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Le 24 Oct 1998
Article publié pour le numéro
Théâtre en images-Couverture du Numéro 58-59 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre en images-Couverture du Numéro 58-59 d'Alternatives Théâtrales
58 – 59
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Le Théâtre 140 est tombé dans son demi-siè­cle comme un cheveu dans la soupe. Il s’y est iden­ti­fié avec gour­man­dise, par­courant plusieurs décen­nies — depuis 63 —, avec cette espèce de paresse active des voyageurs harassés.

Ce quadri­latère du haut Schaer­beek sans coquet­terie archi­tec­turale par­ti­c­ulière a fatale­ment dû héberg­er un cer­tain nom­bre d’effigies sec­ouantes de toutes ces années, en clair-obscur, pleines de beaux élans et d’ombres dif­fi­ciles.
De Serge Gains­bourg, du Liv­ing The­ater de New York, du Bread and Pup­pet à Tadeusz Kan­tor, aux Pink Floyd, aux Soft Machine, au Mabou Mines (qui se rap­pelle encore ce pré­cieux théâtre under­ground d’East Vil­lage?), aux vir­u­lences de Pip Sim­mons, d’Ouvré le Chien, de Pina Bausch, d’Anne Tere­sa De Keers­maek­er, aux évanes­cences de Lind­say Kemp et des Dzi Cro­quettes, au post sur­réal­isme indis­pens­able des 4 litres 12.
Dans le même temps, Françoise Hardy (mais oui!), Hugh­es Aufray, la gui­tare en ban­doulière, Patrick Dewaere et le café de la gare, Marie Laforêt, Nougaro, Charles Trenet, le grand Léo Fer­ré drainèrent une foule qui igno­rait totale­ment l’autre ver­sant de la pro­gram­ma­tion …
Un théâtre aux vibra­tions foraines. On ne s’achète pas une ver­tu en se ren­dant au 140, il n’aura jamais nid­i­fié les vertueux de la cul­ture, l’école buis­son­nière ne ras­sure per­son­ne. C’est tout le plaisir d’ailleurs et un grand morceau de la ques­tion aux sens.
Pourquoi un théâtre ? Le 140 n’est pas né d’une volon­té opiniâtre mais plutôt d’une ques­tion. « Qu’y feriez-vous ? » me demandait-on, « Oui, qu’y ferais-je ? ». Et l’époque était là, riche de tout un passé présent, d’un futur bour­geon­nant, bizarre. Les chan­sons res­pi­raient la poésie, le jazz cou­vait les incan­des­cences de Miles Davis et de Thelo­nious Monk (con­cert mémorable), Peter Brook était un incon­nu, Kan­tor un vague sculp­teur à Cra­covie, Jacques Lang, ini­ti­a­teur du fes­ti­val de Nan­cy allait être un jour min­istre de la Cul­ture, et en Bel­gique il y avait le Nation­al, l’enfant des comé­di­ens routiers, le rideau de Claude Eti­enne, les galipettes acidulées du Vaude­ville, les Galeries, vous savez bien et le ravis­sant théâtre du Parc, bon­bon­nière d’une fran­coph­o­nie sans accent belge.
Déjà le Théâtre de Poche affichait des oeu­vres que per­son­ne ne con­nais­sait. Roger Domani. J’aimerais par­ler de lui.1
Sur le ter­reau créé par des mon­stres sacrés aus­si diver­si­fiés que Pierre Desprog­es, Zouc, Dario Fo, Kan­tor, Frank Zap­pa, Brigitte Fontaine et Jacques Higelin se sont affir­més pro­gres­sive­ment sur cette scène des aven­tures de cette forme de théâtre qui échappe à toute déf­i­ni­tion clas­sique. Forain comme pour­rait l’être Felli­ni, para­no-ten­dresse comme Jim Jar­mush, drôle dépres­sif comme Woody, religieux comme le Liv­ing, telle­ment engagé dans son aven­ture que tout spec­ta­cle, même frag­ile, tourne à la célébra­tion. Les jeunes étu­di­ants ont com­pris cela et s’y retrou­vent nom­breux. Le brux­el­lois de souche, intimidé, respecte et se ques­tionne inlass­able­ment car chaque soirée est un investisse­ment.
Le pro­duit est rigoureuse­ment incon­nu « venu d’ailleurs », à décou­vrir, c’est sa force et sa faib­lesse. Il s’apparente à l’Utopie. Il flat­tera davan­tage notre instinct de curiosité onirique que notre réflexe de sno­bisme intel­lectuel.
Ce serait une inter­minable prom­e­nade dans les ombres portées par notre monde agi­tant sans pass­er oblig­a­toire­ment par les auteurs recon­nus. Un seul con­fort absolu, le plaisir, la pas­sion, aucune con­trainte, aucun devoir si ce n’est celui de l’identité. Trente six ans à la recherche du temps per­du ? À les évo­quer on vit soi-même un cer­tain éton­nement. Une aven­ture nour­rie comme par acci­dent de tous les courants de cette fin de siè­cle, futiles et pro­fonds. De bous­cu­lades en bous­cu­lades, les jeunes dra­maturges et musi­ciens du monde entier, en nom­bre crois­sant, auront appris à inté­gr­er les séismes, à génér­er des plages de réflex­ion sen­si­ble, un lieu qui par­ticipe d’un humour dis­tan­cié et d’une forme de médi­ta­tion, le con­traire du tourisme artis­tique.
Patrice Bigel, Didi­er Bezace, Serge Noyelle, Arthur H, Jan Lauw­ers, Alain Pla­tel, Grace Ellen Barkey, Guy Alloucerie, Anton Adasin­sky, Faulty Optic, Pierre Droulers, Nicole Mossoux, Georges Appaix, Décou­flé et tant d’autres. Sur les traces du Liv­ing The­ater, de Mabou Mines, de Tadeusz, de Qua­tre Litres Douze, du Peo­ple Show, de Pip Sim­mons.
Savoir mieux ce que l’on dit, ce que l’on dis­ait déjà con­fusé­ment il y a vingt ou trente ans. Bouger sans chang­er de peau.

« Je voudrais sim­ple­ment dire que ce qui me manque le plus à Paris, depuis seize ans que j’y vis, c’est le 140 : le théâtre, chaque fois, comme un cadeau-sur­prise, atten­du et inat­ten­du. Celui que quelqu’un avait cher­ché pour nous à notre insu et qui chaque fois était une fête. Cela se nomme l’art, ou l’amitié, qui sont choses rares. »

Françoise Collin
  1. Voir page 60 « Mon » Théâtre de Poche par Gas­ton Com­père. ↩︎
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Écrit par Jo Dekmine
Jo Dek­mine Directeur du Théâtre 140 à Brux­elles depuis 1963. À révélé de nom­breux artistes et spec­ta­cles (le...Plus d'info
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