LE BRUIT COURUT très vite à Paris. Ariane Mnouchkine faisait un stage au Soleil, le premier depuis près de quatre ans. Le bruit courut d’abord auprès de 2000 destinataires des lettres envoyées par le Théâtre du Soleil, 2 000 personnes qui écrivirent au Théâtre à un moment ou à un autre au Cours de ces dernières années pris du désir de mieux connaître le Soleil et d’y travailler. Les 2 000 lettres partirent donc pour indiquer que du 1er au 13 juin, Ariane Mnouchkine ferait un stage et que des entrevues et pré-stages seraient mis en place pour opérer une sélection. Des 2 000 personnes contactées, 1286 vinrent, 981 sélectionnées en entrevues, 240 furent retenues en fin de parcours.
Pendant près d’un mois et demi sans interruption, du matin au soir, Myriam Azenco, actrice au Soleil et Sophie Moscoso, assistante d’Ariane interrogèrent les différents candidats essayant de déceler, derrière Les réponses données, le sérieux des intentions. Certains furent retenus, d’autres refusés. Pour ceux qui eurent le bonheur de passer à travers cette première sélection, un pré-stage avec Mnouchkine devait opérer une seconde sélection. Par groupes de 80, ils furent appelés durant une journée à faire des improvisations sous l’œil attentif d’Ariane qui travailla avec eux, tentant de percevoir au travers de ces ébauches une promesse d’un acteur en puissance qu’elle pourrait retenir pour le stage lui-même. Chaque soir le couperet tomba. Les deux tiers furent remerciés. Les autres se sentirent provisoirement sauvés. Ariane répéta près de 15 jours l’exercice. Le lundi 2 juin, premier jour du stage, près de 300 personnes se pressaient donc dans la Cartoucherie. 300 personnes de près de 30 pays différents, acteurs et auditeurs confondus. Dès l’appel, il apparut clairement que le stage était encore plus international qu’à l’accoutumée. Il rassemblait des stagiaires venus bien sûr d’un peu partout en Europe mais aussi d’Amérique du Nord et d’Amérique latine ainsi que d’Asie. L’Ukraine, la Turquie, la Norvège, Israël, la Grèce, le Danemark, le Canada, les Pays-Bas, le Mexique, la Hongrie, l’Autriche, la Croatie, le Brésil, l’Algérie, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, la France étaient tous présents faisant de la Cartoucherie une tour de Babel où de nombreuses langues furent parlées — et comprises — tant par Ariane que par tous les participants : français et anglais bien sûr, mais aussi italien, portugais, espagnol, arabe. Le multiculturalisme trouva là un terrain de prédilection quasinaturel.
Conformément à l’habitude, le sujet des improvisations fut donné dès le départ. Et comme le stage — hasard de l’histoire — suivit de près les élections françaises qui venaient de se dérouler, bouleversant le panorama politique français et ramenant au pouvoir une gauche un peu surprise du cadeau que la droite sans Le savoir venait de lui faire, le sujet « Les élections » 
fut retenu comme premier sujet des 40 improvisations.
Les stagiaires s’y essayèrent donc, improvisant sur ce thème pendant deux jours au cours desquels ils se familiarisèrent avec la scène, une immense scène prenant tout le fond de la salle et recouverte de tapis brosse installé dans la première nef de la Cartoucherie. On y vit des scènes évoquant la fraude électorale, des campagnes d’affichages, des discours de victoire, des distributions de tracts, des dictateurs aux petits pieds. Bref, la Cartoucherie offrit en raccourci et sur le mode ludique les scènes que l public n’avait cessé de voir sur le mode pompeux au cours des semaines qui venaient de précéder les élections. Tout le monde prit un certain plaisir à voir ainsi rejoué et dénoncé certains moments d’une campagne politique terne et sans invention.
Ces deux premiers jours préparatoires eurent, en fait, comme objectif de préparer les stagiaires à une rencontre fondamentale dans le processus d’apprentissage au Soleil, la rencontre avec les masques. Au bout de deux jours donc, le grand moment arriva. Ariane décida d’introduire les masques, ces masques, sortis spécialement de leur réserve, masques de la Commedia mais aussi masques balinais faits par Erhard Stiefel, collaborateur du Soleil depuis ses origines, recréateur et inventeur de ces œuvres retrouvant dans son art les techniques des masquiers d’autre fois.
L’heure fut empreinte de gravité. Une certaine solennité envahit le lieu. Sur une immense table de près de 10 mètres placée au milieu de la scène reposaient sous un grand drap rouge des êtres qu’Ariane présenta avant de les dévoiler aux regards. Elle expliqua que c’étaient les maîtres du Théâtre du Soleil et les accueillit de nouveau au sein de cette enceinte cependant que deux acteurs soulevaient le drap avec précaution dévoilant une quarantaine de masques différents tous sagement posés sur les sacs rouges ou jaunes qui les enveloppaient habituellement et dont ils avaient été extraits. Déjà très vivants, 1ls rayonnaient une certaine présence, introduisant une très forte théâtralité sur la scène. Ils appelaient, ils convoquaient le théâtre, un théâtre d’art évoquant les origines du théâtre et incitant l’acteur à retrouver les fondements de l’art du jeu.



