Une architecture de l’immatériel

Une architecture de l’immatériel

Entretien, via l’Internet, avec Elizabeth Diller et Ricardo Scofidio

Le 20 Mai 1996

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Vitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives ThéâtralesVitesse, Danse et mémoire-Couverture du Numéro 51 d'Alternatives Théâtrales
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BERNARD DEGROOTE : Votre tra­vail d’artistes/architectes a à voir prin­ci­pale­ment avec la représen­ta­tion médi­atisée (par le biais de la vidéo, des sys­tèmes inter­ac­t­ifs, etc.) Com­ment avez-vous vécu la ren­con­tre de votre préoc­cu­pa­tion pour le « médi­atisé » avec le spec­ta­cle vivant qu’est la choré­gra­phie, lors de votre col­lab­o­ra­tion avec Frédéric Fla­mand pour la créa­tion de MOVING TARGET ? 

Eliz­a­beth Diller et Ricar­do Scofidio : Le « live » est l’un des derniers bas­tions à béné­fici­er d’une cer­taine aura dans la cul­ture post­mod­erne — voir l’événement au moment pré­cis où il a lieu. La télévi­sion en direct, comme par exem­ple la retrans­mis­sion d’un match de foot­ball ou de la guerre du Golfe, rassem­ble un pub­lic, en temps réel, en une sorte de com­mu­nion élec­tron­ique. Le pub­lic de théâtre assiste à une représen­ta­tion de spec­ta­cle vivant pour être con­fron­té à un événe­ment unique, qui ne peut se répéter dans le temps et l’espace — ceci cor­re­spond peut-être au besoin nos­tal­gique de retrou­ver une expéri­ence « publique » qui a été aban­don­née aux médias. Le terme « médi­atisé » est typ­ique­ment con­sid­éré comme étant d’un statut inférieur à celui de « vivant », parce qu’il opère la sépa­ra­tion entre le spec­ta­teur et l’évènement. 

Le défi, en tra­vail­lant dans le cadre d’une représen­ta­tion choré­graphique qui reprend à son compte les attentes du pub­lic de théâtre par rap­port au spec­ta­cle vivant, est de créer des inter­férences dans la per­cep­tion spa­tiale et tem­porelle de l’événement vivant, de « taquin­er » les dis­tinc­tions faites entre le « vivant » et le « médi­atisé », de saper l’autorité que l’expérience vivante peut avoir sur l’expérience médi­atisée, de révéler le théâtre comme une autre expéri­ence « médi­atisée » et de per­turber le type de per­cep­tion com­muné­ment admise par le pub­lic de théâtre ou de danse. 

B. D.: Quelle scéno­gra­phie avez-vous conçue pour MOVING TARGET pour ren­con­tr­er votre des­sein ?

E. D. et R. S.: Dans le théâtre d’illusion tra­di­tion­nel, le prosce­ni­um séparait l’espace nar­ratif de la scène de l’aire du pub­lic. Nous avons conçu la scéno­gra­phie de MOVING TARGET comme un « inter­sce­ni­um » — un dis­posi­tif qui opère une rup­ture dans l’espace scénique et qui inter­fère avec la vision frontale et glob­al­isante du spec­ta­teur. 

L’élé­ment prin­ci­pal du dis­posi­tif est un miroir semi-trans­par­ent, incliné à 45° au-dessus de la scène. Les danseurs peu­vent, grâce à lui, être dégagés des con­traintes de la grav­ité et libérés de l’horizontalité de la scène. Le miroir peut égale­ment, en com­bi­nai­son avec la trans­mis­sion d’une image vidéo, dis­pos­er les corps des danseurs en fonc­tion des principes de la vidéo, plutôt que de ceux de l’espace tel qu’il est vécu quo­ti­di­en­nement. De la même façon, les danseurs faisant face au miroir, et les danseurs éclairés appa­rais­sant en trans­parence der­rière le miroir, peu­vent coex­is­ter avec des corps trans­mis en vidéo à l’intérieur d’un espace hybride. 

B. D.: Vous êtes très con­cernés par la mul­ti­tem­po­ral­ité. Dans MOVING TARGET, opposez-vous la tem­po­ral­ité du « médi­atisé » à la tem­po­ral­ité du « vivant » ? Y a‑t-il un moment dans la représen­ta­tion où ces dif­férentes tem­po­ral­ités peu­vent se ren­con­tr­er ? 

E. D. et R. S.: Encore une fois, nous avons essayé de fusion­ner les deux modes tem­porels plutôt que de les oppos­er. Nous avons tra­vail­lé avec Frédéric Fla­mand à la pro­duc­tion d’une struc­ture tem­porelle alter­na­tive. Le spec­ta­cle est une représen­ta­tion con­tin­ue « inter­rompue » par une série de spots pub­lic­i­taires ; les « spots » jouent le rôle de cas­sures qua­si­psy­cho­tiques dans le déroule­ment de la choré­gra­phie. Ils sont cen­sés faire se con­fon­dre le pub­lic de théâtre avec un pub­lic de télévi­sion. Cinq spots dévelop­pent une cam­pagne pub­lic­i­taire pour « Nor­mal Phar­ma­ceu­ti­cals », une gamme de pro­duits phar­ma­ceu­tiques util­isés en vue de la nor­mal­i­sa­tion dans une cul­ture post-psy­chothérapique. Chaque spot prend en charge une patholo­gie par­ti­c­ulière — toutes relèvent de la quo­ti­di­en­neté —, des patholo­gies qui para­doxale­ment sont pro­duites et ren­for­cées par le média lui-même. 

En col­lab­o­ra­tion avec la Kun­sthochschule für Medi­en de Cologne, nous avons injec­té dans la représen­ta­tion une série d’images traitées par les nou­velles tech­nolo­gies. Les danseurs, traités par le procédé du mor­ph­ing par [var Smes­tad, parta­gent un espace com­mun impos­si­ble avec les danseurs virtuels reflétés dans le miroir et les danseurs-fan­tômes qui y appa­rais­sent en trans­parence. Les danseurs de Smes­tad, cepen­dant, sont pré-enreg­istrés, ce qui per­met à leurs mou­ve­ments d’être « assistés », d’acquérir une hyper vir­tu­osité. 

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