon père me dit : « Tu es Juif » ou bien mon passe­port me dit : « Tu es Mex­i­cain », cela n’a aucun sens pour moi. Par con­tre, quand je dis « Je suis choré­graphe », c’est tout à fait le con­traire. Un jour, en don­nant un stage, j’ai demandé aux gens qui y par­tic­i­paient de créer un rythme avec leur corps ou leur voix et de le jouer tous en même temps. Cela créait un univers con­fus où cha­cun se sen­tait seul, sans les autres. Ensuite, j’ai demandé à tout le monde de con­serv­er son matériel ini­tial, mais de le jouer dans un rythme que j’avais établi. La « mémoire » et la « vitesse » de cha­cun se ral­li­ait à la mienne et à celle des autres. Cette expéri­ence nous mon­tre la dif­férence entre la vie de tous les jours et le moment priv­ilégié où les gens se réu­nis­sent pour un événe­ment impor­tant : la fête prim­i­tive ou le spec­ta­cle. Quand je fab­rique des spec­ta­cles, je con­fronte ma mémoire et ma vitesse per­son­nelle à celle du pub­lic, en essayant de le touch­er dans ce que nous avons de sem­blable ou de partage­able.

Danièle Riv­ière : Cette néces­sité de présence et de partage avec un pub­lic, cela ren­voie au fait que la danse, le théâtre met­tent en valeur l’éphémère, notion qui dans notre cul­ture a tou­jours été jugée néga­tive.

Michèle Anne De Mey : Oui, comme toute représen­ta­tion, la danse est éphémère. La ques­tion est de savoir si on accepte cela ou non. Ces dernières années, avec le ciné­ma, puis la vidéo, il y a une ten­dance à vouloir mar­quer absol­u­ment son pas­sage dans le temps, à vouloir cod­i­fi­er les traces qu’on laisse. Mais cette ten­dance peut aller à con­tre-courant de cette générosité, cette impul­siv­ité prim­i­tives qui car­ac­térisent la danse dans ce qu’elle implique de notions de partage et de rit­uel.

Daniela Luca, HOMBRE ALADO chorégraphie de José Besprosvany Photo Jorge León
Daniela Luca, HOMBRE ALADO choré­gra­phie de José Bespros­vany Pho­to Jorge León

J’ai eu une dis­cus­sion à ce pro­pos, il y a peu de temps, avec les danseurs avec lesquels je tra­vaille et ils me dis­aient : « Ton spec­ta­cle, dans 50 ans, on pour­ra le refaire, il y a des sys­tèmes de nota­tions choré­graphiques qui exis­tent…» Moi, je répondais : « Non, non, tu ne le referas pas, tu referas une trace, tu retrou­veras un code, tu referas exis­ter quelque chose qui appar­tien­dra au moment même où tu le referas, à cet éphémère-là, mais tu ne referas pas la même chose. » Il y a cette volon­té actuelle de tout balis­er, tout enreg­istr­er. Est-ce que cela cor­re­spond à une crise de la pro­duc­tion ? La ques­tion pour nous, choré­graphes, est de savoir quel acte, quel mou­ve­ment éphémère nous pro­posons main­tenant, et dont la mémoire du spec­ta­teur est la garantie, ce qui ne veut pas dire que nous ne nous soucions pas des traces que nous pour­rions laiss­er. Si je devais com­par­er le choré­graphe à un pein­tre, le pein­tre est face à sa toile et peu importe le temps où sa toile sera vue F3. 15 ou partagée ; le moment où la toile existe pour lui, c’est le moment où il la fait. Sa toile exis­tera dans le temps d’une manière toute dif­férente de celle de la choré­gra­phie. La choré­gra­phie et le spec­ta­cle vivant se situent dans un moment pré­cis du temps, un temps de représen­ta­tion et de partage ; ils n’existent qu’en fonc­tion d’un espace choisi, du rassem­ble­ment d’un pub­lie, d’un con­texte de fête. Et dans tout groupe, il y a tou­jours un indi­vidu qui monte sur une scène, qui se met au cen­tre du cer­cle pour être vu par les autres, pour stim­uler la réflex­ion par rap­port à un fait de société. Nos spec­ta­cles s’inscrivent dans ce rap­port à l’éphémère, à la fête. Ce n’est finale­ment qu’après que se posent les ques­tions.

Danièle Riv­ière : Eh bien, posons par exem­ple la ques­tion du rôle de la mémoire dans le proces­sus de créa­tion d’un spec­ta­cle. Et quand je dis mémoire, je ne pense pas seule­ment à la mémoire sub­jec­tive, per­son­nelle, mais aus­si à la mémoire, com­ment dire, cul­turelle, dont notre gestuelle porte les mar­ques.

Enzo Pezzel­la : Pour nous, artistes étrangers, la mémoire est très impor­tante. Pour moi, le choré­graphe, et plus générale­ment l’artiste, est un témoin. Il accu­mule la mémoire et l’histoire et c’est en théâ­tral­isant cette mémoire ou cette his­toire qu’il la restitue au pub­lic. En tant qu’artiste étranger vivant dans un pays d’accueil, si je tra­vaille sur un geste de mon pays d’origine, un geste qui est peut-être en train de se per­dre, je le renou­velle pour le don­ner à regarder à des spec­ta­teurs d’une cul­ture dif­férente.

Je me réfère aus­si beau­coup dans mes choré­gra­phies aux gestes de la ville parce que la ville est le lieu par excel­lence où se joue le rap­port entre l’oubli et la mémoire. Je con­sid­ère l’oubli comme un défaut de com­mu­ni­ca­tion. La mémoire tisse sur ce défaut… La mémoire est comme une toile, comme la toile d’un pein­tre. On peut déchir­er la toile du pein­tre, ou la mémoire : on l’a fait dans les années 60, on aboutit alors à l’oubli, au trou noir. Mais l’artiste, en tant que témoin, ne fait rien d’autre que tiss­er cette toile de la mémoire, en théâ­tral­isant un geste par exem­ple, en le met­tant en espace dans une boîte noire pour le spec­ta­teur qui regarde.

Quand on théâ­tralise, on rit­u­alise. Rit­u­alis­er, c’est par exem­ple répéter quinze fois un mou­ve­ment, un enchaîne­ment pour qu’il entre dans une mémoire. C’est une manière de faire exis­ter le mou­ve­ment, l’enchaînement, de le ren­dre vis­i­ble, alors qu’à l’état isolé, il aurait échap­pé à la per­cep­tion. Cette rit­u­al­i­sa­tion a à voir avec la tech­nique et cette tech­nique de rit­u­al­i­sa­tion nous per­met de nous met­tre à dis­tance par rap­port au mou­ve­ment ou à l’enchaînement que nous pro­posons. Une mise à dis­tance qui est aus­si une garantie de lib­erté.

Olga de Soto : Avec À DESTIEMPO, mon dernier spec­ta­cle, j’ai abor­dé le thème de la mémoire, en matéri­al­isant sur une scène, à par­tir d’une gestuelle, mais aus­si en ayant recours aux inter­ven­tions par­lées et à l’écriture, ce proces­sus d’altération de la mémoire qui survient avec le temps. D’une part, le fait que nous réin­ter­pré­tons notre passé, donc notre mémoire en fonc­tion d’une sit­u­a­tion présente ; d’autre part, le fait qu’il arrive un moment où il y a des inter­ac­tions entre les mémoires des indi­vidus et que les sources des sou­venirs finis­sent par se con­fon­dre. Mon spec­ta­cle part d’une sit­u­a­tion où chaque sou­venir est asso­cié à un pro­tag­o­niste et à une action exé­cutée, pour aboutir à une sit­u­a­tion extrême­ment chao­tique où les sou­venirs des trois pro­tag­o­nistes finis­sent par se mêler, par être évo­qués simul­tané­ment, et par être dis­so­ciés des actions aux­quels ils cor­re­spondaient ini­tiale­ment.

Gilles Mon­nart : Pour par­ler d’un autre aspect de la mémoire, un musi­cien un jour me demandait : « Com­ment faites-vous pour vous sou­venir de tous ces trucs que vous faites sur scène ? Com­ment faites-vous, c’est incroy­able ». En fait je ne Le sais pas moi-même, mais quand j’en­tends ces mots, mémoire du corps, c’est ça que je com­prends en fait : pou­voir répéter des mou­ve­ments, sans y penser.

Michèle Noiret : Com­ment nous retenons les gestes ? Dans mon expéri­ence avec le com­pos­i­teur Karl­heinz Stock­hausen, je me suis trou­vée face à la dif­fi­culté de mémoris­er des poly­phonies de mou­ve­ments extrême­ment com­plex­es. Le corps était divisé en trois par­ties, avec pour cha­cune d’elles, trois ou qua­tre indi­ca­tions pré­cis­es : rythmes, hau­teur du son cor­re­spon­dant à la hau­teur du geste, ouver­ture et inten­sité du geste et accents.

Une fois la pre­mière, la deux­ième et la troisième par­tie appris­es séparé­ment, il m’é­tait impos­si­ble de les danser simul­tané­ment. Si je me con­cen­trais sur l’une, je n’arrivais pas à penser les deux autres. Je me trou­vais devant un réel prob­lème de mémoire. Com­ment se sou­venir de trois choré­gra­phies extrême­ment pré­cis­es et détail­lées, totale­ment dif­férentes tant par leur rythme, le mou­ve­ment que la direc­tion ?

Guy Vaizman Farooq Chaudry LES PLIS DE LA NUIT chorégraphie de Michèle Noiret Photos Aldo Piscina
Guy Vaiz­man Farooq Chaudry LES PLIS DE LA NUIT choré­gra­phie de Michèle Noiret Pho­tos Aldo Pisci­na
Martine Lunshof Celia Hope-Simpson LES PLIS DE LA NUIT
Mar­tine Lun­shof Celia Hope-Simp­son LES PLIS DE LA NUIT

Petit à petit, à force de répéti­tions extra­or­di­naires — en effet, pour un solo de neuf min­utes, il m’a fal­lu trois années avant d’arriver à exé­cuter env­i­ron deux tiers de ce qui fig­u­rait sur la par­ti­tion — le corps a dévelop­pé « une mémoire par­ti­c­ulière ». J’avais l’impression qu’une mul­ti­tude d’antennes, de fils cap­taient automa­tique­ment les par­ti­tions des trois instru­ments, et que mon rôle act­if était de rester le plus pos­si­ble à l’écoute de toutes ces infor­ma­tions et de guider mon corps pour qu’il les traduise.

C’est la seule expéri­ence où j’ai eu le sen­ti­ment d’être dans la musique, non pas avec la musique, ni dessus, ni con­tre, ni encore en décalage avec elle ; et en même temps, mes mou­ve­ments pro­dui­saient la musique que les musi­ciens autour de moi, sur scène, jouaient.

Michèle Anne De Mey, SOLO. Photo Marie-Françoise Plissart.
Michèle Anne De Mey, SOLO. Pho­to Marie-Françoise Plis­sart.

Danièle Riv­ière : Quand je par­lais tout à l’heure de mémoire cul­turelle, je pen­sais aus­si aux matéri­aux gestuels que nom­bre d’entre vous puisez non seule­ment dans l’histoire de la danse maïs aus­si dans la danse pop­u­laire ou les gestes de cha­cun d’entre nous, de la pub­lic­ité, de la mode, etc. Finale­ment, je pose à cha­cun d’entre vous la ques­tion du lan­gage gestuel. Com­ment le con­stru­isez-vous ?

Michèle Anne De Mey : S’il faut par­ler des points d’appui de mon tra­vail, je dois dire que ces points d’appui sont moins dans les divers élé­ments que j’u­tilise, que dans les con­nex­ions qui s’établissent entre ces élé­ments. Je fonc­tionne à par­tir de chaînes d’éléments et de rebondisse­ments de ces élé­ments. Très sou­vent la musique, la notion de rythme, est un point de départ qui fait directe­ment écho à une notion d’espace, à une notion de danse pop­u­laire… et ce sont ces réso­nances entre des apports dif­férents qui créent le spec­ta­cle ou la recherche, plus qu’un élé­ment pré­cis. Je suis une choré­graphe qui utilise très peu les sym­bol­es, je n’adhère pas beau­coup aux sym­bol­es, mais plus aux sug­ges­tions, à ce qui est entre les choses, à ce qu’il y a entre deux mou­ve­ments, entre deux éner­gies, à ce qu’il y a entre… Je ne suis pas une choré­graphe à vocab­u­laire écrit et pré­cis, je ne donne pas de cours etil n’y a pas d’écriture codée Michèle Anne De Mey. Et s’il faut par­ler des racines pop­u­laires, elles sont vieilles comme le monde. Par exem­ple, pour PULCINELLA, je suis par­tie de la tra­di­tion même du cer­cle, puisque toute la danse a com­mencé par le cer­cle. Dans ce cas-là, j’u­tilise le cer­cle fer­mé qui finit par s’ouvrir.

Michèle Noiret : Pour chaque spec­ta­cle, j’aime rechercher un lan­gage par­ti­c­uli­er au sujet que j’aborde. Pour TOLLUND, je cher­chais quelque chose d’extrêmement pré­cis, puisque je par­lais d’un homme mort il y a deux mille ans, sac­ri­fié aux dieux de l’époque. La gestuelle, le mou­ve­ment, l’état que je recher­chais devaient être par­ti­c­uliers à ce spec­ta­cle.

Bien sûr, d’un spec­ta­cle à l’autre, il y a des traces qui restent, une gestuelle du corps qui se façonne, mais, petit à petit, on doit con­tin­uer à évoluer, à s’enrichir au risque de racon­ter tou­jours la même chose avec son corps.

Pour TOLLUND, donc, la ques­tion était com­ment exprimer la mort. Pour AVNA, c’était la plongée dans un monde intérieur, avec un tra­vail sur l’ambiguïté, la fragilité, le dou­ble, la com­plic­ité de deux êtres, mais aucune « his­toire ». Pour L’ESPACE OBLIQUE, l’inspiration était poé­tique, pic­turale, etc.

À chaque fois il y a de nou­velles recherch­es qui se font suiv­ant le thème qui est abor­dé, et qui con­di­tion­nent la gestuelle, l’écriture et le rythme, toute l’atmosphère du spec­ta­cle. Le com­pos­i­teur, le plas­ti­cien, les artistes avec qui je tra­vaille influ­en­cent aus­si mon écri­t­ure choré­graphique.

Nadine Ganase : Mes choré­gra­phies sont rat­tachées à l’expression des sen­ti­ments. Et la forme de la choré­gra­phie est sub­or­don­née aux sen­ti­ments, aux émo­tions que je veux exprimer. J’ai fait un spec­ta­cle qui s’appelle TROUBLE AND DESIRE. Il y a dans ce spec­ta­cle une pièce choré­graphique sur une com­po­si­tion de Bar­tok. Je voulais y exprimer un mou­ve­ment de peur et de panique, donc j’ai tra­vail­lé la forme à par­tir de cette idée-là, de ce sen­ti­ment-là. Pour moi, à la base, il y a la mémoire d’une émo­tion ou d’un sen­ti­ment, le geste vient après. Et les émo­tions vien­nent d’une his­toire ; dans mes spec­ta­cles, je racon­te des his­toires.

Pour un autre spec­ta­cle, FALLING, je suis par­tie de ce qui nous influ­ence dans la vie quo­ti­di­enne : les médias, les actu­al­ités, l’image. C’é­tait ma réflex­ion de départ. Quand j’ai com­mencé à tra­vailler ce spec­ta­cle, c’était le début de la guerre en ex- Yougoslavie et j’ai choisi de par­ler des hommes qui par­tent à la guerre, ceci racon­té par cinq femmes. Avec ce spec­ta­cle, nous avons fait notre pro­pre jour­nal par­lé, et l’on pou­vait enten­dre de la poésie, ou de cour­tes his­toires, tout ce qu’on n’entend pas habituelle­ment dans les médias.

Bien sûr, quand je réalise un spec­ta­cle, je suis sujette à de nom­breuses influ­ences : des influ­ences de choré­graphes, de plas­ti­ciens, de philosophes. Je ne tra­vaille pas à par­tir d’une idée ; je tra­vaille à par­tir d’une his­toire que je choi­sis d’aborder. Et il arrive que dans la recherche de matériel textuel, je croise des philosophes. Pour FALLING par exem­ple, j’ai croisé une phrase de Michel Ser­res qui m’a fait me pos­er beau­coup de ques­tions et que j’ai trou­vée intéres­sante. Michel Ser­res dit : « Le temps est plié, chif­fon­né, jamais linéaire ». Cette phrase m’a influ­encée dans les mis­es en scène de FALLING et TROUBLE AND DESIRE : j’y ai conçu plusieurs actions simul­tané­ment, parce que je crois que la vie est comme ça : il n’y a pas une action après l’autre, il y a des actions qui exis­tent simul­tané­ment et qui ont des valeurs dif­férentes. Ce sont ces rela­tions entre les actions simul­tanées qui m’intéressent, le « entre », et j’in­vite le spec­ta­teur à choisir où pos­er son regard ou son écoute, parce qu’il y a de la musique, du texte, du corps, du mou­ve­ment, de l’action. Je l’invite à voy­ager.

Brigitte Kaquet : D’abord, je dois dire que je ne suis pas choré­graphe, je suis dra­maturge, je suis ici parce que j’ai fait un spec­ta­cle de théâtre-danse et j’ai tra­vail­lé avec une choré­graphe qui a assuré la « mise en mou­ve­ment » du spec­ta­cle.

La pre­mière ques­tion qui se pose à moi c’est : pourquoi choisir tel thème ? Mon dernier spec­ta­cle par­lait de Dio­gène : un philosophe grec cynique du IV : siè­cle avant Jésus Christ. Ma ques­tion était : com­ment relire Dio­gène dans une vision du monde actuelle ?

Toute la dif­fi­culté du théâtre-danse vu du point de vue de celui qui part du théâtre et non de la danse, c’est de savoir com­ment rompre la linéar­ité tout en con­sol­i­dant le sens. Si l’on reprend l’histoire du théâtre, dans les années 60, Le Liv­ing, les hap­pen­ings, Gro­tows­ki, etc. ont rompu avec la linéar­ité du réc­it. Et nous, gens de théâtre, que faisons nous de cela aujourd’hui ? Revenons nous à des his­toires linéaires — ce qui est le cas la plu­part du temps — ou bien réus­sis­sons-nous à opér­er une rup­ture du réc­it ? Et dans ce dernier cas, com­ment faire pour que la représen­ta­tion ne soit pas frag­men­tée, explosée, et pour qu’il y ait une unité d’espace et de temps ? Le lan­gage par­lé est for­cé­ment linéaire dans son écoule­ment. Quand on ajoute de la musique, on peut créer des vitesses par­al­lèles, mais il faut être atten­tif à ne pas brouiller le sens. La ques­tion qui me préoc­cupe actuelle­ment est de savoir com­ment pass­er de cette chose rigide qu’est la linéar­ité de l’histoire à cette autre vision plus éclatée sans que le sens soit brouil­lé, frag­men­té. Dans le con­texte du monde actuel qui est par­ti­c­ulière­ment chao­tique, j’avais vrai­ment envie de don­ner une autre vision. Et en ce qui con­cerne la vision du corps que je veux don­ner, j’accorde une impor­tance extrême au métis­sage. Dans DIOGCÈNE, les sept acteurs­danseurs étaient presque tous d’origine et de couleur de peau dif­férentes, et je sen­tais qu’à côté de toute la par­tie écrite, que j’avais raison­née au niveau du con­tenu, qui était la relec­ture du philosophe Dio­gène, un autre sens a sur­gi vrai­ment de lui-même, sim­ple­ment de la couleur de peau des acteurs qui étaient sur la scène. Et ça, finale­ment, c’é­tait devenu la chose la plus impor­tante, parce que ça don­nait vrai­ment une vision du monde actuel.

Danièle Riv­ière : Mau­ro Paccagnel­la, la référence dans votre tra­vail porte plus sur le music-hall que sur le théâtre. Votre espace de présen­ta­tion, je l’ai plus asso­cié à une scène de music-hall…

Mau­ro Paccagnel­la : Oui, il y a des références au music-hall dans nos spec­ta­cles. Je trou­ve que c’est une forme de com­mu­ni­ca­tion directe. Il y a un plaisir, une forme comique qu’on aime dans le music-hall. Mais nos inspi­ra­tions sont mul­ti­ples : ça peut être la danse afro aus­si bien que la danse de music-hall.

En fait, l’objectif est de créer une bande dess­inée tridi­men­sion­nelle. Nous ne sommes pas des puristes de la danse. Nous sommes les seuls ici à utilis­er en per­ma­nence des images dans notre tra­vail. Nous ne savons plus si nous faisons par­tie de l’image ou si l’image fait par­tie de nous. Nous pen­sons plutôt en ter­mes de graphisme, un graphisme dont nous seri­ons les instru­ments. Nos créa­tions sont à com­par­er à un voy­age à par­tir d’un espace vide, au départ, une feuille blanche, et notre voy­age con­siste à créer l’espace, à rem­plir la feuille blanche.

Nous tra­vail­lons avec un graphiste. Nos spec­ta­cles cor­re­spon­dent à la fusion de trois mon­des dif­férents qui s’annulent pour créer quelque chose de nou­veau, une nou­velle forme. C’est comme si nos mémoires s’annulaient pour être mis­es à la dis­po­si­tion d’un spec­ta­cle.

On a par­lé de vitesse, mais pas de la vitesse de créa­tion. Nous tra­vail­lons vite, pour des raisons économiques prin­ci­pale­ment, et cette vitesse de créa­tion a cer­taine­ment une influ­ence sur le résul­tat final de nos spec­ta­cles, sur leur rythme. Je voudrais par­ler de la créa­tion comme d’un trip, un voy­age que l’on vit à fond pen­dant trois mois et qui focalise toutes nos éner­gies. L’acte créatif, pour moi, cor­re­spond quelque part à une perte.

Patrick Bon­té : Pour revenir aux deux pre­miers ter­mes du débat, je crois qu’on a tous, d’une manière ou d’une autre (du moins c’est notre cas), un rap­port négatif à la vitesse et plutôt dynamique à la mémoire. Face à l’accélération con­stante qui nous dépos­sède de nous-mêmes, au rythme qui nous est imposé par les médias, mais aus­si face à la façon dont on innerve ce rythme, dont on le régur­gite dans notre vie quo­ti­di­enne sans s’en ren­dre compte, on a au fond deux atti­tudes : d’une part, être les témoins de ce rythme et laiss­er pass­er dans nos spec­ta­cles une sorte d’emballement, en démonir­er l’absurde en quelque sorte, mon­tr­er que ce rythme est vide, qu’il tra­vaille sur des défis qui sont vidés de leur sens et de leur sub­stance. Il y aurait ain­si une voie qui serait une espèce de ren­voi en miroir de la vitesse imposée ;et d’autre part, une autre voie con­sis­terait au con­traire à résis­ter à cela, affirmer qu’il y a d’autres chemins qui sont peut-être plus essen­tiels, qui dis­ent une chose plus impor­tante de nous-mêmes. Peut-être y a‑t-il ici une sorte de désoc­cul­ta­tion à faire vis-à-vis de soi, pour se ren­dre le plus libre pos­si­ble.

Dans les spec­ta­cles que Nicole et moi réal­isons ensem­ble, on est au fond sou­vent par­ti, on se l’est avoué pro­gres­sive­ment, d’états que l’on dit de « mort », comme si nous avions dépassé, ou pas atteint, un rap­port d’évidence à l’existence et qu’on devait se sou­venir, en étant sur scène, de ce qui nous avait com­posés « avant », et comme si nous fai­sions jouer cela dans un rap­port très con­cret entre les per­son­nes.

Nicole Mossoux, TWIN HOUSES. Photos M. Wajnrych.
Nicole Mossoux, TWIN HOUSES. Pho­tos M. Wajn­rych.

Il y a ce désir de faire par­ler le « mort » en soi, de faire par­ler son autre qui est peut-être plus intime (et aus­si plus vrai) que celui qu’on laisse s’exprimer dans le con­tact quo­ti­di­en,
de faire par­ler une sorte de per­son­ne par­al­lèle, et il y a aus­si ce con­stat que met­tre en scène ce bloc de mort qui est en nous, faire par­ler la mémoire d’une « vie antérieure » est peut-être plus sig­nifi­ant quant à la vie essen­tielle qu’une expres­sion psy­chologique ou un codage gestuel préétabli. Cer­taine­ment, cet état de « mort » nous per­met de vivre les choses en dehors du temps réel, dans un temps où on se sou­vient de sit­u­a­tions qu’on a déjà vécues et qu’il s’agit de retrou­ver. Tout un pan du tra­vail con­siste à essay­er de retrou­ver ce qui nous com­pose à tra­vers cette forme d’absence qui est para­doxale­ment très présente. La résis­tance que nos spec­ta­cles opposent à un rythme rapi­de, à une frag­men­ta­tion inévitable, nous pou­vons l’analyser, mais au fond elle appa­raît de manière très naturelle, non réfléchie.

Nicole Mossoux, TWIN HOUSES. Photos M. Wajnrych.
Nicole Mossoux, TWIN HOUSES. Pho­tos M. Wajn­rych.

Mais il y a l’envie, c’est évi­dent, de résis­ter à l’accélération du monde, le désir qu’on a depuis le départ d’in­tro­duire — et je pense qu’on le fait tous, d’une manière ou d’une autre — d’in­tro­duire la com­plex­ité dans le mou­ve­ment, de se dire que le corps peut être divisé en deux rythmes iné­gaux qui pren­nent en charge des moti­va­tions et con­tra­dic­tions que nous auri­ons dans l’existence même. Dans SIMULATION, le bas du corps était dans le rythme du new beat, une danse ryth­mique con­stante, et le haut du corps au con­traire dis­ait plus l’in­tim­ité, dis­ait des choses qui étaient pro­pres à la per­son­ne et qui con­tre­di­s­aient ce rythme répéti­tif, mani­aque, du bas. Mais nous vivons aus­si dans le rythme du bas. Il s’agissait donc de laiss­er par­ler les deux et de mon­tr­er le com­bat, la con­tra­dic­tion qu’il pou­vait y avoir à l’intérieur même du mou­ve­ment.

TROUBLE AND DESIRE Chorégraphie de Nadine Ganase
TROUBLE AND DESIRE Choré­gra­phie de Nadine Ganase

Dans nos travaux, l’image tient aus­si un grand rôle, dans la mesure où la nar­ra­tion du spec­ta­cle passe par la prise en compte de l’image, c’est-à-dire que l’image racon­te autant les choses que le mou­ve­ment. Le rythme du danseur ou de l’acteur se façonne au rythme de l’image qui impose des rup­tures, des accéléra­tions, des immo­bil­ités, une lenteur par­fois, des redé­mar­rages abrupts, à la manière dont, à l’intérieur d’un tableau, se déploie toute la palette des rythmes, des couleurs, de la com­po­si­tion.

Bien sûr, la mémoire est notre tis­su fan­tas­ma­tique fon­da­men­tal, c’est d’elle qu’on part tou­jours. C’est en elle que se con­stitue l’imaginaire, c’est en elle que repose notre cul­ture. Nous vivons une époque où il est extrême­ment impor­tant d’en tenir compte pour résis­ter au temps réel, à tout ce qu’on vit dans l’immédiat et qui inter­dit la dis­tance, qui inter­dit de pren­dre du recul de l’analyse. Nous voulons mon­tr­er un rythme qui n’est pas celui qu’on nous impose, défendre notre rythme pro­pre et affirmer qu’il est impor­tant de lut­ter con­tre la dic­tature du temps réel.

Dans les deux films que nous avons faits, une chose nous a frap­pés a pos­te­ri­ori, c’est l’importance du plan-séquence qui s’est révélé comme une pierre angu­laire de la manière de racon­ter l’histoire. Pourquoi la caméra se refu­sait-elle à cer­tains découpages, champ, con­tre-champ, action-réac­tion ? Je pense que c’é­tait une manière involon­taire de dire que nous refu­sons Le temps rapi­de, la frag­men­ta­tion. Il est cer­tain qu’il n’y a qu’une manière de l’éviter : en struc­turant très fort, en don­nant à voir l’unité de l’œuvre à tra­vers l’unité de l’écriture, l’unité de la struc­ture du lan­gage. Le plan-séquence est peut-être aus­si venu du fait que nous étions inca­pables de renon­cer à la frontal­ité des spec­ta­cles. Mais sans doute aus­si y avait-il un désir de ne pas découper l’action, de laiss­er le monde entr­er dans l’image, sor­tir de l’image sans qu’il y ait une volon­té de frag­men­ta­tion de notre part, sans qu’il y ait une intru­sion ryth­mique qui nous ferait dévi­er de notre pro­pos.

Nadine Ganase : Pour moi, le temps est posé par l’histoire que je vais racon­ter, car chaque his­toire a son temps. Dans FALLING, j’ai procédé par le zap­ping ou le switch pour créer une rapid­ité, un ver­tige, ce sen­ti­ment de perte, que je ressens quand je suis bom­bardée par les médias, noyée par les infor­ma­tions. Dans TROUBLE AND DESIRE, il s’agit d’un autre temps. TROUBLE AND DESIRE est une his­toire d’attente dans un hall d’aéroport. J’ai donc étiré le temps pour cepen­dant le con­denser à cer­tains moments, notam­ment dans la choré­gra­phie sur la musique de Bar­tok, où il s’agissait d’exprimer une onde de peur et de panique qui se propage dans l’espace.

Thier­ry Smits : Je dois m’en aller donc je vais très vite égren­er quelques idées par rap­port à ce qui a été dit. Par rap­port à la vitesse, je pense au vieil­lisse­ment et pour la danse, le terme vieil­lisse­ment est très adéquat parce que quand on voit les choses qui ont été faites, par exem­ple il y a à peine dix ans, quand on voit les images de spec­ta­cles de ce temps-là, j’ai tou­jours l’impression que ça a très, très vite vieil­li. Extrême­ment vite.

Par rap­port à la ges­tion du temps, je pense que ces dernières années, dans ce qu’on a appelé la danse con­tem­po­raine, la lenteur était à la mode… Pour moi la lenteur est sou­vent syn­onyme d’ennui et donc je m’oppose à cette lenteur. Je pense que la divi­sion du temps en sec­on­des est plus intéres­sante.

La notion de métis­sage que Brigitte Kaquet a employée est très impor­tante : selon moi, c’est la seule notion qui reflète la moder­nité actuelle. Au niveau des codes, je voulais dire que j’adore les codes qui ont été util­isés et qui seront encore tou­jours util­isés dans les cabarets, dans les arts pop­u­laires. Je préfère sub­limer le quo­ti­di­en plutôt que le représen­ter sur scène.

Enfin, par rap­port à la ver­ti­cal­ité, je crois que c’est un prob­lème tech­nique, je crois que c’est plus facile de se traîn­er par terre que de rester sur deux jambes. Au revoir!!!

Nicole Mossoux : Pour en revenir au corps mul­ti­ple, aux dif­férentes strates du temps que vit simul­tané­ment l’in­ter­prète, il me sem­ble que celles-ci pro­curent bizarrement un grand sen­ti­ment d’unité. Si par exem­ple le bas du corps est dans un rythme rapi­de, le haut bougeant plus lente­ment, et les mains de façon sac­cadée, toutes ces tem­po­ral­ités ont besoin, pour coex­is­ter, d’être cen­tral­isées : c’est comme si un cen­tre tenait des fils au bout desquels évolu­ent des cerfs-volants pris dans des courants de vents dif­férents.

En reprenant une scène du CRANACH, scène dif­fi­cile à plac­er dans le temps de la musique, on s’est ren­du compte que c’est l’étirement de l’action qui lui don­nait force, et non l’action elle-même. Cette scène mon­tre un per­son­nage, « l’Ange à l’épée » qui tente de décapiter « Sainte Tête ». Le doute, l’hésitation de l’Ange, à peine sug­gérés, pas démon­trés donc, s’exprimant par des sortes de vides, de sus­pen­sions, créent un étire­ment anor­mal du temps, coupent le cours de l’action, et nous lais­sent pressen­tir ce qui se passe der­rière, « dans la tête » de l’Ange. C’est dans ces gouf­fres, ces per­tur­ba­tions du temps que la scène à la fois s’éveille et trou­ve sa pro­fondeur.

Patrick Bon­té : Pour repar­ler de cette lenteur des spec­ta­cles qui agace cer­tains : si on accède à l’unité de l’œuvre, c’est que fond et forme ne se dis­so­cient plus. À par­tir du moment où une forme éblouis­sante masque un manque d’idées, on n’évite pas la vul­gar­ité ou l’ennui. L’ennui ne résulte-t-il pas aus­si du fait que le créa­teur ne se met pas en ques­tion lui-même à l’intérieur de sa pro­pre forme ? S’il accepte la lenteur comme un code con­venu qu’il utilise du début à La fin, en effet, il n’y a pas de ques­tion­nement et de con­tra­dic­tions internes.

Sarah Lawrey, Donald Weikert 2, chorégraphie d’Edouard Lock La La La Human Steps Photo Edouard Lock
Sarah Lawrey, Don­ald Weik­ert 2, choré­gra­phie d’Edouard Lock La La La Human Steps Pho­to Edouard Lock

Quant à la vitesse et à la perte et la dis­per­sion qu’elle nous fait éprou­ver, quant au ralen­ti et au cliché auquel il peut cor­re­spon­dre, la dynamique qui serait la plus intéres­sante serait de créer des rup­tures par rap­port à la vitesse comme à la lenteur, des dis­con­ti­nu­ités de tim­ing, de tem­po, de créer des béances. C’est peut-être aujourd’hui une manière de don­ner à voir l’invisible : intro­duire des frac­tures là où on ne les attend pas, des déra­pages lorsque la route sem­ble plane, tra­vailler les failles, l’étrange, l’inattendu…

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dans le numéro
Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
#51
mai 2025

Danse, vitesse et mémoire

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Par Berrnard Degroote
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29 Mai 1996 — «.…Défaire notre réel sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes; découvrir des positions inouïes du sujet dans l’énonciation, déplacer sa topologie;…

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Par Andrée Martin
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