Transmettre la mémoire de la structure de l’œuvre
Entretien

Transmettre la mémoire de la structure de l’œuvre

Entretien avec Angelin Preljocaj

Le 22 Mai 1996
Bérengère Chasseray PETIT ESSAI SUR LE TEMPS QUI PASSE chorégraphie d’Angelin Preljocaj Photo Cathy Peylan
Bérengère Chasseray PETIT ESSAI SUR LE TEMPS QUI PASSE chorégraphie d’Angelin Preljocaj Photo Cathy Peylan
Bérengère Chasseray PETIT ESSAI SUR LE TEMPS QUI PASSE chorégraphie d’Angelin Preljocaj Photo Cathy Peylan
Bérengère Chasseray PETIT ESSAI SUR LE TEMPS QUI PASSE chorégraphie d’Angelin Preljocaj Photo Cathy Peylan
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Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives ThéâtralesVitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
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BERNARD DEGROOTE : Vous avez une manière par­ti­c­ulière de vous inscrire par rap­port à la mémoire, en accor­dant de l’importance à la nota­tion choré­graphique. La nota­tion est-elle la pre­mière étape du proces­sus de tra­vail ou inter­vient-elle après la con­struc­tion du mou­ve­ment avec les danseurs ? 

Angelin Preljo­caj : Elle vient en fin de par­cours. Elle est là comme un instru­ment de stock­age d’informations.

B. D.: Pourquoi la nota­tion choré­graphique plutôt que la mémori­sa­tion par la vidéo par exem­ple ? 

A. P.: Parce que je con­sid­ère que la vidéo n’est pas la mémoire d’une choré­gra­phie, mais la mémoire d’une inter­pré­ta­tion. Quand les danseurs étu­di­ent le mou­ve­ment à par­tir d’une nota­tion, ce qu’ils appren­nent, c’est le matéri­au. S’ils essaient de recon­stituer le mou­ve­ment à par­tir de la vidéo, ils n’arrivent pas à faire la part de l’interprétation du danseur et de la choré­gra­phie. Et cela, c’est un grand prob­lème pour la trans­mis­sion. 

B. D.: La nota­tion choré­graphique est-elle une manière d’échapper au car­ac­tère éphémère du spec­ta­cle vivant ou s’agit-il unique­ment d’un instru­ment de tra­vail ? 

A. P.: C’est surtout un instru­ment de tra­vail, au même titre que les ordi­na­teurs pour les ser­vices tech­niques de bal­let. C’est un out­il pour les choré­graphes, pour les danseurs, pour une com­pag­nie de bal­let qui a des con­traintes de répéti­tions rapi­des, qui doivent être cohérentes, effi­caces, sim­ples. Il y a quelque chose de l’ordre de la trans­mis­sion directe. C’est une cour­roie de trans­mis­sion. 

B. D.: Et avec les danseurs, vous tra­vaillez sur base d’improvisations ?

A. P.: C’est un peu plus com­plexe. En général, quand je tra­vaille sur un thème, je com­mence par quelques semaines d’improvisations avec les danseurs, mais je les utilise rarement telles quelles dans le spec­ta­cle. Après les séances d’improvisations, je com­mence à tra­vailler. C’est comme si j’allais voir les impro­vi­sa­tions en spec­ta­teur, et ensuite, chargé de tout ça, je com­mence à tra­vailler une gestuelle sur mon pro­pre corps. Con­sciem­ment ou incon­sciem­ment, tout ce que j’ai vu est passé dans ma mémoire, dans mon cerveau, ma sen­si­bil­ité, et ressort ensuite, retraité, dans le spec­ta­cle. 

B. D. : Comme si vous util­isiez les danseurs comme des pro­longe­ments de votre pro­pre corps ? 

A. P.: Oui, c’est ça, et c’est aus­si une manière d’évacuer des choses que je ne veux pas voir et que je ne veux pas faire dans mes spec­ta­cles. C’est-à-dire que pen­dant les péri­odes d’improvisations, appa­raît aus­si tout ce que je ne veux pas. Les péri­odes d’improvisations sont un moment impor­tant de réflex­ion artis­tique. Et après, je peux com­mencer à tra­vailler. Alors ressor­tent ou ne ressor­tent pas des choses qui sont arrivées lors des impro­vi­sa­tions, mais elles m’auront mené vers un proces­sus de créa­tion. 

B. D.: L’ANOURE, un de vos derniers spec­ta­cles, a été créé en col­lab­o­ra­tion avec un écrivain, Pas­cal Quig­nard. Il y avait donc un texte, et même un livret. Ÿ a‑t-il eu de votre part la volon­té de faire se con­fron­ter plusieurs types d’écriture ? 

A. P.: Absol­u­ment. Ce que j’aimais, c’était de voir com­ment on pou­vait entremêler, entrelac­er les élé­ments de manière à par­venir à une nou­velle tex­ture. Comme si la lit­téra­ture, la musique, la choré­gra­phie, la lumière et Le décor pou­vaient être mêlés à un tel point que l’ensemble pro­duise une matière nou­velle. 

B. D.: Com­ment s’est organ­isée la con­fronta­tion dans ce spec­ta­cle par­ti­c­uli­er ? 

A. P.: J’ai demandé à Pas­cal Quig­nard d’écrire une nou­velle. Puis, j’ai com­mencé à tra­vailler choré­graphique­ment. Ensuite, nous nous sommes vus, le musi­cien, l’écrivain et moi-même, et nous avons fait un syn­op­sis com­mun, en plusieurs séquences, à par­tir duquel nous avons cha­cun retra­vail­lé séparé­ment. Nous avons remis les choses ensem­ble à nou­veau et nous avons fait en sorte que les trois apports s’interpénètrent. 

B. D.: La nota­tion choré­graphique, c’est aus­si une manière de faire dur­er les choses. Com­ment vous situez-vous par rap­port à l’éphémère de la représen­ta­tion choré­graphique, à cette idée de fête, de rassem­ble­ment à un moment pré­cis dans un espace pré­cis, qu’il est impos­si­ble de repro­duire 

A. P.: On dit beau­coup cela à pro­pos de la danse, et on en par­le très peu par rap­port à la musique, alors que finale­ment, c’est la même chose. Qu’est-ce que don­ner une par­ti­tion à un musi­cien ? C’est lui don­ner la struc­ture, ce qui reste de l’œuvre. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on est devant l’œuvre. Ensuite, l’œuvre, il faut la faire vivre. Et c’est le rôle de l’interprète, du danseur, de don­ner chair à l’œuvre, de don­ner son inter­pré­ta­tion et de don­ner donc corps à cette struc­ture. Alors évidem­ment, quand on est dans le spec­ta­cle vivant, il faut chaque fois recom­mencer. Et c’est très bien que ce soit tou­jours dif­férent. Ce que j’aime dans la nota­tion, c’est cette grande lib­erté qu’elle apporte à l’in­ter­prète. Comme je vous le dis­ais au départ, l’interprète n’est pas en charge de l’image de son prédécesseur. Il est juste en charge de la struc­ture de l’œuvre et tout le reste, c’est lui qui l’apporte, en cor­réla­tion avec le choré­graphe, le directeur artis­tique. Je crois qu’il y a autant de ver­sions d’une œuvre qu’il y a d’interprétations et ça, c’est for­mi­da­ble. 

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Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
#51
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Danse, vitesse et mémoire

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