La Chapelle aux temps héroïques, sans les aménagements qui l’ont conduite à devenir une véritable salle de spectacle…
Lorsque nous restions plusieurs heures d’affilée à travailler, quelque chose d’indéfinissable venait nous troubler, comme un sentiment d’oppression et de fascination mêlées, une hantise bizarre. Nous aimions ce lieu, il nous stimulait, et dans le même temps, l’esprit était tiré de travers, très légèrement ; l’espace — mais c’était tout juste perceptible — semblait capable d’un obscur rétrécissement ; une incertitude planait, qui poussait vers le bas et le sombre.
Un jour, des travaux furent entrepris pour aménager un sol en pierre et un système souterrain de chauffage. Il fallut creuser assez profondément, et la découverte qu’on fit alors provoqua la stupeur. On exhuma des restes osseux particulièrement hideux : de gigantesques et répugnantes esquilles, des fragments éclatés de dents, des débris d’ailes fossilisées, le tout dans un tel désordre qu’une violence avait dû jeter là ce paquet de vertèbres et de crocs. À l’évidence, la carcasse était celle d’un monstre d’un âge ancien, ou de plusieurs (on sait que les horreurs vivent et meurent en bande, et finalement se décomposent ensemble).
À croire que le bâtiment avait été, avec cet art de l’à‑propos dont l’Église s’est de tout temps prévalu, malencontreusement construit sur un cimetière de ptérodactyles résolus à empoisonner l’air des générations futures. La Chapelle ne put échapper à l’enfer de leurs miasmes : les prières des Brigittines se transformèrent en lamentations, en pleurs incessants, en plaintes d’effroi : le lieu fut désacralisé subito presto et vendu à des innocents.
Mais depuis les travaux, l’atmosphère s’est curieusement détendue : une fraîcheur, une clarté entourent désormais le spectateur comme l’acteur qui viennent y larguer leurs fantasmes. On baigne presque dans une euphorie de communication, tant les ondes circulent librement entre tous.
Néanmoins, comment l’avouer, les actes qui s’y déroulent participent d’une ambiguïté, des trucs troubles inspirent metteurs en scène et chorégraphes, une impossible innocence les contraint, comme s’ils aspiraient, dans leur recherche de nouveaux langages, à renouer avec d’anciennes vibrations… Peut-être quelque chose demeure-t-il ? Une présence volatile qui pousse subtilement à vicier la forme, à détourner les contenus, à sonder l’inconnu ?
Étrange affaire.
YAN CIRET: On ne débute pas aujourd'hui comme on le faisait à la fin des années 60. Selon toi qu'est-ce…

