La Comédie de Saint-Etienne
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La Comédie de Saint-Etienne

Entretien avec Daniel Benoin

Le 26 Jan 1997
Clémentine Célarier et Pierre-Olivier Scotto dans LES VARIATIONS GOLDBERG de George Tabori. Mise en scène de Daniel Benoin. (1996). Photo Yves Guibeaud.
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Clémentine Célarier et Pierre-Olivier Scotto dans LES VARIATIONS GOLDBERG de George Tabori. Mise en scène de Daniel Benoin. (1996). Photo Yves Guibeaud.
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Henry Bauchau-Couverture du Numéro 56 d'Alternatives ThéâtralesHenry Bauchau-Couverture du Numéro 56 d'Alternatives Théâtrales
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CORINNE RIGAUD : Il y a un cer­tain nom­bre de ques­tions d’or­dre du pra­tique que je me pose et aux­quelles j’aimerais que vous répondiez avant de vous entretenir de la prob­lé­ma­tique du théâtre ser­vice pub­lic, dans le cadre de la Comédie de Sain­tÉ­ti­enne. Je voudrais savoir, par exem­ple, si VOUS avez tou­jours le même con­trat qui vous lie au Min­istère de la Cul­ture ; c’est-à- dire le con­trat de décen­tral­i­sa­tion dra­ma­tique.

Daniel Benoin : Le con­trat est tou­jours de trois ans. Il est tou­jours sous les mêmes principes généraux mais il a beau­coup évolué en ce qui con­cerne le con­trôle. À l’époque du pre­mier con­trat, la philoso­phie de l’É­tat con­sis­tait, pour résumer, à con­fi­er un Cen­tre Dra­ma­tique à un artiste afin qu’il puisse réalis­er son tra­vail dans une struc­ture dont l’i­den­tité était liée à une région. Aujour­d’hui, le con­trat est tou­jours un peu sur le même sché­ma mais les con­traintes sont plus nom­breuses : par exem­ple, il faut créer des auteurs con­tem­po­rains, il faut aider des com­pag­nies et accueil­lir des spec­ta­cles — nous le faisons depuis tou­jours mais aujour­d’hui, on nous l’im­pose — en revanche, on ne nous demande plus de nous inscrire dans une région spé­ci­fique. Les règles du con­trat s’alig­nent sur celles de la réal­ité. Si le nom­bre de con­trôles a aug­men­té, c’est aus­si parce qu’il y a eu des débor­de­ments, des erreurs. Mais il est clair que l’État n’a pas besoin de tous ces con­trôles pour repér­er dans cer­tains Cen­tres Dra­ma­tiques, une mau­vaise ges­tion. Ain­si, les procé­dures de con­trôle ont plus ou moins de mal à se jus­ti­fi­er. Mais ce n’est pas bien grave ; nous avons seule­ment un peu plus de tra­vail.

C. R.: Les con­trôles se présen­tent sous quelle forme ?

D. B.: Sous forme de quo­tas. Il faut faire, par exem­ple, tel pour­cent­age de chiffre d’af­faires par rap­port au total du bud­get. Pour être plus pré­cis, admet­tons qu’il y ait un Cen­tre Dra­ma­tique qui fasse 9 % de chiffre d’affaires, ce qui n’est pas très bien, alors on nous réclame tout à coup de faire 20 % même si dans la pra­tique, la plu­part des Cen­tres Dra­ma­tiques ne font pas moins de 20 % de chiffre d’affaires. Alors, comme je viens de le dire, ce n’est pas bien grave mais cela mar­que un état d’e­sprit qui n’est pas le bon. Pourquoi l’État ne se pronon­cerait-il pas et pourquoi ne prendrait-1il pas des déci­sions puisqu’il en a la pos­si­bil­ité tous les trois ans ?

C. R.: L’ar­ti­cle pre­mier de votre pre­mier con­trat dit que Mon­sieur Daniel Benoin s’en­gage à ses risques et périls. Pou­vez-vous éval­uer les risques que vous avez pris et les périls que vous avez subis ou évités ?

D. B.: La Comédie de Saint-Éti­enne est un Cen­tre Dra­ma­tique Nation­al mais elle est en même temps, une entre­prise de type privée. Les Cen­tres Dra­ma­tiques Nationaux ont des mis­sions de ser­vice pub­lic mais ne sont pas des étab­lisse­ments publics (cette ambiguïté est d’ailleurs intéres­sante pour gér­er de manière judi­cieuse un théâtre) et en tant qu’en­tre­pre­neur privé, c’est évidem­ment à mes risques et périls que je fais mon tra­vail. Mon bud­get est donc con­sti­tué des sub­ven­tions de l’É­tat, pri­or­i­taire­ment, mais aus­si de la ville et du départe­ment, aux­quelles il faut ajouter les apports du mécé­nat et les entrées des recettes pro­pres. Je suis à la fois le directeur d’une struc­ture qui m’a préex­isté (le Cen­tre Dra­ma­tique Nation­al) et le P.D.G. d’une entre­prise en devenir (la Comédie de Sain­tÉ­ti­enne). Le tout ne for­mant qu’une seule entité. Et si les Cen­tres Dra­ma­tiques Nationaux sont des théâtres de ser­vice pub­lic, c’est essen­tielle­ment parce qu’ils reçoivent ces sub­ven­tions de l’É­tat. À quoi sert la sub­ven­tion ? Fon­da­men­tale­ment ?À réduire le prix des places afin que la total­ité de la pop­u­la­tion puisse accéder au théâtre ! C’est la pre­mière déf­i­ni­tion du ser­vice pub­lic.

C. R.: Quelle est votre poli­tique de pro­gram­ma­tion et d’ac­cueil ?

D. B.: Ma poli­tique d’ac­cueil répond, en gros, à une néces­sité : présen­ter, de façon panoramique, ce qui se fait actuelle­ment au théâtre, des pro­jets qui sont dans un cer­tain domaine des objets de pointe, qu’ils ren­trent ou non dans mes per­spec­tives. Je dirais que 80% de ma pro­gram­ma­tion se fait comme ça ; les 20 % restants, relèvent de, ce que j appelle les pro­gram­ma­tions d’équili­bre ; parce que je con­sid­ère que ma lib­erté en tant qu’artiste, ma lib­erté majeure, c’est d’avoir un grand pub­lic. Le pub­lic de Saint-Éti­enne est un pub­lic large qui n’est pas homogène. Sur les 13 000 abon­nés, il y en a, grosso modo, 3 000 qui sont des « con­nais­seurs », 3 000 qui sont plutôt des « néo­phytes » et 7 000 entre les deux. Ces déf­i­ni­tions, très vagues, mar­quent une réal­ité pro­téi­forme qui est très impor­tante. J’es­saie, donc, sur les 20 % de pro­gram­ma­tion qui me restent de rééquili­br­er afin que les uns et les autres trou­vent au théâtre ce qu’ils sont venus chercher en dehors des spec­ta­cles que je leur impose. Effec­tive­ment, je me per­me­ts régulière­ment d’im­pos­er, à la total­ité des abon­nés, une pièce con­tem­po­raine qui n’a jamais été créée. Si je n’avais pas, à tra­vers l’abon­nement, imposé GHETTO, il y a une dizaine d’an­nées, per­son­ne (ou presque) ne serait venu voir le spec­ta­cle. J’imag­ine les com­men­taires : « GHETTO ? Ça par­le de quoi ? Oh ! L’ex­ter­mi­na­tion des juifs dans le ghet­to de Vil­nious en Litu­anie… Non, on ne va pas aller voir ça ». Le spec­ta­cle a très bien marché et les gens étaient con­tents de l’avoir vu. Si j’avais lais­sé Le choix aux 13 000 abon­nés, 3 000 d’en­tre eux, peut-être, l’au­raient vu. C’est exacte­ment la même chose pour le spec­ta­cle que je viens de faire : une pièce con­tem­po­raine qui a pour sujet un met­teur en scène à Tel Aviv qui essaie de mon­ter une pièce sur la bible1.

Grâce à l’abon­nement j’oblige le pub­lic à pren­dre le risque de décou­vrir.

L’a­ban­don de l’abon­nement est incon­testable­ment une faib­lesse de la part des théâtres qui ne pra­tiquent plus ce sys­tème. Il y a deux raisons évi­dentes à cet aban­don pro­gres­sif ; une rai­son quan­ti­ta­tive : sou­vent, les théâtres ont peu d’abon­nements et pas assez pour en faire une tech­nique, et une rai­son qual­i­ta­tive qui fait dire aux détracteurs que l’abon­nement est une con­trainte qui fait fuir le pub­lic. Je pense au con­traire qu’à l’heure actuelle, si on n’oblige pas le pub­lic à aller au théâtre, il ne vient pas. Si on ne dit pas au spec­ta­teur, 6 mois à l’a­vance, que le mar­di 15 sep­tem­bre à 19h30, il doit être au théâtre, il n’y va pas. Mais le plus bel avan­tage de l’abon­nement, reste celui de fair décou­vrir aux spec­ta­teurs ce qu’ils n’i­raient pas voir autrement. C’est dans cette décou­verte « imposée » que nous pou­vons con­tin­uer de dire que le théâtre tient un rôle dans le pro­grès de la pen­sée, dans le pro­grès des idées. Sinon, nous­ren­trons oblig­a­toire­ment dans une poli­tique de mar­ket­ing où les spec­ta­teurs vont voir ce qu’ils ont envie d’aller voir et non pas ce que nous pen­sons qu ils devraient aller voir. Mais il faut savoir que l’arme ou les instru­ments que nous util­isons peu­vent se retourn­er con­tre nous si nous ne faisons pas cor­recte­ment notre tra­vail. Si, par exem­ple, nous créons des pièces qui ne ren­con­trent pas le pub­lic, nous prenons le risque de voir le chiffre des abon­nements dimin­uer.

C. R.: Com­ment, d’une année sur l’autre, gardez-vous les 13 000 abon­nés ?

D. B.: Il faut faire un tra­vail tout au long de l’année. Sur les 13 000 abon­nés, il y en 6 ou 7 000 qui se pré­cip­i­tent pour les abon­nements ; quant aux autres, il faut aller les chercher et les amen­er pro­gres­sive­ment au théâtre. C’est le tra­vail du ser­vice des rela­tions publiques : un tra­vail d’an­i­ma­tion et d’ex­pli­ca­tion. Je pense que le théâtre que nous devons faire est un théâtre d’art — même si le terme a été un peu gal­vaudé — qui soit exigeant et qui allie à la fois l’éthique et l’esthé­tique … Et ce théâtre d’art qui pro­duit des œuvres qui ne sont pas for­cé­ment com­préhen­si­bles en soi, nous en organ­isons l’intelligibilité à tra­vers le sys­tème de l’abon­nement.

Le pub­lic aujourd’hui, est d’une cer­taine manière plus con­ser­va­teur ; les jeunes qui ont aujour­d’hui 20/25 ans sont plus con­ser­va­teurs que leurs par­ents ne l’étaient, il y a 20 ans. C’est d’abord une ques­tion de sen­sa­tion et cer­taines études l’ont prou­vé. Il y a 20 ans, le pub­lic qui était dans une salle de théâtre était un pub­lic qui pen­sait, dans sa majorité, que demain serait mieux ; aujour­d’hui, le pub­lic, dans sa majorité pense que demain sera pire. Donc, évidem­ment, le vecteur por­teur de la pen­sée n’est pas le même. Il y a dans un cas, l’e­spérance d’un pro­grès, et dans l’autre une recherche de la jouis­sance immé­di­ate, du diver­tisse­ment, de l’ex­o­tisme bon marché et une ten­dance à la « stari­sa­tion ». Évidem­ment, on ne tra­vaille pas du tout de la même manière dans les deux cas. L’é­tat a une cer­taine part de respon­s­abil­ité ; quand il impose 20 % de recettes pro­pres, c’est une bonne chose mais cer­tains théâtres en font un pré­texte pour faire des recettes avec n’im­porte quel moyen. C’est ain­si que nous avons vu tout à Coup appa­raître des vedettes sur la scène des théâtres publics et avec des salaires qui sont incom­pat­i­bles avec les mis­sions que ce même théâtre doit se don­ner, Dans une rela­tion de causal­ité, il y a eu des dérives pour lesquelles la respon­s­abil­ité de l’É­tat a été ampli­fiée par les gens de théâtre qui n’ont, c’est vrai, pas beau­coup résisté. J’en reviens à l’abon­nement et au spec­ta­cle : LES VARIATIONS GOLDBERG ; Je con­sid­ère avoir fait un acte de résis­tance notoire parce qu avec cette pièce nous avons lut­té con­tre le con­ser­vatisme ambiant. Alors, est-ce qu’à par­tir de là, il faut chercher un nou­veau pub­lic ?

Quand je suis arrivé à Saint-Éti­enne, la Comédie était mar­quée, à tort, comme un fief rouge ; à tort parce que bien évidem­ment, à cette époque-là déjà, le pub­lic était à moitié à gauche et à moitié à droite. En con­séquence, la bour­geoisie était une caté­gorie qui ne fai­sait pas par­tie du pub­lic et que nous avons con­quise petit à petit. Il reste une frange de 500 per­son­nes à peu près qui pour­raient être abon­nées à la Comédie de Saint-Éti­enne et qui ne le sont pas Ils ne le sont pas parce qu’une pre­mière moitié est trop impliquée dans le milieu artis­tique et estime que 13 000 abon­nés, c’est le signe irréfutable d’une poli­tique trop con­sen­suelle et une sec­onde moitié parce qu’elle con­sid­ère encore que la Comédie est un fief rouge.

C. R.: Au regard des 20 dernières années, avez-vous l’im­pres­sion d’avoir fait votre théâtre ? Un théâtre de ser­vice pub­lic ? ou les deux ?

D. B.: Très franche­ment, je suis sûr que je suis arrivé pour faire mon théâtre ; j’é­tais sûr égale­ment que ma manière de penser le théâtre allait évoluer et elle a évolué. Mais elle n’a pas évolué pour devenir un théâtre de ser­vice pub­lic. On fait du théâtre, on fait son théâtre, hon­nête­ment, avec ce que l’on a en soi, à la fois dans sa mémoire, dans son enfance, mais aus­si dans sa fan­taisie et puis on essaie de faire en sorte que son théâtre devi­enne un théâtre de ser­vice pub­lic, c’est-à-dire, faut-il le répéter, un théâtre exigeant, nou­veau dans sa forme et dans sa con­cep­tion mais qui ne perd jamais de vue le spec­ta­teur.

C. R.: Chris­t­ian Schiaret­ti dit : « La pre­mière déf­i­ni­tion du ser­vice pub­lic, c’est qu’il est un héritage »2. Com­ment vous situez-vous vis-à-vis de l’héritage que vous avez reçu ?

D. B.: Vous voulez dire, quelle est la rela­tion pro­fonde qu’en­tre­ti­en­nent cet héritage et ma pra­tique artis­tique ? Ou quel est le rap­port entre cet héritage et ma pra­tique artis­tique ? Il n’y a pas de lien direct entre ce que j ai reçu et ce que j’ai fait. Je veux dire par là que l’héritage n’im­plique pas une servi­tude et que la notion de ser­vice pub­lic qu’il véhicule et que nous avons récupérée, n est pas une con­trainte pour l’am­bi­tion artis­tique. Les Cen­tres Dra­ma­tiques ne sont pas une charge, mais une for­mi­da­ble pos­si­bil­ité. La pos­si­bil­ité de prof­iter d’une tra­di­tion pour faire de la nou­veauté. En ce qui me con­cerne, je veux faire en sorte que ce soit avant tout le grand lieu de vie et pour cela je suis prêt à un cer­tain nom­bre de choses qui peu­vent appa­raître comme des licences par rap­port aux us et cou­tumes du théâtre « hérité ».

C. R.: Si je vous dis que le théâtre va mal ? Qu’il est en crise ?

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Écrit par Corinne Rigaud
Corinne Rigaud est née à Orange, un trois avril. Elle a déjà dit qu’elle aimait les jupes de...Plus d'info
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